Les cabines de télémédecine ont-elles un avenir dans l'écosystème français de la télésanté ?

Conçues et fabriquées à partir de 2008, les premières cabines de télémédecine ont été installées en France en 2012 pour améliorer l'accès aux soins dans les déserts médicaux. (https://www.lequotidiendumedecin.fr/archives/dans-les-deserts-medicaux-bientot-des-cabines-de-teleconsultation-pour-soigner-les-patients)

En début d'année 2021, elles furent installées dans quelques supermarchés de la région parisienne, malgré l'opposition du CNOM et des représentants de la profession médicale qui voyaient dans cette initiative une évolution commerciale de la médecine (https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/rapport/10ax7i9/cnom_mesusage_de_la_telemedecine.pdf). On leur reproche en particulier de soigner les patients en dehors du parcours de soins coordonné par le médecin traitant, instauré par l'Assurance maladie obligatoire (AMO) à partir de 2004 et rappelé dans l'avenant 6 de la convention médicale d'août 2018. L'enseigne Monoprix reproduit le modèle développé aux Etats-Unis par Walmart, enseigne américaine de grande distribution qui a installé dans plusieurs magasins les Walmart Health Centers. (https://corporate.walmart.com/newsroom/2021/05/06/walmart-health-to-acquire-telehealth-provider-memd)

Que faut-il penser de l'avenir des cabines de télémédecine ? Les opérateurs de ces cabines en font-ils trop dans le domaine des soins primaires,  comme l'évoque le CNOM dont l'avis critique a été repris récemment par un journal numérique (Cabines de télémédecine : quand la téléconsultation dépasse les bornes (medscape.com)) ou au contraire portent-ils un modèle d'avenir pour la prévention primaire des maladies, modèle qui viendrait compléter l'écosystème français de la télésanté ?

La pandémie Covid-19 a conduit les autorités sanitaires et l'AMO à reconsidérer les positions prises dans l'avenant 6 de la convention médicale.

Le développement de solutions numériques innovantes a marqué la période pandémique de 2020, pandémie qui n'est pas encore terminée malgré la vaccination. La France serait devenue pendant cette pandémie un leader de l'innovation numérique en Europe. C'est du moins ce que pense l'organisateur du Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas après sa récente visite en France, renforçant ainsi l'Etat français dans sa détermination à obtenir une réelle souveraineté numérique et à devenir un leader européen.(http://www.telemedaction.org/449633783

Le principal argument actuel des promoteurs de cabines de télémédecine dans les supermarchés est d'être en mesure de proposer une téléconsultation médicale en moins de 15 mn, alors qu'avec les autres solutions numériques (logiciels Saas des plateformes de rendez-vous), le délai moyen d'attente d'une téléconsultation médicale programmée serait de 5 jours, soit un délai proche d'un rendez-vous en présentiel chez le médecin traitant (en moyenne 6 jours). (http://www.telemedaction.org/450618190). On peut regretter qu'un tel argument soit mis en avant par les opérateurs de cabines, alors que d'autres arguments de santé publique pourraient mieux positionner les cabines de télémédecine dans l'écosystème de la télésanté (voir plus loin).

L'image que renvoie dans la population générale cette initiative des opérateurs de télémédecine est celle d'un système de soin primaire rénové qui pourrait remplacer à moyen terme le "vieux" système caractérisé par un médecin traitant choisi par chaque citoyen, système aujourd'hui ébranlé par une démographie médicale déclinante dans certains territoires, une certaine résistance du corps médical au changement organisationnel, l'existence de nombreuses contraintes tant sur le plan déontologique que sur le plan réglementaire. La forte condamnation du CNOM vis à vis de ce qui serait une forme de "commercialisation" de l'exercice médical nous semble en partie justifiée, mais elle ne semble pas avoir ébranlé, du moins jusqu'à présent, le ministère de la santé et la CNAM.

