L'aide de l'intelligence artificielle pour le diagnostic des lésions précoces du cancer gastrique : de quelle IA avons nous besoin ? Celle qui vient compléter l'expertise humaine ou celle qui peut se passer de l'intelligence humaine ?

Le cancer de l'estomac est particulièrement fréquent en Chine, avec près de 700 000 nouveaux cas par an, soit 4 fois plus fréquent qu'en Europe. En France, on comptabilise 9 000 nouveaux cas par an, soit une incidence 14/100 000 hab. versus 60/100 000 hab. en Chine. C'est un cancer dont la fréquence a considérablement diminué dans les pays développés grâce au traitement du reflux gastro-oesophagien (RGO) à l'origine du cancer de la partie haute de l'estomac (cardia) et surtout du traitement antibiotique de l'infection gastrique à Hélicobacter pylori à l'origine du cancer de la partie basse de l'estomac (pylore).

En Chine, la prévention de ce cancer est faible ce qui explique sa découverte à un stade tardif où le pronostic vital est fortement engagé. Un dépistage précoce de ce cancer pourrait bénéficier de l'IA associée à l'endoscopie gastrique. Une équipe japonaise et chinoise (Taiwan) vient de montrer des taux de spécificité et de sensibilité d'un algorithme d'IA, associé à l'expertise du médecin endoscopiste, proches de 100%.

Takashi Kanesaka, MD, Tsung-Chun Lee, MD, Noriya Uedo, MD, Kun-Pei Lin, MS, Huai-Zhe Chen, MS, Ji-Yuh Lee, MD, Hsiu-Po Wang, MD, Hsuan-Ting Chang, PhD, Computer-aided diagnosis for identifying and delineating early gastric cancers in magnifying narrow-band imaging. Gastrointestinal Endoscopy May 2018, Volume 87, Issue 5, Pages 1339–1344

L'équipe médicale de l'hôpital militaire universitaire de Shanghai souligne l'intérêt de la méthode proposée par l'équipe japonaise et de Taiwan dans le dépistage précoce du cancer gastrique, mais préconise une autre approche diagnostique avec l'IA, celle du Deep Learning, qui serait à terme autonome, non liée à l'expertise d'un expert de l'endoscopie. Elle rappelle que le gouvernement chinois, en 2017, a fait de l'IA une stratégie nationale prioritaire pour améliorer l'accès aux soins des citoyens chinois.

Zhijie Wang, MD, Qianqian Meng, MD, Shuling Wang, MD, Zhaoshen Li, MD, PhD, Yu Bai, MD, PhD, Dong Wang, MD, PhD. Deep learning–based endoscopic image recognition for detection of early gastric cancer: a Chinese perspective. Gastrointestinal Endoscopy July 2018, Volume 88, Issue 1, Pages 198–199.

CONTEXTE

Un endoscope avec Imagerie "grossie", en bande étroite (type M-Ibn) est nécessaire dans le diagnostic précoce du cancer gastrique (Egcs), mais elle exige d'être associée à une expertise de l'opérateur qu'il faut maîtriser. Nous avons développé un algorithme d'aide au diagnostic (CADx), fondé sur l'apprentissage automatique (Machine Learning) pour permettre aux médecins endoscopistes d'identifier les lésions précoces d'un cancer de l'estomac lors de la réalisation de l'examen.

METHODES

Nous avons recueilli rétrospectivement et de façon aléatoire 66 images de type M-Ibn de lésions précoces de cancer gastrique (prouvées sur le plan pathologique) et 60 autres images de type M-Ibn sans lésions cancéreuses. Puis, nous avons réalisé le test pour 61 images M-Ibn de lésions précoces de cancer gastrique (Egcs) et 20 images M-Ibn sans lésions cancereuses. La méthode consiste à envoyer sur un ordinateur l'image agrandie de l'endoscope "grossissant", cette image étant ensuite traitée par l'algorithme du système CADx. In fine c'est l'addition des résultats de la vision de l'expert (intelligence humaine) qui est amélioré par l'algorithme du système CADx.

RESULTATS

Les performances diagnostiques du CADx avec la vision de l'opérateur montrent une précision de 96,3%, La valeur prédictive positive est de 98,3%, La sensibilité du test (probabilité d'un résultat positif) est de 96,7% et sa spécificité (probabilité que le résultat soit négatif) de 95%, avec un temps de lecture par image de 0,41 ± 0,01 secondes. La performance du médecin endoscopiste disposant d'un endoscope avec images "grossies", sans le système d'aide au diagnostic CADx, donne une précision de 73,8% ± 10,9%, une valeur prédictive positive de 75,3% ± 20,9%, une sensibilité de 65,5% ± 19,9%, et une spécificité de 80,8% ± 17,1%, avec un temps de lecture par image de 0,49 ± 0,04 secondes.

CONCLUSION

Cette étude pilote montre que le système d'aide au diagnostic (CADx), construit avec un algorithme autonome d'IA (Machine Learning), associé à la vision de l'expert endoscopiste,a un grand potentiel de diagnostic en temps réel pour reconnaître des lésions précoces du cancer gastrique. C'est grâce au mode d'images agrandies de type M-Ibn lors de la réalisation de l'examen avec un endoscope "grossissant" ces images et leur transmission au système CADx que l'opérateur expert peut parvenir à ce niveau de fiabilité diagnostique.

