La téléconsultation en zone rurale, une priorité dans le Grand Débat ?

A entendre les maires ruraux interroger le président de la République lors des premières réunions du Grand Débat, la téléconsultation (TLC) en zone rurale serait une solution à la désertification médicale. Nos gouvernants le pensent, les maires ruraux l'espèrent.

Ce n'est pas un sujet spécifiquement français. Aux Etats-Unis, en Australie, au Canada ou en Europe du nord, la télémédecine, en particulier la TLC, s'est d'abord développée en zone rurale où les difficultés d'accès aux soins médicaux étaient les plus criantes. En France, la désertification médicale a des causes multiples (voir les billets "Crise de vocation " et "TLM/désert médical" dans les rubriques "On en parle" et "Edito de semaine). Les communes rurales ont beaucoup donné pour garder leurs médecins ou en faire venir de nouveaux : construction de maisons médicales bien équipées, offre d'un salariat exonérant le médecin de toutes charges de gestion, etc.). Malgré ces efforts pour attirer les nouvelles générations, beaucoup de communes ont échoué. Seraient-elles désormais en train de découvrir l'intérêt de la télémédecine ?

Cependant, il ne suffit pas de déclarer que la télémédecine va résoudre l'accès aux soins dans les zones rurales, pour que le problème soit résolu. La réalisation est plus complexe. Il faut que des conditions techniques, organisationnelles et humaines soient réunies.

Quelle est la couverture numérique de la France en 2019 ?

Lorsqu'on veut développer la télémédecine, il faut s'assurer que le réseau numérique est bien accessible, tant chez le médecin que chez les patients (voir le billet "les outils de la téléconsultation" dans la rubrique "le Pratico-pratique"). Sans réseau numérique doté d'un débit suffisant, il ne peut y avoir de TLC médicale par videotransmission.

Nos gouvernants actuels ont l'intention de connecter "chaque habitation" du territoire au très haut débit (THD) à l'horizon 2022. Lorsqu'on regarde la carte publiée sur le site de l'ARCEP (Agence de régulation des communications et de la Poste) en septembre 2018, montrant la couverture de la métropole en fibre optique (photo du billet), force est de constater que le THD est aujourd'hui déployé plus en zone urbaine qu'en zone rurale.

Le THD est-il absolument nécessaire pour faire une TLC médicale ? Non, s'il existe un bon réseau d'internet mobile (4G). Avec la 4G et bientôt la 5G, on peut obtenir une bonne videotransmission. On le vérifie chaque jour avec les applications Face Time, WhatsApp, Skype, etc. L'ARCEP donne comme définition d'une bonne couverture en 4G : pouvoir échanger des données à l’extérieur des bâtiments dans la plupart des cas. Habituellement, grâce à un débit descendant de bon niveau, la 4G permet de visualiser des images et des vidéos, comme celles de You Tube ou de Facebook, Instagram, etc.

Pour une TLC médicale de qualité (par videotransmission), il faut que les débits numériques descendants et montants soient symétriques (SDSL) et d'au moins 600 Kilobits/sec (écran HD) ou 1 Mégabit/sec (écran standard). Il faut que cette qualité soit assurée à chaque TLC programmée. Si on se réfère à la vidéo grand public (Face Time, WhatsApp, Skype), la qualité n'est pas toujours au rendez-vous. Pour une TLC médicale, les incidents techniques ne peuvent être qu'exceptionnels et non prévisibles. Une mauvaise qualité de la videotransmission ne peut être acceptée puisque l'on cherche à obtenir avec son patient une qualité de dialogue au moins égale à celle que l'on a lorsqu'il est présent physiquement. Comme l'a souvent rappelé le CNOM, la TLC ne peut être une forme dégradée de consultations médicale.

Du côté médical, les conditions d'un débit numérique suffisant sont généralement réunies. Il n'en est pas forcément de même du côté patient, surtout s'il habite en zone rurale.

L'ARCEP publie régulièrement l'état de la couverture de la métropole et de l'outre-mer en 4G (internet mobile). Il est facile d'y repérer les zones blanches (environ 20 à 30% du territoire en 2018).

Au 30 septembre 2018, la couverture en 4G allait de 69 à 81% pour la surface du territoire couvert par les différents opérateurs de réseau mobile  et de 92 à 98% pour l'accès de la population à l'internet mobile. Si plus de 90% de la population française a accès à la 4G, cela ne signifie pas que la performance du réseau 4G est la même 24h/24. Il y a des moments dans la journée où ce réseau peut être saturé.

L'accès au réseau satellitaire peut être envisagé dans les déserts numériques. C'est la situation que connaissent plusieurs régions d'outre-mer, notamment la Guyane où le développement de la télémédecine vers les Centres de santé situés dans la forêt amazonienne passe depuis plus dix ans par l'accès au réseau satellitaire. En métropole, le réseau satellitaire a déjà été utilisé dans des zones montagneuses très isolées, comme par exemple l'arrière-pays niçois. 

Les solutions technologiques sont ainsi diversifiées en zone rurale, mais sont-elles suffisamment sécurisées pour pratiquer une TLC médicale ? 