L'avenant 9 de la convention médicale semblerait même donner un certain crédit à ces cabines qui pratiquent une médecine hors parcours de soin et qui pourraient être un recours pour les citoyens qui se trouvent dans une situation où "l'offre territoriale de soins est insuffisante". L'organisation médicale de la téléconsultation en cabine est souvent extraterritoriale dans les zones de basse densité médicale. En désaccord avec certains articles de l'avenant 9, le CNOM a engagé un recours gracieux pour que la connaissance préalable du patient par le médecin téléconsultant soit réintroduite dans la convention médicale (http://www.telemedaction.org/page:D9C9688B-ED0C-4CAF-8031-AE7E350C30C3"https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/rapport/10ax7i9/cnom_mesusage_de_la_telemedecine.pdf" style="padding: 0px; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: underline solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/rapport/10ax7i9/cnom_mesusage_de_la_telemedecine.pdf).

Après le boom des périodes de confinement où 5,5 millions de téléconsultations étaient réalisées en avril 2020 et près de 20 millions sur l'ensemble de l'année 2020, le directeur de la CNAM précise lors d'une audition récente par le Sénat (octobre 2021) qu'une consultation sur vingt se fait désormais à distance, soit 1 million de téléconsultations sur les 20 millions de consultations remboursées chaque mois par l'AMO. Une part importante de cette activité de téléconsultation se fait encore par téléphone, le remboursement à 100% étant maintenu jusqu'à la fin 2021.

Les téléconsultations réalisées au sein des cabines sont-elles conformes aux bonnes pratiques médicales ?

C'est indiscutablement une technologique de haut niveau qui favorise une relation de qualité entre le médecin téléconsultant et le patient.

Les recommandations faites par la HAS en juin 2019 sont respectées en matière de matériel, d'équipements et de protection et sécurité des données personnelles de santé. La pertinence de la téléconsultation relève de la responsabilité du médecin téléconsultant. La HAS précise même que  la primo-consultation ne constitue pas un motif d'exclusion d'une téléconsultation. Il convient alors d'adapter la durée de la téléconsultation afin d'établir la relation patient-professionnel médical (interrogatoire détaillé : antécédents, traitement en cours, allergies, etc.).

Les 4 universités du Massachusetts (USA), tirant les leçons des pratiques de téléconsultation au cours de la période Covid-19, ont fait plusieurs recommandations aux médecins américains que l'on retrouve dans la conception même de ces cabines (http://www.telemedaction.org/450415051). Par exemple, la communication non verbale, bien analysée par les chercheurs en psycho-sociologie, est respectée : la perception par le patient d'une proximité avec le médecin, la relaxation pendant l'échange illustrée par la posture du patient confortablement assis, la faible sonorisation de la cabine qui permet au patient d'être réactif avec ce que lui demande le médecin. La vision du médecin par le patient à travers l'écran n'est pas limitée à son visage mais aussi au thorax et aux mains, ce qui renforce la qualité de la communication non verbale.

Il y a d'autres avantages apportés par la téléconsultation en cabine : une maîtrise de la symétrie des échanges créant un sentiment d'intimité qui permet de livrer des sentiments personnels, le design même de la cabine qui atténue le caractère trop professionnel de l'échange, les distances visuelles et auditives sont également bien étudiées. Enfin, l'ambiance au sein de la cabine (éclairage, couleur, bruit) favorise la perception et la communication avec le médecin (https://www.20minutes.fr/sante/2221727-20180219-video-telemedecine-quoi-ressemble-cabine-teleconsultation-medicale). La confidentialité et la sécurité des échanges sont assurées. Un compte rendu de la téléconsultation est immédiatement donné au patient et un double est adressé au médecin traitant du patient si ce dernier le demande. Il pourrait à partir de 2022 être versé dans le DMP de "Mon Espace Santé" (MES) du citoyen qui télé consulte.

