Les solutions numériques en santé doivent répondre à la réalité du terrain : l'exemple de la téléexpertise immédiate .

Nous pensons, avec la HAS (https://www.has-sante.fr/jcms/c_1647022/fr/construire-organiser-les-parcours/ma-sante-2022), que "le numérique en santé doit être collé à la réalité du terrain". Dans un précédent billet (http://www.telemedaction.org/448750163) nous avons montré comment une plateforme d'E-Parcours (Urgences Chrono) est parvenue à coller à la réalité du terrain et pouvait ainsi améliorer le parcours territorial des patients qui relèvent de soins non programmés.

Dans ce nouveau billet, nous voulons montrer comment une plateforme web de téléexpertise (Conex Santé), qui colle elle aussi à la réalité du terrain, peut entrainer l'adhésion des professionnels médicaux et avoir un impact sur les hospitalisations dites "évitables".

C'est le 6ème billet que nous consacrons à la téléexpertise (TE). Dans les précédents billets, nous défendions la TE comme une pratique médicale incontournable au 21ème siècle, pour améliorer la nécessaire collaboration entre la ville et l'hôpital (http://www.telemedaction.org/425930563), pour aider les médecins de soin primaire à assurer la continuité des soins (http://www.telemedaction.org/432105046), pour que les médecins requérants et requis renforcent leurs compétences médicales, la TE pouvant être une sorte de formation continue (http://www.telemedaction.org/432823147).

Malgré ces évidences, la TE par messagerie sécurisée en santé (MSS), recommandée par l'avenant 6 de la Convention médicale de 2018, est aujourd'hui en échec, et cela malgré sa prise en charge financière par l'Assurance maladie à compter du 11 février 2019 (http://www.telemedaction.org/443565029). Nous avons refait un billet en juin 2020 sur ce mode de téléexpertise recommandé par l'avenant 6, pensant que cette pratique allait pouvoir enfin décoller pendant la pandémie de la covid-19, période qui nécessitait de fréquents avis d'experts dans le suivi des patients contaminés, à l'image de ce qui s'est passé pour la téléconsultation médicale (http://www.telemedaction.org/446370112).

Cet échec est dotant plus surprenant que la pratique de la téléexpertise par les médecins de premier ou second recours existe en réalité depuis de nombreuses années, mais elle reste une activité médicale non reconnue, "clandestine", et non rémunérée.

Le besoin de reconnaître cette activité médicale "clandestine" est évident lorsqu'on analyse les résultats de l'enquête réalisée par la société Conex Santé (image du billet). Plus de 80% des médecins spécialistes sont contactés par un médecin généraliste (MG) entre 5 et 10 fois par semaine, constat confirmé par l'enquête "miroir" auprès des MG qui font appel à un médecin spécialiste entre 2 et 7 fois par semaine. L'enquête précise aussi que 93 à 95% de ces échanges se font par téléphone. Le temps  d'échange entre le médecin traitant et le spécialiste est en moyenne de 5 à 10 mn, mais plus de 30% des médecins spécialistes estiment que le temps passé à répondre à ces demandes peut atteindre 1 à 2h par jour. C'est en particulier le cas des spécialistes hospitaliers.

Si toutes ces pratiques "clandestines" de TE étaient recensées par l'Assurance maladie obligatoire (AMO), ce sont 40 à 60 millions de TE que les médecins de premier recours réalisent chaque année. Il y a d'autres TE, en particulier entre spécialistes, qui ne sont pas comptés. Comment expliquer alors que l'activité de TE, financée par l'AMO pour l'exercice libéral, soit inférieure à 1000 actes en 2019 et à 10 000 en 2020 ? Une des causes pourrait être le caractère inadapté de cette TE par MSS à la réalité du terrain. La réalité du terrain est que les médecins pratiquent depuis longtemps la téléexpertise de façon immédiate par téléphone pour obtenir l'avis d'un médecin spécialiste. Souvent ils hospitalisent les patients lorsqu'ils ne parviennent pas à avoir cet avis. Ce sont les hospitalisations "évitables" qui représenteraient, selon l'AMO, 17% de la totalité des séjours hospitaliers.

L'enquête de Conex Santé confirme que plus de 95% des médecins reconnaissent le besoin d'une TE, qu'elle soit immédiate (TEI) ou planifiée (TEP). Il est donc surprenant que cette activité, d'une ampleur plus importante que celle de la téléconsultation en 2020 (20 millions d'actes), pratique bien définie sur le plan réglementaire par le décret de télémédecine du 13 septembre 2018 et dont les recommandations de bonnes pratiques ont été faites par la HAS en juin 2019, ne parvienne pas à sortir de la clandestinité au sein de notre système de santé.

