La télémédecine peut améliorer l'accès aux soins bucco-dentaires dans les Ehpad, les zones rurales et les régions isolées

Au cours des six derniers mois, les principaux leaders mondiaux de la télé-odontologie, dont une équipe française du CHU de Montpellier, publient quatre articles dont l'objectif principal est d'évaluer le service médical rendu aux patients qui ont bénéficié de la télémédecine pour améliorer l'accès aux soins bucco-dentaires, notamment dans les zones rurales, les Ehpad et les prisons.

La première étude australienne fait la revue de 39 études publiées. Elle souligne l'intérêt de la télé-odontologie (teledentistry) dans les zones rurales où il n'existe pas de dentistes installés à proximité des villages ou des petites villes. L'évaluation des études était qualitative. Cinq thèmes principaux ont été identifiés dans l’analyse qualitative : (1) l’aide apportée par les technologies d’information et des communications (TIC), (2) l'apport de la réglementation pour améliorer ce système de soins, (3) la précision des pratiques de teledentistry, (4) l'efficacité et l'acceptabilité de cette pratique à distance d'un diagnostic dentaire par les patients, y compris dans la progression de l’accès aux services cliniques et (5) l'impact sur la construction et sur l'augmentation des ressources professionnelles dentaires.

Irving M, Stewart R, Spallek H, Blinkhorn A. Using teledentistry in clinical practice, an enabler to improve access to oral health care: a qualitative systematic review. J Telemed Telecare. 2017 Jan 1:1357633X16686776. doi: 10.1177/1357633X16686776. [Epub ahead of print] PMID: 28092220.

La deuxième revue de la littérature a été réalisée également par une équipe australienne. La recherche dans les bases de données a été conduite jusqu'en novembre 2016 dans plusieurs bases internationales en langue anglaise (PubMed, EMBASE, CINAHL). 385 publications, dont 217 en texte intégral, ont été évaluées par deux lecteurs indépendants. Le critère d'inclusion était la comparaison aux plans clinique et économique des pratiques de télé-odontologie par rapport aux pratiques traditionnelles en face à face. Seuls 11 articles répondaient aux critères d'inclusion. Neuf articles donnaient seulement des résultats cliniques ; les deux autres donnaient essentiellement des analyses économiques. Quatre études avaient des critères élevés de qualité en matière de pratique dentaire. Les études parlaient plus d'efficacité (objectifs atteints en utilisant plus de ressources que celles prévues par l'étude) que d'efficience (objectifs atteints avec les ressources prévues par l'étude, voire moindres).

À ce jour, l'étude la plus convaincante montrait à la fois l’efficacité clinique de la télé-odontologie (teledentistry) en médecine dentaire, orthodontie et pour les soins oraux en pédiatrie, ainsi qu'une efficience médico-économique. L’analyse économique a utilisé la méthode de minimisation des coûts. Elle suggére que l’utilisation de la téléconsultation en médecine dentaire peut créer des économies par rapport à une consultation classique en face à face.

Les auteurs estiment néanmoins que les études d'efficience sont encore trop rares pour que les autorités sanitaires prennent des décisions stratégiques en faveur du développement de la télé-odontologie (télédentistry).

Estai M, Kanagasingam Y, Tennant M, Bunt S. A systematic review of the research evidence for the benefits of teledentistry. J Telemed Telecare. 2017 Jan 1:1357633X16689433. doi: 10.1177/1357633X16689433. [Epub ahead of print] PMID:  28118778.

Cette étude française de l'Université de Montpellier rapporte l'expérience d'une pratique de la télé-odontologie auprès des prisonniers. Les auteurs rappellent que depuis un décret de 2004, conjoint du Ministère de la santé et du Ministère de la Justice, toute personne incarcérée doit bénéficier de soins bucco-dentaires. La réalité est différente puisque seulement 50% des prisonniers en bénéficient. L'étude a comparé l'évaluation de l'état dentaire par téléconsultation bucco-dentaire à l'évaluation faite par une infirmière de l'infirmerie de la prison. Un score sur l'urgence dentaire a été mis au point. Pour 36,7 % des téléconsultations buccales, le score était semblable à celui de l'infirmière, pour 53,3% la différence était d'un point, pour 10% les scores étaient différents de 2 points. La note moyenne de l'infirmière était de 2,23 et celle du dentiste de 2,13 et 63% des diagnostics faits en téléconsultation buccale se sont avérées exacts. Les auteurs soulignent l'originalité de leur étude parmi celles déjà publiées dans la littérature médicale. L'intérêt de la téléconsultation bucco-dentaire pour améliorer l'état dentaire des prisonniers est souligné, notamment pour obtenir un impact sur l'état de santé et favoriser la réinsertion sociale à la sortie de prison.