L'usage de la Wi-Fi (Wireless Fidelity), tant chez le patient que chez le médecin, pour réaliser une TLC avec échanges de données médicales, mérite quelques remarques sur la sécurité de ces échanges. 

Par définition, la WI-FI permet de partager une bande de fréquence sans fil entre plusieurs utilisateurs d'appareils informatiques (ordinateur, smartphone, modem internet, etc.). Le risque est un accès indu par un tiers des données relevant de la vie privée, du secret industriel, en médecine du secret médical. Lorsqu'on utilise la Wi-Fi dans un lieu professionnel ou une habitation privée, on constate qu'il existe de nombreuses autres connexions possibles dans le voisinage immédiat. On ne peut utiliser un WI-FI non sécurisé lorsqu'on réalise une TLC médicale.

Des moyens de protection sont nécessaires tant dans le cabinet médical que chez le patient. Le plus ancien moyen est l'utilisation d'une clé WEP (Wired Equivalent Privacy) communiquée seulement aux utilisateurs du réseau. C'est ce qui se passe au sein d'une famille lorsqu'on a une box qui collecte du THD par fibre, du réseau 3G et 4G, voire du réseau satellite. En fait, cette clé peut être facilement violée avec certains programmes. Pour améliorer la confidentialité, de nouvelles clés sont proposées (WI-FI Protected Access ou WPAn voire WPA2). On peut aussi utiliser un tunnel chiffré de type VPN (Virtual Protected Network).

Les opérateurs du réseau mobile développent de plus en plus le WI FI hotspot, non sécurisé, dans les lieux publics (gare, train, aéroport, centre-ville) pour décongestionner la bande passante utilisée par les réseaux 3G et 4G.

En parallèle aux accès non sécurisés par hotspot, le Wi-Fi peut être développé en zone rurale avec la technologie dite du "dernier kilomètre", notamment le WiMax (Worldwide Interoperability for Microwave Access). Il est utilisé pour permettre l'accès à l'internet haut débit dans les métropoles, les secteurs péri-urbains, les zones rurales qui n'ont pas d'infrastructure téléphonique filaire exploitable. Avec un débit de quelques dizaines de Mbits/sec, WiMax peut couvrir quelques dizaines de kilomètres. En médecine, il est déjà utilisé dans des zones hospitalières étendues. Cette solution technologique se développe aujourd'hui dans plusieurs départements français, notamment dans ceux touchés par la désertification médicale (zones rurales et montagneuses). Pour un usage médical, l'accès à WiMax doit être sécurisé.

Quelles sont les solutions organisationnelles et humaines pour réaliser une TLC en zone rurale ?

Nous avons déjà développé dans un billet précédent les choix technologiques possibles pour un médecin téléconsultant qui respecte l'avenant 6 de la Convention médicale, signé en juin 2018 avec la CNAM et publié au Journal Officiel dans un arrêté ministériel du 1er août 2018 (voir le billet intitulé "les outils de la téléconsultation" dans la rubrique "le Pratico-pratique"). Nous centrons notre propos dans ce billet sur les organisations professionnelles en zone rurale.

Peut-on chiffrer le besoin de TLC médicale  en zone rurale ?

Selon le rapport de la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques) publié en mai 2017, 98% de la population française était à moins de 10mn par la route d'un médecin généraliste. En fait, ce temps d'accès au professionnel le plus proche n'est pas suffisant pour évaluer l'accès aux soins. Il faut également tenir compte de la disponibilité des médecins, et c'est justement là que réside la tension entre l'offre et la demande. De plus en plus de médecins généralistes et spécialistes refusent de prendre de nouveaux patients.

D'où l'initiative de la DREES de définir un indicateur prenant en compte à la fois le temps d'accès au médecin généraliste et sa disponibilité, l'APL (Accessibilité Potentiel Localisée). 

L’APL permet de tenir compte conjointement de la proximité et de la disponibilité de l’offre médicale, mais aussi de l’âge de la population et de l’activité des médecins. D’après l'APL, 8 % de la population française a une accessibilité aux médecins généralistes inférieure à 2,5 consultations par an et par habitant. Cette faible accessibilité touche des espaces ruraux et urbains, mais les trois quarts de cette population résident en zone rurale. Cette population connaît une accessibilité moyenne deux fois plus faible que la moyenne nationale (5 à 6 consultations/an/habitant) (voir le billet "Désert médical et TLM" dans la rubrique "articles de fond").

L'étude de la DREES a identifié 4982 communes françaises (1 890 632 habitants) où l'indicateur APL était < 2,5 consultations/an/habitant. Les régions françaises les plus touchées sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, le Centre-Val de Loire, la Bourgogne-Franche-Comté, l'Auvergne-Rhône-Alpes et la Corse.

Cette étude suggère qu'il manquerait une quinzaine de millions de consultations médicales en zone rurale, dont une partie pourrait être réalisée par télémédecine. D'ici 2022, l'Assurance maladie a prévu de financer 2 à 2,5 millions de TLC.