La question est d'autant plus d'actualité que les autorités sanitaires ont l'intention d'étendre en 2021 la pratique de la TE aux professionnels de santé paramédicaux afin qu'ils puissent échanger entre eux ou avec les professionnels médicaux, en particulier avec les médecins généralistes et les médecins spécialistes. Si la TE par MSS est en échec chez les médecins, pourquoi ne la serait-elle pas aussi chez les professionnels paramédicaux ? (http://www.telemedaction.org/449008518

Pour tenter de trouver la bonne réponse à cette situation, nous proposons de voir concrètement comment le numérique en santé, en collant à la réalité du terrain, pourrait permettre à la TE de se développer, non seulement chez les professionnels médicaux, mais également chez les professionnels paramédicaux. Nous choisissons la méthode des cas d'usage, laquelle nous semble le mieux illustrer la réalité du terrain et le besoin d'organisations professionnelles innovantes. (http://www.telemedaction.org/page:1DBCFD1C-5F02-4655-9C15-31F9FF764C04"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Un cas d'usage fréquent : la téléexpertise de soutien à la demande du médecin traitant

Le cas clinique. Un patient de 65 ans, obèse et atteint d'un diabète de type 2, est suivi depuis le début de sa maladie par son médecin traitant. Après une dizaine d'années d'évolution, le contrôle de la glycémie par le traitement oral et la diététique est devenu de plus en plus difficile. Le taux d'HbA1c demeure entre 9 et 10%. Sachant qu'il ne pourra pas obtenir de consultation présentielle avant plusieurs mois, le médecin traitant espère pouvoir échanger avec un diabétologue sur cette difficulté thérapeutique. 

Quelles sont les solutions de TE qui s'offrent alors au médecin traitant  ? 

La solution actuelle. Le médecin traitant cherche à joindre par téléphone un diabétologue, le plus souvent hospitalier (les diabétologues en secteur libéral sont rares). Joindre au téléphone un médecin hospitalier est devenu un parcours du combattant pour un médecin généraliste. Il doit trouver le médecin spécialiste du diabète qui sera disponible quelques minutes pour échanger avec lui. Lorsqu'il réussit, l'échange est rapide, souvent vécu comme intempestif par le médecin spécialiste. L'échange se termine généralement par la proposition d'une hospitalisation programmée, soit en ambulatoire, soit sur quelques jours. Le rendez-vous d'hospitalisation programmée ne sera obtenu que dans plusieurs semaines.

Si le médecin traitant estime le délai trop long pour corriger la situation clinique, la seule solution qui s'offre à lui est d'hospitaliser son patient en l'adressant au service des urgences. Le patient sera hospitalisé dans le lit disponible au moment où il se présentera aux urgences, pas forcément un lit situé dans le service de diabétologie. Le patient et sa famille ne comprendront pas cette hospitalisation dans un autre service qui ne s'occupe pas des patients diabétiques. Il se passera plusieurs jours avant que le patient ait un lit dans le bon service. Il en coûtera plusieurs milliers d'euros à l'AMO (le coût moyen d'une journée d'hospitalisation est de 2300 euros).

La solution recommandée par l'avenant 6 permet-elle d'éviter l'hospitalisation ? Elle consiste à utiliser la messagerie sécurisée santé (MSS) pour adresser au spécialiste la demande d'expertise. Le modèle est la télédermatologie avec l'envoi d'une image de la lésion cutanée au dermatologue correspondant. C'est rapide et simple. Dans le cas clinique que nous avons choisi, la TE asynchrone est plus difficile à mettre en oeuvre, car le médecin spécialiste devra connaître des informations que seul l'échange oral peut obtenir. Si le diabétologue est le correspondant habituel du médecin traitant et connait déjà le patient (il a un dossier médical), cette téléexpertise asynchrone peut aboutir et l'hospitalisation sera évitée. En réalité, une telle situation est fréquente pour un patient diabétique de type 1, plus rare pour un patient diabétique de type 2.

Si le patient n'a jamais vu de diabétologue, ce qui est le cas de la grande majorité des diabétiques de type 2 suivis en médecine générale (http://www.telemedaction.org/447137984), le médecin traitant devra passer un certain temps à construire le dossier et le courriel qu'il enverra au diabétologue par MSS. Aujourd'hui, le médecin demandeur d'une TE est rémunéré pour ce temps entre 5 et 10 euros et le spécialiste requis entre 15 à 20 euros. Pour le médecin généraliste, le temps passé à préparer le dossier de TE asynchrone est l'équivalent d'un temps de consultation de 15 à 20 mn (25 euros). Il n'utilisera donc pas ce moyen et préférera hospitaliser son patient. Il en coûtera plusieurs milliers d'euros à l'AMO.

Une solution qui satisferait les médecins et qui permettrait d'éviter une hospitalisation non nécessaire. Cette solution part de la réalité du terrain. La TE ne peut se réaliser que si elle s'appuie sur une organisation professionnelle en réseau, laquelle assure une permanence dans la spécialité concernée. L'organisation peut rassembler des spécialistes d'exercice libéral et d'exercice hospitalier. La solution numérique gère une liste de spécialistes qui acceptent de faire des TE sur la base d'un agenda. Chaque médecin spécialiste déclare à la plateforme web des plages de temps professionnel pendant lesquelles il s'engage à répondre à des demandes de médecins généralistes.