Giraudeau N, Inquimbert C, Delafoy R, Tramini P, Valcarcel J, Meroueh F. Teledentistry, new oral care tool for prisoners. Int J Prison Health. 2017 Jun 12;13(2):124-134. doi: 10.1108/IJPH-04-2016-0011.PMID: 28581375.

Une équipe internationale issue des facultés dentaires des Universités de Montréal et Mc Gill (Québec,Canada), de Montpellier (France) et de Melbourne (Australie) a pour ambition de faire une analyse documentaire encore plus approfondie avec une méthodologie rigoureuse, estimant que les revues antérieures étaient trop imprécises et insuffisamment documentées.

Les trois objectifs visés par cette étude sont les suivants : 

1) Par rapport aux soins bucco-dentaires classiques en face à face, est-ce que les solutions de santé connectée pour l'examen bucco-dentaire à distance, mises en place dans les zones rurales et les zones éloignées, améliorent le service médical rendu aux patients ?

2) Est-ce que les erreurs diagnostiques dans les pratiques de la santé connectée bucco-dentaire ont la même fréquence que lors des soins bucco-dentaires conventionnels ?

3) Quels sont les indicateurs de satisfaction des patients qui bénéficient des pratiques de la santé connectée bucco-dentaire en termes de réduction de temps d'attente, du nombre de visites, de déplacement et de coûts des soins par rapport aux soins bucco-dentaires conventionnels ?

Une méthodologie rigoureuse est ensuite décrite ainsi que les analyses statistiques qui seront utilisées. Les auteurs ont l'intention de couvrir toutes les solutions de santé connectée et pas seulement celles de la télémédecine qui caractérisait les précédentes revues.

Emami E, Kadoch N, Homayounfar S, Harnagea H, Dupont P, Giraudeau N, Mariño R. Patient satisfaction with E-Oral Health care in rural and remote settings: a systematic review protocol. Syst Rev. 2017 Aug 29;6(1):174. doi: 10.1186/s13643-017-0550-3.PMID: 28851449

COMMENTAIRES

En France, les pratiques de télémédecine dentaire (télé-odontologie) relèvent bien du décret de télémédecine du 19 octobre 2010, lequel s'adresse aux professionnels de santé médicaux, c'est à dire aux médecins, aux sages femmes et aux chirurgiens dentistes. Il est utile de le rappeler car certains pensent encore que le décret de télémédecine ne concerne que les médecins. 

Il est intéressant de voir que les odontologues sont confrontés aux mêmes problématiques que les médecins, à savoir l'accès aux soins bucco-dentaires dans certaines zones isolées, dont les prisons, et les zones rurales. On pourrait ajouter aujourd'hui les Ehpad. Ils peuvent développer des téléconsultations de la cavité bucco-dentaire pour faire un bilan clinique et pour dépister les caries et autres anomalies. Ils ont également besoin de développer de la téléexpertise entre le dentiste généraliste qui exerce dans les zones rurales ou éloignées et les chirurgiens-dentistes ou les médecins stomatologues plus spécialisés.

Le champ d'intervention possible de la télé-odontologie est immense si on prend en compte en particulier les quelque 10 000 Ehpads et 800 000 résidents en France. On mesure ainsi l'intérêt de la grande étude internationale qui vient d'être lancée pour obtenir des éléments objectifs du service médical rendu aux patients par la télé-odontologie et son impact sur les principaux indicateurs médico-économiques.

30 septembre 2017

Commentaires

IC

02.10.2017 09:11

Il est également question de TLC et TLE . Est-ce bien réel ou sommes nous dans de la santé connectée ? Merci d avance pour les éclairages "fluorescents"

que vous pourrez nous apporter.

Pierre Simon

02.10.2017 16:42

Avec plaisir !

Nicolas Giraudeau

02.10.2017 16:34

Je serai très heureux d'echanger avec vous lors du prochain congrès de La SFT sur ce sujet. nous comparerons nos idées.

Pierre Simon

02.10.2017 16:18

la télé-odontologie se caractériserait alors par l'usage d'un DM financé par la SS et d'une TLE asynchrone et non d'une TLC

Pierre Simon

02.10.2017 16:16

Il est tout à fait possible de coller au décret si dans un Ehpad la demande d'un avis odontologique à partir d'une image provient du médecin traitant. On est alors dans une forme de TLE .

Pierre Simon

02.10.2017 16:12

NG a fait également des publications avec ces termes. Comme vous le dites ce n'est pas conforme au décret de 2010 et pour l'instant on est dans la santé connectée.

