"Lève-toi et marche": le miracle des algorithmes en santé connectée chez un tétraplégique

Hervé Bazin, lorsqu'il écrivit én 1952 son roman "Lève-toi et marche", ne pouvait imaginer que son héroïne, Constance, devenue paraplégique après un bombardement de 1944, pourrait retrouver un jour tous ses mouvements. L'évolution naturelle de cette maladie fut celle d'une mort prématurée.

Soixante-dix ans après la parution de ce célèbre roman, le Lancet publie "la preuve du concept" de la réhabilitation possible d'un tétraplégique.   

Dr A. Bolu Ajiboy, Francis R Willett, Daniel R Young et al Restoration of reaching and grasping movements through brain-controlled muscle stimulation in a person with tetraplegia: a proof-of-concept demonstration. Lancet, 28 mars 2017,             http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(17)30601-3

CONTEXTE

Les personnes atteintes de tétraplégie chronique, par lésion traumatique de la partie cervicale de la moelle épinière, peuvent retrouver des mouvements des membres paralysés par le biais d'une stimulation électrique coordonnée des muscles périphériques et des nerfs, appelées stimulation électrique fonctionnelle (SEF). Les systèmes SEF réalisent plusieurs mouvements volontaires qu'ils commandent, mais qui ne sont non reliés entre eux et qui sont limités en nombre (par exemple, l’activité musculaire du visage, mouvements de la tête, haussements d’épaules).

Nous montrons pour la première fois, chez une personne tétraplégique par lésion cervicale traumatique, la possibilité de coordonner des mouvements de son propre bras et de sa main paralysés pour atteindre et prendre un objet, grâce à des systèmes SEF implantés dans le cerveau et commandés par les propres signaux corticaux de la personne, par l'intermédiaire d'une interface entre le cerveau et un ordinateur intracortical implanté.

METHODE

Nous avons recruté une personne volontaire pour l’essai clinique « BrainGate2 », une étude de "preuve de concept" pour obtenir des informations sur la sécurité de la mise en place d’un dispositif intracortical en interface avec les neurones du cerveau, dans le but d’étudier la faisabilité de cette solution chez des personnes tétraplégiques, de contrôler les appareils et accessoires fonctionnant à partir des signaux corticaux transmis.

L’intervention neuro-chirurgicale  a été effectuée à l’hôpital de l’Université de Cleveland (Cleveland, OH, USA). L’étude des analyses de données et les différentes procédures ont été réalisées à l’Université Case Western Reserve (Cleveland, OH, USA) et, avec l’autorisation du Ministère des anciens combattants, au Veterans Affairs Medical Center Louis Stokes de Cleveland.

Le participant à cette étude était un homme de 53 ans rendu tétraplégique par une blessure cervicale accidentelle de la moelle épinière (niveau 4, American Spinal Injury Association déficience Scale catégorie A). Il a d’abord reçu deux dispositifs de microélectrodes implantés en intracortical dans les zones du cortex moteur de la main. Puis, 4 mois et 9 mois plus tard, il a reçu un total de 36 électrodes implantés en percutanées dans son bras droit supérieur et inférieur, visant à stimuler électriquement la main, le coude et les muscles des épaules. Cette personne a utilisé un support de bras mobile et motorisé d’assistance gravitationnelle afin de fournir une abduction et une adduction humérales sous contrôle cortical.

Nous avons évalué la capacité du participant à commander lui-même par son cortex cérébral le bras paralysé, afin d’exécuter des mouvements coordonnés de la main et du bras, ainsi que des mouvements multi-articulaires synchrones, fonctionnellement significatifs. Cette expérience a été comparée à la mobilisation d’un bras virtuel en trois dimensions. Cette étude est enregistrée dans ClinicalTrials.gov, numéro NCT00912041

RESULTATS

L’implantation intracorticale a eu lieu le 1er décembre 2014, et nous continuons à suivre depuis cette personne. La dernière séance incluse dans le présent rapport date du 7 novembre 2016. Les séances d’acquisition d’une cible « point à point » ont débuté le 8 octobre 2015 (311 jours après la mise en place de l’implant). Le participant à l’étude a commandé avec succès par son cortex des mouvements multi-articulaires et coordonnés du bras et de la main pour des acquisitions cibles de "point à point" (80 – 100 % d’exactitude), en utilisant tout d’abord un bras virtuel et ensuite son propre bras animé par les systèmes SEF. À l’aide de son bras paralysé, le participant a pu effectuer une progression auto-contrôlée. Ainsi, il est parvenu à boire seul une tasse de café (réussissant 11 des 12 tentatives au sein d’une seule séance, 463 jours après la mise en place de l’implant), ainsi qu'à se nourrir (722 jours après la mise en place de l’ implant).

CONCLUSION

A notre connaissance, c’est la première fois qu’un système SEF implanté dans le cerveau comme une neuroprothèse parvient à restaurer des mouvements coordonnés par le cerveau et ciblés sur des gestes de la vie courante, chez une personne en tétraplégie chronique, suite à une blessure accidentelle de la partie cervicale haute de la moëlle épinière. Cette étude de "preuve de concept" représente une avancée majeure vers la mise en place dans le cerveau de neuroprothèses pour restaurer les mouvements des membres après l’installation d’une paralysie périphérique liée à l'atteinte de la moëlle épinière.

COMMENTAIRES Il s'agit d'une avancée considérable de la santé connectée fondée sur des systèmes algorithmiques. Cette avancée médicale ne concerne pas les paralysies d'origine centrale (post-AVC, par exemple). Elle ne concerne que les paralysies traumatiques de la moëlle épinière qui sont dues à l'interruption des flux neuronaux en provenance du cerveau. Il faut donc un cerveau totalement sain pour pouvoir mettre en place ces neuroprothèses intracorticaux et obtenir de tels résultats. Cette étude est porteuse de grands espoirs d'un retour à une vie sociétale quasi normale pour les accidentés de la moëlle épinière, souvent jeunes, qui, jusqu'à présent, devenaient définitivement paraplégiques ou tétraplégiques. Nous sommes dans le devenir d'un homme réparé par les nouvelles technologies médicales.

Commentaires

Bruno Boutteau

02.04.2017 14:06

Comme le dit Hugh Herr, ce n'est pas l'homme qui est handicapé mais la société qui n'est pas en capacité de l'accompagner : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Hugh_Herr

Pierre Simon

03.04.2017 18:51

Excellente remarque que je partage !

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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