Quand peut-on parler de "Digital Therapeutic" (thérapeutique numérique) ?

"Digital thérapeutic" est un terme largement utilisé dans les pays de langue anglaise. A quoi peut-il correspondre en France ? Faut-il parler de "thérapeutique numérique " ? Nous commentons dans ce billet un récent article américain, considéré comme un "state of the art" sur le sujet. Les auteurs ont un lien d'intérêt avec le laboratoire pharmaceutique Novartis.

Sverdlov O, van Dam J, Hannesdottir K, Thornton-Wells T.

Clin Pharmacol Ther. 2018 Jul;104(1):72-80. doi: 10.1002/cpt.1036. Epub 2018 Feb 23. Review.

 

Les auteurs donnent la définition suivante du "Digital Therapeutic":

"Une nouvelle  modalité de traitement dans laquelle les systèmes numériques tels que les applications pour smartphones, après avoir été approuvées par la réglementation, sont prescrites pour des interventions thérapeutiques dans le but de traiter des situations médicales".

Le contexte

Les auteurs soulignent les changements profonds de la recherche pharmacologique au XXIème siècle. Ils rappellent le coût exorbitant (près de 2,6 milliards de dollars en 2013) de la recherche et développement dans le médicament avec seulement 9,5% de médicaments commercialisés. La tendance depuis quelques années est aux traitements de plus en plus personnalisés, ce qui est souhaité par la FDA avec son célèbre slogan "the right treatments to the right patients at the right time", que l'on traduirait dans un français plus affiné comme "les traitements appropriés aux bons patients et au bon moment". Cela a conduit l'industrie pharmaceutique à évoluer dans ses propres objectifs de recherche et de développement en réfléchissant à l'association du "bio-pharma" et des thérapeutiques numériques.

D'où l'idée, depuis le début du XXIème siècle, d'investir dans les technologies numériques, en particulier celles qui auraient un impact direct sur le diagnostic des maladies et de leurs complications, sur la prévention primaire, secondaire et tertiaire (voir le billet intitulé "Prévention et TLM" dans la rubrique "le Pratico-pratique" ) ainsi que sur le surveillance ou le traitement des maladies (voir les billets "DM et SMR" dans la rubrique "On en parle", "TLM/Ehealth en 2018" dans la rubrique "le Pratico-pratique, "IoT et EBM" dans la rubrique "Articles de fond") .

Les auteurs américains pensent que la nouvelle recherche doit associer désormais le classique "Bio/Pharma" et l'usage des technologies numériques afin d'aboutir à une médecine "digitale" ou numérique. Ils définissent cette médecine "digitale" comme l'usage « de produits technologiques ayant une validation clinique rigoureuse et ayant un impact direct sur le diagnostic,  la prévention, la surveillance ou le traitement  d'une  maladie, l'état ou le syndrome". Cette médecine "digitale" serait sensée remplacer à terme la médecine clinique traditionnelle, contribuant à faire passer le système de santé au niveau de la technologie numérique du 21ème siècle.

Quelles sont les technologies numériques utilisées en recherche clinique ?

1) Les e-plateformes en ligne peuvent recevoir et stocker les données des essais cliniques. Le but de leur usage est d'améliorer la conduite d'un essai clinique. Les avantages sont effectivement nombreux : un recrutement plus rapide de patients, une communication plus efficace entre les différents acteurs de l'essai, un process d'information des patients et de consentement éclairé amélioré, une meilleure compliance des patients à l'essai, une réduction des "perdus de vue" et la possibilité de décentraliser les essais vers le domicile des patients. Il existe cependant des difficultés à surmonter : le risque de sélectionner des sous-groupes de patients, une mise en oeuvre plus difficile des process de qualité vis à vis des données recueillies, un engagement moins important des patients dans l'essai clinique, la nécessité d'un contrôle rigoureux et permanent de la sécurité de la e-plateforme.

2) La capture de données par voie électronique (EDC pour Electronic Data Capture) et les résultats rapportés par le patient par voie électronique (ePRO pour Electronic Patients-Reported Outcome) sont des systèmes qui permettent aux patients de saisir et de transmettre en toute confidentialité et sécurité leurs propres données de santé nécessaires à l'essai. Les avantages sont un meilleur coût/efficacité par rapport à l'usage du papier et une possibilité d'analyser plus tôt et de façon régulière les données soumises par les patients. Des difficultés doivent cependant être surmontées, à savoir la possibilité d'erreurs par les utilisateurs de la e-plateforme, la nécessité d'un entraînement préalable à son usage, des conflits possibles de workflow. Ainsi, pour obtenir des résultats fiables et significatifs dans un essai médicamenteux, le prérequis est que le patient puisse fournir par voie électronique ses propres données en toute sécurité. La FDA et l'Agence européenne du médicament (EMA) recommandent désormais l'usage de ces outils dans les essais cliniques de médicaments, 

