Les officines en zone rurale doivent être sollicitées pour réaliser des téléconsultations médicales en période d'épidémie virale

En période d'épidémie au Covid-19, l'accès ou non à une téléconsultation médicale peut être vécue par nos concitoyens comme une chance ou une perte de chance pour leur santé. Qu'en est-il alors des possibilités d'accès au réseau internet aujourd'hui en France pour réaliser une téléconsultation avec son médecin traitant comme le recommande le Ministre de la santé pendant cette pandémie au coronavirus ? (Voir le billet intitulé "Covid-19 /TLC" dans la rubrique "Edito de semaine")

La carte du réseau numérique français en 2019, qui illustre ce billet, montre que dans les zones les plus sombres, plus de 20% des français ont un accès à un débit numérique inférieur à 3 Mbit/sec (Manche, Seine et Marne, Ardennes, Bourgogne, et certains départements des régions Centre et Grand Aquitaine) alors qu'ils sont moins de 5% dans les zones les plus claires (Ile de France, Lyon et Marseille).

Cette carte fait partie d'un article publié en mars 2019, dans lequel l'association de consommateurs UFC Que Choisir dénonçait l'importance de la fracture numérique entre les zones rurales et les grandes agglomérations urbaines, révélant ainsi que 6,8 millions de français, soit 10,1% de la population, étaient privés d'un accès de qualité minimale à Internet  (débit > 3 Mbits/sec) et que le "bon haut débit" n'était pas accessible pour 19,1% de la population, soit 12,8 millions de français. Le taux de pénétration d'Internet diffère selon l'âge : 93% chez les 18-24 ans, contre seulement 56% chez les personnes âgées de 70 ans et plus, ces dernières étant les plus exposées au risque de complications graves du coronavirus.

https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2019/03/21/32001-20190321ARTFIG00043-en-france-68millions-de-personnes-n-ont-pas-d-acces-a-internet.php  

La progression d'accès à internet n'a été que de 0,4% entre 2018 et 2019, correspondant à la fin décembre 2019 à 53 millions d'internautes âgés de 2 ans et plus (84,6% des français). Environ 43,5 millions de français se connectent quotidiennement. Pour atteindre les 100% d'accès à Internet dans la population française, avec une progression de 0,4%/an, il faudrait plus de 35 ans (2055). Espérons que le plan annoncé par les pouvoirs publics d'ici 2023 soit encore réalisable dans une période de crise économique considérée comme la plus importante depuis plusieurs décennies. https://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/1071394-nombre-d-internautes-en-france/

Quelle inégalité entre les français dans l'accès à une téléconsultation pendant cette période d'épidémie virale ?

Si on compare la carte de l'accès à Internet à celle de l'épidémie au covid-19 publiée le 14 mars 2020, on constate que des clusters importants de la contamination au covid-19 dans les régions des Hauts de France et du Grand Est existent dans des zones où l'accès à Internet est aujourd'hui impossible, et donc des zones où le recours à une téléconsultation avec un médecin est difficile ou pas du tout possible. Il existe ainsi une évidente inégalité d'accès à des soins médicaux à distance due à un accès très inégalitaire au réseau internet. Cette inégalité d'accès aux soins ne va faire que s'accentuer dans les prochains jours avec l'extension attendue de l'épidémie.

Que proposer alors en cette période d'épidémie aux 6,8 millions de français qui ne peuvent accéder à une téléconsultation médicale à partir de leur domicile ?