Quelles organisations territoriales pourraient améliorer l'accessibilité des patients vivant en zone rurale aux médecins généralistes ?

Il faut d'abord augmenter le temps de disponibilité des médecins généralistes. Réduire leur temps administratif en leur allouant 4000 assistants médicaux, un des objectifs du plan santé 2022 présentée par la Ministre de la santé et des solidarités, permettrait à quelques 4000 à 10 000 médecins généralistes qui auront cette aide pour dégager par exemple dans leur planning deux nouvelles consultations médicales/jour. Ce serait alors de 2 à 5 millions de consultations médicales supplémentaires  qui seraient ainsi offertes aux populations rurales qui ont un APL < 2,5 consultations/an/habitant. Certaines de ces consultations pourraient être réalisées par télémédecine si le médecin traitant l'estime nécessaire, notamment lorsqu'une partie de sa patientèle réside en EHPAD (voir le billet "Désert médical et TLM" dans la rubrique "articles de fond").

Il faut une organisation territoriale qui gère cette ressource supplémentaire de consultations. Le plan santé 2022 crée les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui ont la mission, entre autres, de trouver une consultation médicale aux patients qui n'ont pas encore de médecin traitant ou aux patients dont le médecin traitant n'est pas disponible.

Le rôle des pharmaciens d'officine pour répondre à cette demande de consultations de patients vivant dans les zones isolées est essentiel et leur implication dans les CPTS est très attendue. Dans certains territoires, la pharmacie en zone rurale est souvent le dernier ilot de santé. Le plan santé 2022 s'appuie sur les pharmaciens d'officine pour faciliter les TLC avec le médecin traitant ou d'autres médecins du territoire (avenant 15 de la Convention pharmaceutique signé avec l'Assurance maladie le 6 décembre 2018). 

En résumé...

La TLC programmée en zone rurale, demandée par de nombreux maires, est aujourd'hui possible sur le plan technique et organisationnelle. On verra dans quelques mois si les moyens mis en place par les pouvoirs publics et l'Assurance maladie auront donné les résultats escomptés.

27 janvier 2019

 

 

 

Commentaires

Faiza

17.10.2022 13:29

Bonjour, je sais que vous avez écrit un article sur l'affaire des arrêts de travail dans le cadre de TLC, je n'arrive pas à le retrouver, je vous saurais gré de bien vouloir me mettre le lien.Merci+++

Pierre Simon

19.10.2022 14:16

Bonjour, j'ai cité cette dérive dans l'article récent :https://www.telemedaction.org/453424995
Bien à vous

Bruno Boutteau

03.02.2019 08:15

L'Anssi pourrait vous éclairer sur les moyens de sécuriser des échanges sur des réseaux publics réputés non sécurisés.

Pierre Simon

08.02.2019 17:03

Merci pour ces échanges riches. Deux questions néanmoins : comment informer les professionnels du terrain des solutions Anssi à mettre en oeuvre ? Qui doit les mettre en oeuvre ? L' ARS ? Le GCS ?

Bruno Boutteau

03.02.2019 08:13

Monsieur Batelier je suis ingénieur "data scientist" j'ai travaillé sur les réseaux confidentiels jusqu'en 1995, puis quelques années en cryptographie et opérateurs de confiance numérique.

Bruno Boutteau

08.02.2019 19:08

En fait les prestataires de services se doivent de le faire y compris pour des services dits grand public. Les ARS/Gcs essayont d'évaluer pour alerter en cas de manquement afin de préserver les PS

Bruno Boutteau

03.02.2019 08:03

L'utilisation des moyens cryptographiques est indispensable ainsi que de moyens Telecom à débit adaptés aux exigences de la solution de vidéo transmission retenue : wifi, 3g/4g, ethernet, fibre,...

Bruno Boutteau

28.01.2019 09:33

On ne peut utiliser un WI-FI non sécurisé lorsqu'on réalise une TLC médicale? A chacun sa spécialité, cette assertion est fausse. De même la recommandation du Wimax n'est pas pertinente. Désolé.

Thierry Batelier

01.02.2019 13:22

Par curiosité, quelle est votre spécialité ?
Pour ma part je suis ingénieur systèmes et réseaux, spécialiste de la e-Santé.

Thierry Batelier

01.02.2019 13:21

La TLC requiert un débit d'au moins 1Mb/s dans les 2 sens. le WiMax permet d'obtenir des débits de plusieurs dizaines de Mb/s sur une distance de plusieurs dizaines de km. Plutôt adapté, non ?

Thierry Batelier

01.02.2019 13:16

Techniquement, on peut utiliser une fourchette pour manger sa soupe. Est-ce une bonne idée ? Non.
Pour que ce soit clair : il ne faut pas utiliser de réseau Wi-Fi non sécurisé pour les TLC.

Pierre Simon

28.01.2019 12:01

Désolé pour la faute de frappe M. Boutteau

Pierre Simon

28.01.2019 11:59

M. Bourreau nous avons toujours du mal à nous comprendre sur la TLC. Une TLC doit se faire avec accès au dossier du patient d'où la sécurisation des échanges.

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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