Le médecin traitant se connecte à cette plateforme pour obtenir la TE. Il voit quel spécialiste est disponible dans l'immédiat, s'il désire avoir une TE rapide en présence du patient. Il réalise alors cette TE par téléphone ce qui permet un échange approfondi en présence du patient. Il peut aussi planifier cette TE dans la journée ou sous 48h s'il n'existe pas de disponibilité immédiate. Plus il y a de spécialistes à participer à une permanence dans la spécialité, plus la TE peut être obtenue rapidement. La solution numérique permet de réaliser le compte rendu en fin de TE.  Une hospitalisation pourra être conseiilée par le médecin expert, mais elle ne se fera pas par défaut de n'avoir pu obtenir un avis.

Il existe de nombreux autres cas d'usage de TE de soutien au médecin traitant que nous avons décrit dans un récent livre (http://www.telemedaction.org/448760658). L'organisation proposée peut permettre des TE immédiates (TEI) ou des TE planifiées (TEP). C'est le médecin traitant qui juge de l'urgence d'avoir cet avis spécialisé. L'organisation prend en compte les attentes des professionnels de terrain.

La TE entre spécialistes

Il existe de plus en plus de surspécialités en médecine et en chirurgie. Si le CNOM reconnait 43 spécialités, il recense aussi une quinzaine de surspécialités et peut-être davantage. Les surspécialistes, en particulier en chirurgie, sont nombreux. L'échange entre spécialistes et surspécialistes est devenu nécessaire dans la médecine moderne. Cette TE peut relever d'une organisation comparable à celle précédemment décrite.

Ces TE de second recours sont fréquentesOn les observe en anatomopathologie, en oncologie, en hématologie, en cardiologie, en radiologie, en rhumatologie, en néphrologie, en gastro-entérologie, en chirurgie orthopédique, en chirurgie endocrinienne, en chirurgie pédiatrique, etc. Elles sont plus souvent hospitalières. Elles se développent au sein de GHT, entre les établissements périphériques et les établissements supports, entre les établissements supports et les CHU.

Quelle solution numérique pour réaliser une TE rapide ?

La solution proposée par Conex Santé est intéressante à décrire car elle colle à la réalité du terrain.  Elle séduit les professionnels de santé qui l'ont expérimentée dans un POC (Proof of concept). Ceux qui ont réalisé l'expérimentation sur six mois soulignent que la solution proposée a permis d'intégrer la TE rapide dans leur organisation professionnelle et que les appels intempestifs pendant les consultations ou des interventions chirurgicales ont rapidement disparus.

L'organisation professionnelle innovante qu'elle propose. 

Le ROSO (réseau optimisé de spécialités) est une permanence de spécialistes en réseau, pour une spécialité donnée. Elle peut exister au niveau d'un territoire de santé, d'une région, voire d'une inter région. Plus le nombre de spécialistes est important, plus l'offre d'une TE rapide est assurée dans la spécialité concernée. Les professionnels de santé s'engagent à participer à ce réseau et à déclarer chaque semaine les plages horaires qu'ils peuvent consacrer à la TE. L'agenda hebdomadaire fait apparaître les plages disponibles avec le nom du spécialiste. Le médecin traitant découvre ces plages en accédant à la plateforme web. Le POC a montré que dans un domaine comme l'urologie, le médecin traitant pouvait obtenir un avis quasi immédiat ou dans la journée. Ces avis ont permis aux médecins traitants de ne pas adresser leurs patients aux urgences hospitalières.

Le RIPS (réseau interprofessionnel de santé) permet l'échange entre médecins traitants, spécialistes et surspécialistes. C'est en quelque sorte, une RCP informelle (réunion de concertation pluriprofessionnelle) qui peut enrichir au niveau d'un territoire les RCP traditionnelles. Le RIPS pourra être également la solution organisationnelle idéale pour que les professionnels paramédicaux d'un territoire (incluant les CPTS) puissent réaliser leurs TE avec les médecins traitants et les médecins spécialistes. Le fonctionnement du RIPS est étroitement lié au fonctionnement du ROSO où on retrouve les mêmes professionnels.

La plateforme web de téléexpertise rapide

Pour que de telles organisations se mettent en place il faut une équipe de prestataires qui soit à la disposition des professionnels de santé, non seulement pour leur faire connaître l'outil et son fonctionnement, mais également pour les accompagner dans la tenue hebdomadaire de l'agenda des disponibilités. C'est ce que Conex Santé a démontré dans le POC.

Le modèle économique

Il est bien évidemment très différent de celui proposé par l'avenant 6. Il ne repose plus sur des TE limitées en nombre par an et par patient, mais sur la liberté du médecin traitant ou du spécialiste d'accéder à une plateforme totalement dédiée à la TEI et TEP quand il en a besoin. Le modèle économique doit prendre en compte la permanence des professionnels en s'inspirant de celui qui existe déjà dans les établissements de santé. Un financement innovant (à la séquence de soins ?) pourrait être expérimenté dans le cadre d'un art.51.

 

23 avril 2021

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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