Comment choisir les cas d'usage d'une téléconsultation en période de Covid 19 ?

L'obligation brutale de faire des téléconsultations (TLC) pour maintenir le lien avec les patients pendant la pandémie du Covid 19 donnera lieu probablement à un débat animé dans l'après Covid 19 entre ceux qui étaient avant la pandémie "pour" le développement de la TLC et ceux qui étaient "contre", estimant que seule la consultation médicale présentielle était légitime. En effet, ceux qui se sont toujours opposés à la pratique de la TLC auront de nombreux exemples à faire connaître pour montrer l'intérêt limité, voire dangereux d'une telle pratique. Des pertes de chances véritables ou supposées seront rapportées.

Les "pour" auront un discours plus favorable, car ils auront découvert certains avantages de la TLC, en particulier programmée, et l'intégreront désormais aux autres pratiques présentielles de la médecine. Mais ils feront remarquer néanmoins que la TLC n'est pas toujours appropriée à la situation clinique et qu'il est préférable de voir le patient au cabinet pour réaliser un examen physique. 

La compréhension des mesures de confinement a évolué au fil des semaines depuis le 15 mars. Ces mesures visaient initialement à empêcher les patients qui présentaient des symptômes bénins de l'infection virale de se rendre aux urgences hospitalières afin qu'ils ne contaminent pas d'autres patients, comme cela avait été le cas à l'hôpital de Codogno (Italie), d'où est partie la grande épidémie de Lombardie.

Le message "restez chez vous" donné par les autorités sanitaires, repris en boucle par tous les médias, visait les patients Covid 19, suspectés ou diagnostiqués, lesquels avaient l'obligation de rester sous la surveillance de leur médecin traitant par téléconsultation. Seuls les patients présentant des signes respiratoires inquiétants devaient appeler le 15 pour savoir si une hospitalisation était nécessaire.

En fait, ce confinement a entraîné, dans tous les pays qui l'ont appliqué, un quasi-arrêt de fréquentation des cabinets médicaux. Les effets collatéraux de cet abandon de suivi médical au cabinet, en particulier chez les patients atteints de maladies chroniques, pourraient être désastreux avec des retards diagnostiques et thérapeutiques, à l'origine à moyen terme d'une augmentation de la morbidité et de la mortalité.

Nul doute que les opposants à la télémédecine se serviront de cette vague "post Covid", si elle survient, pour l'imputer à un usage excessif de la TLC pendant le confinement. La peur d'être contaminé a conduit de nombreux patients âgés à refuser la sortie du domicile pour se rendre chez leur médecin traitant.

De la même façon, la méconnaissance des bonnes pratiques de TLC a conduit certains médecins à utiliser plutôt la consultation par téléphone, remboursée exceptionnellement par l'Assurance maladie comme une véritable TLC pendant la période Covid 19. Les solutions numériques dédiées à la TLC par videotransmission ont été ignorées, alors que la plupart pouvaient être opérationnelles en quelques heures, et souvent mises gratuitement à la disposition des médecins (voir le billet "Solutions Télésanté" dans la rubrique "le Pratico-pratique" et "Officines/Covid 19" dans la rubrique "Edito de Semaine"))

Il est vrai que toutes les situations cliniques ne peuvent relever d'une TLC et que les cas d'usage auraient dû être mieux connus des médecins pendant cette pandémie dont la fin n'est pas encore connue. Certains médecins étaient formés aux bonnes pratiques de TLC, la grande majorité ne l'était pas.

Comment identifier les cas d'usage de la téléconsultation ?

Il faut un préalable pour repérer les cas d'usage d'une TLC : bien connaître les bonnes pratiques de la TLC. Elles ont été publiées par la Haute autorité de santé (HAS) en mai et juin 2019. La HAS propose aux professionnels des recommandations « génériques » qui décrivent un cadre commun de bonnes pratiques pour la mise en place et la réalisation des actes de téléconsultation et de téléexpertise. Ces recommandations peuvent être adaptées par les professionnels en fonction de spécificités liées à leur profession et à leur domaine médical, à la pathologie et aux conditions locales de prise en charge de leurs patients.

https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/201907/guide_teleconsultation_et_teleexpertise.pdf

Nous avons à plusieurs reprises sur ce site commenter ce "cadre commun de bonnes pratiques" de la TLC (et de la téléexpertise) (voir les billets "téléconsultation (1)(2)(5)" dans la rubrique "le Pratico-pratique"). Les cas d'usage de la TLC doivent être directement liés "au domaine médical, à la pathologie et aux conditions locales de prise en charge des patients".

Les cas d'usage de la TLC doivent être pertinents. Selon la HAS, la pertinence d'une intervention de santé a plusieurs dimensions :  1) la balance entre les bénéfices et les risques, 2) la probabilité pour l’intervention d’aboutir aux résultats attendus (par comparaison avec d’autres traitements ou pratiques), 3) la qualité de l’intervention de santé (au regard de standards), 4) la prise en compte des préférences des patients (ce qui implique une information appropriée), 5) la prise en compte du contexte social, culturel et de la disponibilité des ressources de santé. Pour la TLC, la pertinence de l'acte, selon la HAS, relève de deux prérequis : que le patient soit déjà connu du médecin qui réalise la téléconsultation et que le consentement à cette pratique ait été préalablement recueilli (voir le billet "Téléconsultation(4)" dans la rubrique "le Pratico-pratique").