3) L'évaluation des impacts numériques d'une action thérapeutique (Digital endpoints). C'est une innovation particulièrement utile pour améliorer l'évaluation d'un impact des traitements médicamenteux ou leurs bénéfices. Cette technologie a été surtout appliquée aux maladies du système nerveux central. Evaluer l'effet d'un traitement grâce à l'usage de l'IRM cérébral est beaucoup plus performant que les évaluations cliniques traditionnelles qui nécessitaient pour de petits effets significatifs des cohortes de patients très importantes. Avec les nouvelles techniques reposant sur la visualisation des impacts numériques d'un traitement, comme par exemple avec l'IRM cérébral, le nombre de patients atteints de maladies neurologiques pour évaluer un tel impact vu à l'IRM peut être limité. Ce qui génère des coûts moindres de l'essai.

4) Les thérapeutiques "digitales" ou "numériques". Elles ont pour but(s) d'améliorer l'impact d'un traitement médicamenteux. Les avantages sont les suivants : réduction du temps entre la conception d'un traitement et sa diffusion, une approche plus sécurisée, moins coûteuse et plus accessible à la condition qu'elle soit préalablement autorisée, particulièrement intéressante chez les enfants avec les jeux (serious games) à visée thérapeutique. Il faut cependant rester vigilant, car la preuve d'une efficacité scientifique de ces thérapeutiques "digitales" est encore rare. De plus, la conception d'essais cliniques utilisant les thérapeutiques digitales peut ne pas être simple car l'évolution constante des technologies rend leur évaluation difficile.

S'agissant de la reconnaissance par la FDA d'une application mobile à finalité médicale installée sur un smartphone, la photo illustrant ce billet montre la démarche suivie aux Etats-Unis pour obtenir le label de "medical device" par la FDA (le dispositif médical en France autorisé par la HAS et L'ANSM), plus rigoureuse que ce qui est proposé en Allemagne par les assureurs.

Quelles sont aujourd'hui les attentes en matière de thérapeutiques digitales ou numériques ?

Il ne s'agit pas de faire ici une liste exhaustive des travaux de recherche en cours. (Le lecteur intéressé pourra se référer à l'article qui a une bonne bibliographie). Comme cela a déjà été dit, l'ambition de ces thérapeutiques dites "numériques" ou "digitales", représentées essentiellement aujourd'hui par des applications mobiles sur smartphone (considérés en France comme des dispositifs médicaux lorsqu'ils ont démontré un service médical rendu ou SMR par une méthode scientifique), est d'obtenir un traitement plus personnalisé dans certaines maladies chroniques comme par exemple la maladie mentale, le diabète, le cancer, etc.

En matière de maladie mentalethe American Psychiatric Association propose d'associer une thérapeutique numérique à une pharmacothérapie pour le traitement de l'état dépressif. La question est de savoir si un coaching par une appli mobile dédiée peut réellement remplacer la psychothérapie apportée par une consultation présentielle. Il a été démontré depuis longtemps que les thérapies comportementales ont un impact sur le contenu chimique du cerveau. Une appli mobile de type "coaching" pour les patients dépressifs pourrait-elle avoir le même impact ? Cela reste à démontrer en utilisant par exemple la méthode de l'impact numérique visible à l'IRM ou au scanner.

Il y a également toutes les maladies chroniques qui créent de l'anxiété permanente, notamment le cancer. Le fait que le patient puisse aujourd'hui, grâce à des applis mobiles sur son smartphone, participer à sa propre surveillance en période de rémission, outre l'impact significatif et démontré sur le plan scientifique d'un diagnostic plus précoce de la rechute et d'un gain en matière de morbi-mortalité grâce une reprise des traitements au tout début de cette rechute, ce type d'application mobile peut également réduire l'anxiété dans le mesure où le patient "acteur" de la surveillance de sa maladie sait qu'il peut mieux la contrôler grâce aux informations qu'il transmet régulièrement au médecin spécialiste. 

Le diabète est une des maladies chroniques qui bénéficient de la thérapeutique numérique. Encore faut-il apporter les preuves d'un SMR (voir le billet "IoT et SMR" dans la rubrique "Articles de Fond"). Il est aujourd'hui possible de coupler la détection chimique du niveau glycémique et l'injection d'une dose d'insuline grâce à des logiciels pilotés par des algorithmes. C'est ce qui est appelé le "pancréas artificiel".

