Comment l'IA pourrait aider au développement de la téléradiologie programmée hyperspécialisée

Comme la téléconsultation en médecine de soin primaire (voir le billet TLC en méd. libérale dans la rubrique "Edito de semaine"), la téléradiologie peine parfois à se développer parce que la demande croissante d'imagerie médicale sature les organisations médicales existantes, qu'elles soient hospitalières ou libérales. La téléradiologie est alors vécue par les praticiens radiologues publics et privés, comme une activité nouvelle qui vient se surajouter à une activité existante déjà totalement saturée.

On retrouve également chez les jeunes radiologues le désir de protéger leur vie privée et de ne pas faire plus d'heures de travail ou de permanence des soins que leur précisent le statut et la réglementation. 

L'évolution future de l'imagerie médicale avec l'usage de l'IA peut aider à développer la téléradiologie. C'est ce que nous allons tenter de montrer dans ce billet en s'appuyant notamment sur une récente analyse de l'IA en radiologie réalisée par le Pr Emle Pakdemirli, Professeur de radiologie au West Hertfordshire Hospitals NHS Trust, St. Albans City Hospital, St. Albans, UK. L'IA sera t'elle l'amie ou l'ennemie (friend or foe) du médecin radiologue ?

Pakdemirli E. Artificial intelligence in radiology: friend or foe? Where are we now and where are we heading ? Acta Radiol Open. 2019 Feb 21;8(2):2058460119830222. doi: 10.1177/2058460119830222. eCollection 2019 Feb. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6385326/pdf/10.1177_2058460119830222.pdf

La place de l'IA en radiologie est l'objet d'articles scientifiques de plus en plus nombreux

Jusqu'en 2016, aucun article scientifique touchant à l'IA en radiologie n'avait été soumis à la prestigieuse revue américaine Radiology, journal officiel de la Société de Radiologie de l'Amérique du Nord (Radiology Society of North America ou RSNA). Trois articles étaient soumis et acceptés en 2016, 17 en 2017, 10% de la totalité des soumissions en 2018. La RSNA décide de créer au début de l'année 2019 un nouveau journal ; Radiology : Artificial Intelligence. (Image du billet)

Cette progression quasi exponentielle du nombre annuel d'articles scientifiques consacrés à l'IA en radiologie annonce un changement d'exercice de la radiologie traditionnelle. Les plus pessimistes parlent de disparition du médecin radiologue, les plus clairvoyants parlent d'un médecin radiologue en devenir, plus compétent et capable de diagnostics plus performants. Par exemple, l'imagerie médicale des tumeurs hépatiques traitée par l'IA sera capable de faire le diagnostic différentiel entre la métastase d'un cancer ou une tumeur d'une autre origine. 

L'IA permet au médecin radiologue de retrouver du temps médical en le déchargeant de l'interprétation réglementaire des  examens non programmés effectués dans les services d'urgences.

L'activité des services d'urgences hospitaliers n'a fait que croître depuis leur création en 1995. On estime aujourd'hui à plus de 20 millions le nombre de venues chaque année dans ces services. Les urgences véritables nécessitant une hospitalisation ne représentent que 20% de ces venues, 80% n'étant que de simples passages relevant souvent de la compétence des soins primaires que le médecin traitant n'a pas pu prendre en charge.

Chaque passage génère souvent un véritable "check up"  médical dont des examens radiologiques "non programmés" font partie. Ce "check up " a été évalué par la Cour des Comptes en 2007 à 250-300 euros par passage. Réglementairement, l'interprétation d'un examen radiologique doit être faite par le médecin radiologue de garde. Les centres hospitaliers périphériques n'ont plus suffisamment de ressources médicales pour assurer une permanence des soins en radiologie et les directions hospitalières font appel depuis une dizaine d'années à des plateformes de téléradiologie qui assurent les interprétations de l'activité radiologique nocturne et parfois diurne de l'établissement. Plusieurs études ont montré que plus de 85% des clichés radiologiques soumis aux plateformes de téléradiologie pour interprétation se révèlent être a posteriori des clichés normaux.

Selon le rapport de la Cour des Comptes de 2016, la demande d'examens radiologiques ne cesse de progresser avec l'allongement de l'espérance de vie. Nous serions passés en dix ans d'une moyenne de 1125 à près de 1500 examens pour 1000 habitants. Mais cette progression pourrait être également expliquée par des demandes non pertinentes, en particulier des actes redondants que la Cour évalue à 40% de la totalité des actes radiologiques. C'est un nombre important que la Cour explique par le manque de coopération entre le secteur public et le secteur privé. En 2016, le coût de l'imagerie médicale, supporté par l'Assurance maladie, était de 6 milliards d'euros. Si les conclusions de la Cour des Comptes sont prises en compte, une dépense de 2,4 milliards d'euros pourrait être évitée.

Une des premières indications de l'IA en radiologie serait de faire le tri entre les clichés normaux et les clichés anormaux, ces derniers étant alors pris en charge par le médecin radiologue pour une interprétation diagnostique plus approfondie tenant compte des données cliniques dont ne dispose pas l'algorithme de l'IA. Les solutions algorithmiques qui doivent permettre ce tri doivent avoir un niveau de spécificité et de sensibilité qui assure l'absence de faux positifs et de faux négatifs (indice 1 ou très proche). Ces solutions algorithmiques commencent à être proposées aux établissements de santé.