Il est clair que ces critères de pertinence d'une TLC n'ont pas été tous suivis depuis le 15 mars 2020. Si la pratique d'une TLC pour suivre à domicile des patients suspectés ou diagnostiqués Covid 19 était pertinente pour éviter qu'ils ne contaminent d'autres patients, la qualité de cette TLC au regard des bonnes pratiques n'a pas toujours été respectée, puisqu'un grand nombre de TLC ont été réalisées par téléphone, et pas toujours pour des raisons de difficultés d'accès à internet. De plus, de nombreux patients atteints de maladies chroniques ont été suivis de cette manière alors que l'acte de TLC n'était pas toujours pertinent (Voir le billet "M. Chroniques/Covid 19" dans la rubrique "Edito de semaine").

Quels sont les cas d'usage pertinents d'une TLC en période pandémique ?

Pour le médecins de soin primaire, il est clair que la pertinence d'une TLC, au regard du risque de contamination chez les personnes les plus fragiles exposées à une forme grave, est un bénéfice de la TLC qui l'emporte sur les éventuels risques, à la condition néanmoins qu'elle soit réalisée avec les bonnes pratiques "génériques" puisque le diagnostic d'une complication éventuelle, en particulier respiratoire chez un patient contaminé par le Covid 19, repose sur l'examen à distance par le médecin, la videotransmission lui permettant de juger de sa plus ou moins grande facilité à parler, de sa fréquence respiratoire, de l'existence ou non d'un tirage respiratoire, etc.(Voir le billet "Télésanté/Covid 19" dans la rubrique "Droit de la santé"). 

L'assistance d'un professionnel de santé auprès du patient lors de la TLC est certainement un bénéfice supplémentaire en période épidémique (voir les billets intitulés "Covid 19/TLC" et "Officines/Covid 19" dans la rubrique "Edito de semaine"). La pertinence d'une TLC s'arrête lorsque le patient a besoin d'un examen physique. Le bénéfice d'une consultation présentielle l'emporte alors sur le risque d'une contamination à la condition que des mesures de protection soient mises en place.

Pour les patients "non Covid" atteints de maladies chroniques, est-il plus pertinent de les voir au cabinet ou de continuer de les suivre par TLC au cours de cette période pandémique ? C'est le débat qui a animé les médias ces derniers jours. Il est certain que l'on peut suivre à distance un patient dont la maladie chronique est stabilisée, à la condition que ce suivi se fasse dans le cadre des bonnes pratiques de la TLC, recommandées par la HAS. C'est un bénéfice dans la période actuelle car les personnes âgées qui cumulent plusieurs maladies chroniques ont peur d'être contaminées par le Covid 19 et de faire une complication mortelle. Les médias ont largement rapporté que 82% des décès dus au Covid survenaient chez des personnes âgées de plus de 70 ans. L'hécatombe observée dans les EHPADs le confirme. 

Le risque est bien évidemment celui de diagnostiquer trop tardivement une complication de la maladie chronique. Il y a eu des cas d'AVC ou d'infarctus du myocarde pris en charge trop tardivement. Mais n'est-ce pas aussi dû au fait que certains médecins de soin primaire, mal préparés à la pratique de la TLC, n'ont pas fait savoir à leur patientèle qu'elle pouvait les contacter directement en cas de symptômes inquiétants, sans passer par le 15 ? On peut comprendre qu'une personne âgée préfère dans cette période à haut risque mortel avoir l'avis de son médecin traitant avant d'être obligée de se rendre à l'hôpital.

L'arrêt d'activité de près de 70% des cabinets de médecins spécialistes est intéressant à commenter. Il s'agit d'une réduction massive des consultations spécialisées présentielles. En même temps, l'Assurance maladie a élargi les conditions d'accès à la téléexpertise spécialisée (voir le billet intitulé "Télésanté/Covid 19" dans la rubrique "Droit de la santé"). La téléexpertise peut, dans certains cas, permettre un avis spécialisé rapide, donné directement au médecin traitant avec le consentement du patient (voir les billets consacrés à la "téléexpertise (1)(2)" dans la rubrique "le Pratico-pratique").

Si on connaît le nombre de TLC par semaine depuis le 1er avril (environ 1 million), la CNAM et le Ministère de la santé n'ont pas communiqué sur le nombre de téléexpertises réalisées depuis le 15 mars 2020. On sait qu'en 2019, le nombre avait été insignifiant.

Enfin, la TLC spécialisée s'est aussi développée dans les hôpitaux vers des patients habituellement suivis par les médecins hospitaliers (patients insuffisants rénaux dialysés et transplantés, patients diabétiques de type 1, patients sous chimiothérapie, etc.).

En résumé, il faudra certainement faire le bilan de l'impact de la TLC pendant cette période pandémique. Certaines enquêtes commencent à fleurir indiquant que plus de 70% des médecins de soin primaire continueraient à pratiquer la TLC dans l'après-Covid. Comme cela est déjà relevé dans d'autres pays (voir les billets "Télémédecine (34) et(35) dans la rubrique "Revue et publications"), la France ne pourra pas faire l'économie d'une étude d'impact de cet usage brutal et massif de la TLC. La pertinence des cas d'usage de TLC au cours de la période Covid 19 devra être analysée par les autorités compétentes. Cette évaluation devrait permettre de mieux préciser les cas d'usage de la TLC et le service médical rendu aux patients qui en bénéficient.

25 avril 2020 

 

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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