Lettre à l'éditeur du GIE de Zhijie Wang, MD, Qianqian Meng, MD, Shuling Wang, MD, Zhaoshen Li, MD, PhD, Yu Bai, MD, PhD, Dong Wang, MD, PhD. Deep learning–based endoscopic image recognition for detection of early gastric cancer: a Chinese perspective

Nous avons lu avec grand Intérêt l’article de Kanesaka et coll montrant l’intérêt d’un système algorithmique associé à l'expertise de l'opérateur permettant d’Identifier les lésions précoces du cancer gastrique lors d’une endoscopie gastrique avec endoscope "grossissant". Les performances diagnostiques (96,3%) suggèrent un grand potentiel de ce système d’IA. Cet intérêt est particulièrement réel dans les pays comme la Chine qui ont une incidence élevée de cancer gastrique, mais un faible taux de détection des lésions précoces. Zong, L., Abe, M., Seto, Y. et al. The challenge of screening for early gastric cancer in China. Lancet. 2016 ; 388 : 2606.

Une récente enquête a recensé 679 100 nouveaux cas annuels de cancer gastrique en Chine et montré que plus de 80% des patients avaient un diagnostic à un stade avancé avec un mauvais pronostic. Chen, W., Zheng, R., Baade, P.D. et al. Cancer statistics in China, 2015. CA Cancer J Clin. 2016 ; 66 : 115-132.

Les systèmes algorithmiques d’aide au diagnostic sont amenés à jouer un rôle de plus en plus important pour la détection des lésions précoces d’un cancer gastrique ou d'autres régions digestives. D’autres études dans la littérature prônent cette méthode d’endoscopie grossissante avec un système d’aide au diagnostic. Il est également appliqué au diagnostic précoce du cancer colorectal. Miyaki, R., Yoshida, S., Tanaka, S. et al. A computer system to be used with laser-based endoscopy for quantitative diagnosis of early gastric cancer. J Clin Gastroenterol. 2015 ; 49 : 108–115. Liu, X., Wang, C., Bai, J. et al. Hue-texture-embedded region-based model for magnifying endoscopy with narrow-band imaging image segmentation based on visual features. Comput Methods Programs Biomed. 2017 ; 145 : 53–66. Chen, P.J., Lin, M.C., Lai, M.J. et al. Accurate classification of diminutive colorectal polyps using computer-aided analysis. Gastroenterology. 2017 ; 154 : 568–575.

Toutefois, les pays ne disposent pas toujours des compétences humaines requises pour réaliser des endoscopies performantes avec des endoscopes grossissant les images, ce qui nécessite une expertise visuelle assistée par un système algorithmique de traitement des données (Machine Learning). C'est notamment la situation en Chine qui n'a pas suffisamment de professionnels de santé entrainés à l'endoscopie digestive.

Nous préconisons, comme le recommande le programme gouvernemental de 2017, une solution d'apprentissage automatique et auto-apprenant d'images retraitées par un système de type Deep Learning, comme c'est déjà le cas pour les cancers de la peau (Esteva, A., Kuprel, B., Novoa, R.A. et al. Dermatologist-level classification of skin cancer with deep neural networks. Nature. 2017 ; 542 : 115-118) et les lésions rétiniennes du diabète (Wong, T.Y. and Bressler, N.M. Artificial intelligence with deep learning technology looks into diabetic retinopathy screening. JAMA. 2016 ; 316 : 2366-2367).

COMMENTAIRES. Nous avons choisi cette publication récente parce qu'elle illustre le débat que nous avons aujourd'hui en France et en Europe : l'IA doit-elle se substituer au professionnel de santé ou être complémentaire du professionnel ? Le débat existe également en Asie, puisque des pays comme le Japon et Taiwan ont plutôt l'approche européenne du Machine Learning, alors que la Chine souhaite avoir d'emblée une approche totalement disruptive en confiant à l'IA de type Deep Learning la substitution du professionnel de santé qui serait remplacé par une intelligence artificielle devenant à terme totalement autonome grâce à l'approfondissement profond auto-apprenant.

Cette étude illustre deux méthodes d'IA. La première de type Machine Learning qui ne relève pas de l'apprentissage profond "auto-apprenant", la deuxième de type Deep Learning qui deviendrait à terme totalement autonome sur le plan du diagnostic.

La première additionne l'expertise de l'opérateur endoscopiste à celle de l'IA, la deuxième n'a pratiquement plus besoin de l'expertise humaine.

Lorsque le médecin militaire chinois invoque, dans sa réponse au journal GIE, une démographie chinoise insuffisante en professionnels de santé  pour faire un diagnostic précoce de cancer gastrique, et de prévenir ses causes, cela fait sourire. Comment un pays le plus peuplé au monde, deuxième puissance économique mondiale, ne serait-il pas capable de former le nombre de professionnels médicaux et non médicaux dont il a besoin pour sa santé publique, en particulier pour développer la prévention et le dépistage précoce du cancer gastrique ?

Il semble que ce médecin militaire défende le choix politique du gouvernement chinois qui est d'investir dans les solutions d'IA en santé de plus en plus performantes et auto-apprenantes plutôt que de choisir de créer des emplois de professionnels de santé. Au lieu d'aider les professionnels de santé à être plus performants grâce à des systèmes d'IA qui s'additionnent à l'expertise humaine, laquelle peut avoir une performance très élevée, comme le démontre cette étude, le gouvernement chinois préfère préconiser l'IA du Deep Learning, probablement plus intéressante pour le commerce mondial.

En clair, de quelle IA en santé voulons-nous pour une performance identique pour les patients : celle qui réduira le nombre de professionnels de santé et les remplacera à terme par des robots ou bien celle qui maintiendra la démographie actuelle des professionnels de santé avec une IA qui les aidera à être aussi performants que la solution robotisée ?

Voulons-nous une IA de garantie humaine, c'est à dire qui garantisse les emplois des professionnels de santé ?

8 juin 2018

 

 

 

 

 

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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