Le diagnostic radiologique approfondi par deep learning est encore l'objet d'intenses recherches. Cette étape interviendra ultérieurement et sera pour le médecin radiologue hyperspécialisé dans l'imagerie de coupe plus une aide au diagnostic qu'une substitution totale à l'interprétation humaine. L'IA devient alors l'ami du médecin radiologue et non son ennemi ! La radiologie interprétée par l'IA ne peut se passer d'une confrontation avec les données cliniques que possède le médecin radiologue, ce que ne peut faire le deep learning, du moins aujourd'hui. Il existe un décalage entre ce qu'affirment les sociétés commerciales de l'IA et la réalité scientifique  telle que publiée dans les revues internationales scientifiques avec peer review.

Mettre en place des solutions d'interprétation par l'IA pour développer la téléradiologie programmée, en particulier hyperspécialisée.

L'IA va redonner du temps médical aux radiologues en supprimant l'interprétation humaine pour environ 40% des examens radiologiques, surtout les non-programmés. Ce temps médical retrouvé permettra la poursuite du développement d'une imagerie de coupe (scanner, IRM) hyperspécialisée au niveau des organes. C'est ce que souhaitent les jeunes générations de radiologues, qu'ils soient publics ou privés. De plus, cette hyperspécialité peut donner au médecin radiologue une notoriété territoriale, régionale, voire interrégionale ou nationale.

Le besoin d'une interprétation par l'hyperspécialiste en imagerie médicale s'exprime d'abord au niveau d'un territoire de santé (le département), éventuellement au niveau régional ou interrégional. De nouvelles organisations médicales au niveau du territoire de santé ou de la région doivent se mettre en place et la télémédecine sera un moyen utile pour leur plein exercice. 

La refondation des missions des établissements de santé périphériques prévue par la loi "Ma santé en 2022" nécessite l'usage de la télémédecine pour assurer un parcours gradué et coordonné des patients au sein du territoire de santé. C'est ce que prévoient certaines filières de soins des Groupements Hospitaliers de Territoire (voir le billet "GHT et TLM" dans la rubrique "On en parle"). La téléradiologie programmée de 1er recours ou hyperspécialisée fait partie des solutions qui permettront de maintenir les patients dans les établissements de proximité, tout en leur assurant une expertise médicale de qualité.

Comme la téléconsultation médicale a débuté par de la "téléconsultation non programmée" répondant à des demandes de santé immédiates de citoyens qui ne pouvaient joindre leur médecin traitant ou qui n'en avaient pas, ce qui a conduit au développement de plateformes commerciales nationales de téléconsultation, la téléradiologie a connu elle aussi le stade des examens non programmés demandés dans le cadre des check up réalisés lors des passages aux services d'urgences au cours de la permanence des soins, ces demandes non programmées ayant été à l'origine du développement de plateformes commerciales de téléradiologie. Certaines de ces plateformes ont apporté une aide réelle et de qualité à des établissements de santé universitaires (DOM) et à des petits hôpitaux qui étaient en manque de ressources médicales et qui ne pouvaient assurer la permanence et/ou la continuité des soins en radiologie. 

La téléradiologie programmée doit désormais faire partie des organisations coordonnées territoriales

Si l'IA peut libérer le radiologue de l'interprétation d'examens normaux (a postériori) en  effectuant un premier tri des demandes non programmées d'imagerie (hors situation d'urgence), il devient possible pour le médecin radiologue de retrouver du temps médical pour développer une pratique programmée de la radiologie hyperspécialisée. Il en est de même pour la téléradiologie au sein des organisations coordonnées territoriales. 

Le respect des 2 grands principes définis par les partenaires signataires de l'avenant 6 de la Convention médicale pour la téléconsultation peut tout à fait s'appliquer aux nouvelles organisations de téléradiologie programmée : une orientation initiale par le médecin traitant qui a en charge le patient vers le radiologue téléconsultant ou téléexpert qui interprétera, et la connaissance préalable du dossier médical du patient par le médecin radiologue téléconsultant ou téléexpert, en conformité avec le décret de télémédecine revisité le 13 septembre 2018. 

Comme pour la permanence des soins (PDS) en médecine générale, la PDS en téléradiologie pourrait relever d'une organisation coordonnée territoriale, publique et privée, portée par les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). La mutualisation de plateformes territoriales d'appui à la continuité et à la permanence des soins au sein du territoire permettrait un développement de la télémédecine entre la ville et l'hôpital et entre les établissements de santé, notamment ceux des GHT. Une plateforme de téléradiologie territoriale y a toute sa place.

En résumé, avec la loi Ma santé en 2022, nous pouvons voir émerger au niveau des territoires de santé de nouvelles organisations professionnelles qui pourront s'appuyer sur les solutions de l'IA, de la santé connectée et de la télémédecine. Grâce à l'IA, la téléradiologie programmée hyperspécialisée peut se développer au niveau territorial et régional.

13 mars 2019

 

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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