Trois vérités pour aider les autorités sanitaires à accélérer dès à présent le développement de la télémédecine.

On ne peut que se réjouir de lire dans la feuille de route remise par le Premier Ministre à Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, la volonté de développer rapidement la télémédecine, notamment en modifiant le cadre législatif existant

La pratique de la télémédecine n'est que l'aboutissement d'un processus qui implique de nombreux métiers.

Tous contribuent à ce que l'objectif final, l'exercice de la médecine à distance, ait une qualité telle que le service médical rendu (SMR) aux patients soit au moins égal, sinon supérieur, au SMR sans télémédecine, à la condition que le besoin soit bien ciblé. On peut en dire autant de l'usage des outils de la santé connectée dans la coordination des soins.

Tous les métiers qui contribuent à la réussite de cette transition entre la médecine non digitale du XXème siècle et celle devenue digitale du XXIème sont regroupés sous la dénomination commune des "tiers technologiques". Ils concernent les métiers de l'information (Ingénieurs informaticiens, hébergeurs de données personnelles, spécialistes du Big Data et de l'intelligence artificielle, etc.) et ceux de la communication (opérateurs et conciergerie de réseau numérique, fournisseurs de systèmes de visioconférence ou de webcam, fournisseurs de dispositifs médicaux, d'objets connectés et d'applis à finalité médicale,etc.). La qualité, l'efficacité et la sécurité du dispositif de télémédecine dépend de tous ces métiers.

Il ne faut pas oublier le rôle des nouveaux métiers créés par le numérique : celui des juristes spécialisés dans le champ de la télémédecine et de la santé connectée dont l'accompagnement des nouvelles organisations et pratiques professionnelles est essentiel en France, car nous avons un droit médical particulièrement riche, mais aussi complexe, celui des économistes de la santé qui contribuent à construire avec les acteurs de terrain un modèle économique pérenne de la télémédecine et de la santé connectée, celui des coordonnateurs de télémédecine et de ceux qui assurent l'accompagnement thérapeutique lorsque la télémédecine, formidable outil d'éducation à la santé et thérapeutique, s'adresse en particulier aux patients atteints de maladies chroniques. Et bien d'autres nouveaux métiers encore créés par la santé connectée....

On mesure ainsi l'importance d'un projet médical de télémédecine et de santé connecté,  qui intégre les interventions de tous les métiers précédemment cités. Ce projet médical est une condition essentielle de réussite.

Trois vérités pour éclairer les autorités sanitaires sur la manière d'accélérer dès à présent l'usage de la  télémédecine et de la santé connectée dans les secteurs ambulatoire et hospitalier.

On peut se permettre d'être un peu iconoclaste quand il s'agit d'innovation organisationnelle et de bouleversement des pratiques professionnelles de la médecine du XXIème siècle, après avoir tiré les leçons de certains échecs depuis le programme national prioritaire lancé en juin 2011 (voir sur ce site le billet intitulé "Prévenir l'échec" dans la rubrique "Pratico-pratique").

1) L'absence de programme de formation à la télémédecine et à la  santé connectée pour les professionnels de santé en activité a contribué grandement à certains échecs.

S'agissant d'un bouleversement des pratiques médicales et des organisations professionnelles, tant dans le secteur sanitaire ambulatoire que dans le secteur public hospitalier, une formation adaptée aux acteurs déjà engagés dans la vie professionnelle nous a toujours semblé indispensable, notamment pour expliquer l'intérêt d'un projet médical de télémédecine. Et cela a été régulièrement rappelé aux autorités sanitaires par la Société Française de Télémédecine depuis 2012. De récentes enquêtes (Sofres, APHP, etc.) révèlent qu'aujourd'hui plus de 70% des médecins libéraux ou salariés, et autres professionnels de santé interrogés, ignorent encore ce qu'est la télémédecine et ses indications. Seulement 20% en ont entendu parlé.

Il est curieux que les OPCA (Organismes Paritaires Collecteurs Agréés) des branches sanitaire et médico-social ne se soient pas encore mobilisés sur ce sujet. Quand à l'OGDPC, elle n'a pas voulu reconnaitre les formations proposées par la Société Française de Télémédecine (voir sur ce site le billet "TLM et OGDPC" dans la rubrique "Edito de semaine"). Les premiers DIU (Bordeaux, Caen, Lille, Besançon, Nantes et Montpellier) sont apparus seulement en 2016, à l'initiative de la Société Française de Télémédecine, et un nouveau DU, plus orienté sur la santé connectée, est lancé à Paris pour l'année universitaire 2017-18.