IC

02.10.2017 09:07

A la lecture du résumé de l'étude de Rennes, il s agît à priori de tester la qualité de la caméra et de la transmission de l'image par rapport à un examen en présentiel.

Pierre Simon

02.10.2017 16:08

Oui je confirme, j'ai vu également le résumé. On est donc toujours dans le modèle mis au point à l'université de Montpellier.

IC

01.10.2017 15:50

En France, quelles sont les activités de télé odontologie qui sont conformes au décret télémédecine et qui pratiquent la télé consultation synchrone ?

Pierre Simon

01.10.2017 16:19

Je viens d'avoir connaissance d'une thèse de télé ondotologie à l'université de Rennes. J'attends qu'on me la transfère

Pierre Simon

01.10.2017 16:14

Je ne connais que les pratiques "real-time teleconsultation" qui existent aux USA. En France, il semble que les CD s'inspirent de la méthode de NG "store-and-forward teleconsultation" .

DOCSAB

01.10.2017 15:38

Merci beaucoup pour cette mise au point ! :)))

IC

30.09.2017 23:32

Feront ils évoluer la définition de la télémédecine ? Et effectivement, SMR et efficience (hors personnes détenues) restent à prouver au delà du seul geste de depistage. La Cnamts sera attentive.

Pierre Simon

01.10.2017 08:07

Il est vrai que les CD ont encore du travail à accomplir pour démontrer le SMR et l'efficience de leurs pratiques soit par TLM, soit par le modèle de la santé connectée "store-and-forward"

IC

30.09.2017 23:24

S il ne s agît pas à ce jour d un acte de télé consultation ou de teleexpertise au sens du décret du 19/10/2010, les syndicats de CD devront mener les négociations annoncées avec la CNAMTS en 2018 ...

Pierre Simon

01.10.2017 08:04

La caméra qu'ils utilisent pour le dépistage a tous les critères d'un DM tels que définis dans le CSP.

IC

30.09.2017 23:20

Le CNCD vient de publier un rapport sur l accès aux soins des personnes âgées, handicapées, fragiles ... où le dépistage à distance est une des actions.

Pierre Simon

01.10.2017 08:03

A mon avis, soit ils mettent leurs pratiques en concordance avec le décret, soit ils négocient une prise en charge financière de leur caméra comme un DM.

IC

30.09.2017 23:15

Il va falloir modifier le décret télémédecine et organiser la prise en charge aval pour que l'accès aux soins soit complet si un geste technique est nécessaire à la suite du dépistage...

Pierre Simon

01.10.2017 08:00

Oui, le dépistage et la prévention sont des actions prioritaires qui sont désormais le champ d'action de la santé connectée.

IC

30.09.2017 23:10

Le chirurgien-dentiste lit ensuite la vidéo sans échange oral (si l'on peut dire) avec le patient. Donc une activite qui ne reproduit en rien une consultation à distance, ni une expertise.

Pierre Simon

01.10.2017 15:33

Merci à vous également. Tout à fait d'accord avec votre remarque. Il faudra peut être prioriser les pts avec effets nutritionnels négatifs dus à la mauvaise dentition.

IC

01.10.2017 15:25

Merci beaucoup pour ce partage. Dépister pour dépister sera probablement vain en terme de SMR si la prise en charge physique n est pas ensuite assurée.

Pierre Simon

01.10.2017 07:58

Il faut plutôt définir les conditions d'usage des outils de la santé connectée pour que la fiabilité et la sécurité des données personnelles soient garanties.

Pierre Simon

01.10.2017 07:48

Peut être ajouter la notion de TLC asynchrone et de TLE asynchrone, mais il faut laisser la possibilité de réaliser des actes synchrones

Pierre Simon

01.10.2017 07:45

On est dans un système de santé connecté, il y a d'autres solutions en télé-odontologie qui sont conformes au décret de TLM

IC

30.09.2017 23:05

Le dépistage buccodentaire effectué à distance est une activité asynchrone, une infirmière filme la bouche à l'aide d'une caméra puis la vidéo est envoyée et stockée sur un serveur.

Pierre Simon

01.10.2017 07:43

Une TLC pourrait être organisée avec ce système, notamment en Ehpad, à l'instar de ce que fait le cardiologue avec l'Echocardiographie en synchrone.

Pierre Simon

01.10.2017 07:41

Oui, c'est l'organisation choisie par l'équipe de Montpellier. Ce n'est pas de la TLM,mais de la santé connectée. En Australie, des TLE avec le dentiste généraliste sont réalisées.

Pierre Simon

01.10.2017 07:34

Oui, c'est le modèle organisationnel de Montpellier, "store-and-forward", mais dans d'autres études, notamment australiennes, l'examen à distance est fait en synchrone avec le dentiste.

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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