Nous savons que 99,5% des officines sont connectées à Internet et que le temps de connexion pour 70% d'entre eux est d'au moins 1h/jour. 25% ont même un site web. https://pharmagest.com/infographie-pharmaciens-internet/

La distribution des officines sur le territoire national est assez harmonieuse, avec près de 4 officines pour 10 000 habitants permettant ainsi à une grande partie de la population française d'avoir une officine proche du domicile. L'officine est le "dernier" ilot de santé en zone rurale. http://www.ordre.pharmacien.fr/Cartes/Cartes-departementales-Officine/Nombre-d-officines

Nous avons souligné dans un précédent billet l'intérêt de réaliser des téléconsultations assistées d'un pharmacien dans une officine (voir le billet intitulé "Covid-19/TLC" dans la rubrique "Edito de semaine"). L'avenant 15 de la convention nationale pharmaceutique, publiée dans un arrêté ministériel du 6 septembre 2019, permet désormais aux pharmaciens d'officine d'organiser des téléconsultations à la demande du médecin traitant et d'assister le patient pendant cette téléconsultation. Ce temps passé par le pharmacien à la téléconsultation est désormais financé par l'assurance maladie. La pharmacie bénéficie également d'un forfait structure pour s'équiper en outils de téléconsultation (voir le billet intitulé "TLC en pharmacie" dans la rubrique "Le pratico-pratique").

A côté de la facilité "villottienne" de se précipiter sur les outils des GAFA pour accéder à une téléconsultation médicale en période d'épidémie au covid-19, parce que l'accès à internet dans les agglomérations urbaines est facile, et qu'au motif d'être dans une période de "guerre" certains estiment pouvoir s'affranchir de toute réglementation sur la protection des données personnelles de santé (voir le billet intitulé "Infection virale/TLC" dans la rubrique "Droit de la santé"), la solidarité nationale et les pouvoirs publics pourraient aussi se préoccuper de la situation numérique désastreuse des français vivant en zone rurale, laquelle ne leur permet pas accéder de leur domicile (ou d'un substitut comme les Ehpads ruraux) à une téléconsultation médicale comme cela est recommandé désormais en période d'épidémie virale, d'autant que la pénétration d'internet chez les personnes de 70 ans et plus reste faible.    

Les pharmaciens d'officine en zone rurale peuvent-ils améliorer l'accès à la téléconsultation médicale des populations qui n'ont pas un réseau numérique suffisant pour accéder à Internet ? 

La réponse est bien évidemment positive puisque 99,5% des officines françaises ont un accès à internet (voir ci-dessus). Mais combien d'officines en zone rurale sont équipées aujourd'hui de moyens de téléconsultation ? Ces équipements sont pourtant simples à acquérir et sont financés (en grande partie) par le forfait structure accordé par l'assurance maladie.

Mais dans la situation d'urgence actuelle, les plateformes qui permettent de réaliser des téléconsultations sur rendez-vous au domicile du patient ne pourraient-elles pas équiper les officines en zone rurale de leurs logiciels de prise de rendez-vous et de téléconsultation programmée ? Il faudrait une impulsion forte du conseil national de l'ordre des pharmaciens (CNOP) comme l'a fait il y a quelques jours le CNOM

Ne faudrait-il pas que la communication des pouvoirs publics, en particulier du Ministre de la santé, soit mieux adaptée à la situation des 6,8 millions de français qui n'ont pas accès à internet ? S'il faut recommander aux français de ne pas se rendre aux urgences, de ne pas appeler le 15, mais d'appeler le médecin traitant ou tout autre médecin disponible en cas de symptômes respiratoires évoquant une contamination par le coronavirus, il faut dire à ces français qu'ils peuvent se rendre chez un pharmacien d'officine équipé pour réaliser une téléconsultation

En résumé, les pouvoirs publics doivent rapidement communiquer pour expliquer aux français qui n'ont pas accès à internet qu'ils peuvent avoir une téléconsultation dans une officine proche de leur domicile. Les pharmaciens d'officine de zone rurale doivent s'adresser aux plateformes de téléconsultation sur rendez-vous pour que le logiciel soit installé sur un ordinateur de leur officine dans une salle dédiée. Le CNOP doit s'exprimer pour recommander aux officines de s'équiper rapidement. C'est une question de chance ou de perte de chance pour 6,8 millions de français qui n'ont pas accès à Internet.

14 mars 2020

 

 

 

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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