Pour les nouvelles générations de médecins, bien qu'elles soient plus "geek" que les anciennes, une formation délivrée par la Faculté de médecine est nécessaire. On peut s'étonner que depuis dix ans, peu d'Universités aient pris l'initiative d'intégrer au cursus universitaire médical la télémédecine et la santé connectée (voir sur ce site le billet "Que fait donc la fac" dans la rubrique "Edito de semaine").

Pour le lecteur, on rappelle qu'un OPCA a en charge de collecter les obligations financières des entreprises en matière de formation professionnelle. Dans le domaine du sanitaire, social et médico-social, on dénombre deux OPCA : l'UNIFAF pour le secteur privé et l'ANFH pour la fonction publique hospitalière, qui récoltent ensemble plus d'un milliard d'euros chaque année pour la formation des professionnels de santé. 

Tout ce qui a été publié par le Ministère de la santé depuis 2012 : le programme national prioritaire avec les 5 thèmes déclinés dans chaque région par les ARS, les différents articles 36 de la LFSS 2014 et 91 de la LFSS 2017, les arrêtés du programme ETAPES de 2016, tous ces textes sur les programmes officiels de télémédecine sont le plus souvent ignorés des acteurs de terrain. Comment peut-on alors pratiquer la télémédecine si on ne connait pas les programmes prioritaires mis en oeuvre par les pouvoirs publics pour répondre à des problèmes d'accès aux soins ? Est-il normal, par exemple, que certains CHU ne considèrent pas le télé-AVC comme un enjeu institutionnel prioritaire alors que cette nouvelle organisation vise à diminuer les pertes de chance dues aux difficultés d'accès à la thrombolyse ?

Il est vrai que les livres blancs du CNOM et les contributions de la Société Française de Télémédecine ( voir sur ce site la rubrique "Livres") ont pu jouer un rôle dans la formation des professionnels de santé en activité, mais cela n'a pas été suffisant pour accélérer le développement.

Il nous semble urgent de mettre en place dès 2018 un vaste programme de formation aux pratiques professionnelles de télémédecine et de santé connectée. Les pouvoirs publics pourraient confier ce programme de formation aux OPCA du sanitaire et du médico-social, ce qui aurait l'avantage d'être accessible gratuitement à tous les professionnels de santé concernés.

2) Les centaines de millions d'euros d'argent public données depuis 2012 aux investisseurs de la santé connectée et aux promoteurs de dispositifs de télémédecine n'ont pas créé de dynamique de développement.

Nous pensons que les raisons sont multifactorielles.

La durée de vie d'une solution technologique numérique est brève. Si le produit subventionné par l'argent public ne trouve pas rapidement son propre marché, il disparaît et la société avec. Par exemple, combien de valises de télémédecine ont été vendues en France à certaines structures sanitaires depuis 2010, qui n'ont jamais été utilisées et dont la technologie est aujourd'hui dépassée. De plus, la société ayant fait faillite, les rares valises encore utilisées ne peuvent bénéficier d'un service de maintenance.

Un outil numérique n'a jamais créé une organisation professionnelle. C'est au contraire le projet médical de télémédecine, avec le cahier des charges technologique qui en découle, qui permet de créer un marché des TICs.

La télémédecine n'est pas un gros marché pour les industriels du numérique, il a été chiffré par le SYNTEC en 2013 à moins de 200 millions d'euros par an. Le marché n'est donc pas le bon indicateur pour juger du développement de la télémédecine.

La télémédecine doit réaliser un volume suffisant d'activité médicale pour que les bonnes pratiques décrites dans les formations ad hoc deviennent pérennes, dans un modèle économique maitrisé. La qualité d'une pratique médicale dépend généralement d'un seuil minimum d'activité. La télémédecine n'échappe pas à cette règle. Trop de projets lancés depuis 2012 ont une activité insuffisante pour devenir pérenne.

La santé connectée est par contre un plus gros marché, chiffré par le SYNTEC a plus d'un milliard d'euros par an. Il est donc tentant pour les industriels de considérer que les nouvelles pratiques professionnelles en santé numérique se résumeront à l'usage d'outils de la santé connectée, ce qui assurerait un marché rentable. Toutefois, la richesse du droit médical français conduit à une certaine prudence, car l'usage de certains objets connectés et applis mobiles à finalité médicale peut se révéler avoir plus de risques que de bénéfices pour les patients lorsque les règles de fiabilité et de sécurité ne sont pas respectées (voir sur ce site le billet "Référentiel HAS" dans la rubrique "On en parle").