Sans aller jusqu'à ce niveau de thérapie pilotée par des logiciels de l'IA (Machine Learning), des applis mobiles peuvent aussi aider les patients diabétiques à mieux ajuster les auto-injections d'insuline. Cela a été démontré dans le diabète de type 1 où l'installation d'une application dotée d'un logiciel de type coaching, installée dans le smartphone du patient, permet à ce dernier de mieux ajuster son traitement par insuline et d'avoir ainsi de meilleurs résultats sur le taux d'HbA1c, Le risque de complications dégénératives à 10 ans peut être diminué si l'effet est pérenne. 

La thérapeutique numérique ne peut pas toujours être prescrite au patient avec la certitude d'une adhésion totale à cette solution. On retrouve les mêmes problèmes de compliance qu'avec la pharmacothérapie. Comme cela vient d'être démontré avec le système Diabeo, appli mobile créée par les diabétologues français pour le suivi de l'insulinothérapie en temps réel, le rôle de l'infirmière auprès de ces patients apparaît essentiel pour obtenir une plus grande adhésion à cette thérapeutique numérique. Elle peut intervenir à distance auprès des patients et c'est alors du télésoin (voir le billet intitulé "Télésoin" dans la rubrique "On en parle").

L'usage de thérapeutiques numériques, comme les applis mobiles sur smartphone, dans la surveillance des patients atteints de maladies chroniques débouche naturellement sur des pratiques de télémédecine.

Bien évidemment, tout patient qui bénéficie d'une thérapeutique numérique doit rester en contact avec le médecin qui l'a prescrite. On imagine mal un patient qui a eu une prescription d'une appli mobile par son médecin traitant de premier recours ou par le spécialiste en accord avec le médecin traitant s'adresser ensuite de façon ponctuelle à d'autres médecins qui ne connaissent pas son dossier médical, sauf bien sûr si le DMP sert de lien entre ce nouveau médecin et l'ancien. Si le médecin prescripteur de l'appli mobile pratique la télémédecine, la télésurveillance médicale au domicile peut comporter des consultations en présentiel alternées à des téléconsultations, voire des téléexpertises avec le médecin spécialiste qui aura été le prescripteur du DM connecté.

Il nous paraît ainsi évident que le développement des thérapeutiques digitales ou numériques ne pourra se faire qu'avec l'aide de la télémédecine dans la mesure où ces thérapeutiques aideront à suivre les patients au domicile. Le programme ETAPES en France expérimente d'ici 2021 des IoT à finalité médicale qui pourront devenir, s'ils sont autorisés in fine par la HAS et l'ANSM, de véritables thérapeutiques numériques venant compléter ou aider les traitements pharmacologiques (voir les billets intitulés "Programme ETAPES" et "Référentiel HAS" dans la rubrique "On en parle")

En résumé, il faut reconnaître l'apport indiscutable de certaines thérapeutiques numériques, essentiellement les applis mobiles sur smartphone ayant été autorisées par les instances réglementaires comme la FDA, l'EMA et en France la HAS et l'ANSM, comme des dispositifs médicaux aidant à la prise en charge de patients atteints de maladies chroniques. Comme le rappellent les auteurs de ce "state of the art" sur le "Digital thérapeutic", la démonstration scientifique d'un SMR aux patients est encore rare

Une certaine prudence est d'autant plus nécessaire que de récents sondages révèlent qu'une grande majorité de nos concitoyens disent être "effrayés" par les IoT à finalité médicale (voir le billet intitulé "Usagers/patients/IAM" dans la rubrique "On en parle"). Comme nous le disons souvent sur ce site, la transformation numérique du système de santé se fera progressivement car elle doit s'amarrer à un trépied constitué du patient, du médecin ou autre professionnel de santé et de l'industriel du numérique en santé. Ces trois acteurs sont dans le même bateau. Ils doivent s'écouter, se comprendre et se respecter. Tout levage des amarres qui se ferait sans le consensus des trois parties lancerait le bateau "santé numérique" à la dérive.

9 novembre 2019

 

 

 

 

 

Commentaires

Olivier C.

18.11.2019 09:16

Bonjour,
Merci pour ce billet très intéressant.
Le lien vers l'article américaine est corrompu. Pourriez-vous le modifier dans l'article ou me l'envoyer ?
Merci

Pierre Simon

18.11.2019 09:40

Merci de cette remarque, le lien à l'article est activé. Si vous n'y arrivez pas , envoyez-moi votre adresse mail pour recevoir le PDF.

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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