Enfin, l'absence de financement des pratiques professionnelles de télémédecine chez les médecins libéraux jusqu'en 2016-17 a fortement freiné le développement du programme prioritaire de 2011 dans le secteur ambulatoire (télésurveillance des maladies chroniques à domicile, télémédecine en EHPAD) et a favorisé son développement dans le secteur hospitalier qui pouvait financer ces nouvelles pratiques dans la T2A (permanence des soins en téléradiologie, télé-AVC, télémédecine dans les prisons).

C'est donc sur le financement des professionnels de santé qui s'engagent dans les pratiques de télémédecine qu'il faut aujourd'hui porter l'effort financier. Il faut reconnaître que la nouvelle équipe politique qui vient de prendre les rênes du pays l'a bien compris si l'on en juge par les récentes initiatives prises par la CNAMTS qui ajoute un avenant "télémédecine" à la Convention médicale 2016 et qui annonce le 9 juin dernier le financement de ces pratiques nouvelles dans le droit commun de la sécurité sociale dès 2018 (voir sur ce site les billets "TLM du président" et "CNAMTS/TLM" dans la rubrique "On en parle"). 

3) La revision du cadre réglementaires est certainement utile mais ne sera pas suffisante pour accélérer le développement de la télémédecine.

Il ne faut pas refaire les erreurs du passé. Se lancer dans une révision législative et réglementaire de la télémédecine et de la santé connectée, comme l'a annoncé la Ministre des solidarités et de la santé, c'est prendre le risque de nouveaux blocages, comme ce fut le cas pour le fameux article 36 de la LFSS 2014 qui aura mis trois ans à entrer en vigueur (art.91 de la LFSS 2017).

Il faut redonner de l'initiative aux médecins, sachant que la télémédecine n'est qu'une pratique médicale parmi d'autres, et que le médecin traitant doit avoir la liberté de construire lui-même ses pratiques médicales au XXIème siècle en fonction du lieu où il exerce. On n'a jamais encadré réglementairement les pratiques de la médecine du XXème siècle.

Ceci étant dit, l'auteur de ce billet pense que le décret de 2010, dans ses deux premiers chapitres, a une vocation pédagogique, notamment pour aider les professionnels de santé à écrire un projet médical de télémédecine.

Il faut revoir le 3ème chapitre du décret qui concerne l'organisation contractualisée avec les Agences Régionales de Santé (ARS). Les ARS ont souvent aidé les professionnels de santé à structurer leur projet médical et leur organisation. Il faudrait maintenir dans le décret cette possibilité d'assistance ou d'accompagnement d'un projet de télémédecine, sans qu'il y ait la contrainte d'une contractualisation. 

Il faut clarifier dans le premier chapitre du décret ce qu'est une plateforme publique ou privée de téléconseil médical personnalisé, nécessaire aujourd'hui pour répondre au besoin d'immédiateté de la société numérique (voir sur ce site les billets "téléconseil médical (1) et (2) dans la rubrique "Le pratico-pratique") et pour désengorger les cabinets de consultation de soin primaire.

Ces plateformes, par leur fonction d'orientation dans le parcours de soin primaire, peuvent avoir un impact sur la fréquentation des services d'urgence, comme cela a été démontré dans d'autres pays européens. La plateforme de teleconseil développé en Suisse (Medgate, Medi24) depuis 15 ans pourrait servir de modèle. Il faut que cet accès soit gratuit pour tous les citoyens français pour mettre fin à l'ubérisation galopante que nous constatons aujourd'hui (voir sur ce site le billet "TLM et ubérisation"dans la rubrique "Edito de semaine"). 

Il faut certainement revoir le décret de télémédecine de 2010 pour l'actualiser aux besoins actuels de la société et des professionnels de santé. C'est utile, mais pas suffisant pour accélérer le développement de la télémédecine en France.


5 juillet 2017

Commentaires

Paul Pilichowski

07.01.2018 17:51

D'accord avec l'auteur:
la puissance publique a un obligation de déploiement des moyens (plateformes numériques santé) et devrait abandonner l'idée d'en réglementer l'usage, de façon tatillonne.

Pierre Simon

08.01.2018 11:26

Les pouvoirs publics français ne sont pas les plus tatillons au plan réglementaire. le secteur public américain l'est davantage. Le sujet est celui de l'ubérisation ou non de la e-santé et de la TLM !

Philippe AUVRAY

20.07.2017 06:50

Pour avoir mis en place une solution de télé-médecine je partage cet avis. La télé-médecine est un outil, et le plus bel outil sans une formation et une bonne utilisation ne sert à rien

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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