Certaines cabines sont "truffées" d'objets connectés (stéthoscope, otoscope, dermatoscope, pharyngoscope, tensiométrie, spirométrie, ECG, balance, température, audiométrie, visiométrie, etc.), objets que le patient peut manipuler seul à la demande du médecin qui est à l'écran (image du billet). Ces objets connectés rendent la téléconsultation plus performante, la rapprochant ainsi d'une consultation présentielle. Les téléconsultations réalisées dans ces cabines de télémédecine ne sont pas des actes dégradés, contrairement à certaines pratiques de téléconsultation qui ont marqué la période de confinement due à la Covid-19.(http://www.telemedaction.org/447844126)(http://www.telemedaction.org/450151637)

Quelle pourrait-être alors la place de cabines de télémédecine dans l'écosystème de la santé numérique au 21ème siècle ?

Les cabines sont saluées par les médias et les politiques qui cherchent des solutions pour améliorer l'accès aux soins de leurs concitoyens dans les déserts médicaux. La profession médicale, quant à elle, refuse de voir dans ces cabines une réponse aux problèmes de démographie médicale qui frappent certains territoires français.

Analysons tout d'abord les récentes positions du CNOM

Souhaitant faire un bilan des pratiques de télémédecine depuis le décret du 19 octobre 2010 et depuis le financement de la téléconsultation et de la téléexpertise dans le droit commun (15 septembre 2018 et 11 février 2019), le CNOM a publié un premier avis en décembre 2020, remis à jour en octobre 2021 après la publication au JORF de l'avenant 9 de la convention médicale. Ce rapport a pour titre le "Mésusage de la télémédecine" en ciblant essentiellement la pratique de la téléconsultation. Le CNOM rappelle qu'il a la mission de veiller à la conformité des pratiques médicales avec le code de déontologie qui, rappelons-le, est un décret en Conseil d'Etat, dont les articles figurent dans la partie réglementaire du Code de la santé publique (CSP). Chaque médecin inscrit à l'Ordre des médecins a ainsi l'obligation "réglementaire" de le respecter.

Le premier sujet traité concerne l'exercice exclusif de la téléconsultation. Le CNOM estime que la prise en charge de patients, exclusivement en téléconsultation, porte atteinte aux exigences déontologiques de qualité, de sécurité et de continuité des soins. Par ailleurs, la pratique exclusive de la téléconsultation génère, sil elle est durable, une perte d’expérience clinique susceptible de placer le médecin en situation d’insuffisance professionnelle. Si tous les conseils nationaux professionnels (CNP) ont été consultés par le CNOM, seuls 23 sur les 48 existant ont explicité leur réponse. C'est sur le résultat de cette consultation des CNP que le CNOM a demandé que l'avenant 9 précise que l'activité de téléconsultation ne dépasse pas 20% de l'activité globale d'un médecin libéral ou salarié.

Cette limitation de la téléconsultation est-elle appropriée à toute pratique médicale ? Le CNOM et 23 CNP le pensent. Il nous semble cependant qu'une telle mesure aurait pu être mieux ciblée. S'il est indiscutable que la médecine de soin primaire ne doit pas se faire par un exercice exclusif de la téléconsultation, qu'un médecin traitant doit réaliser en alternance des téléconsultations dans le cadre d'un parcours de soins reposant en priorité sur des consultations ou des visites en présentiel, cela peut être plus discutable dans certaines spécialités où la téléconsultation ouvre des champs nouveaux d'exercice à distance, comme en santé mentale, en addictologie ou en gynécologie.

Il y a certaines spécialités où l'examen physique n'apporte pas d'éléments diagnostics. Même en soin primaire, les données scientifiques précisent depuis 40 ans que la contribution au diagnostic de l'examen physique n'est que de 5,7% alors qu'un dialogue bien conduit avec le patient contribue à 70% du diagnostic et les examens complémentaires à 24,3% ((https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02117820/document). Une téléconsultation construite sur une bonne communication verbale et non verbale peut ainsi contribuer au diagnostic et à la décision thérapeutique dans de nombreuses spécialités.

Le CNOM a raison de rappeler que la pertinence d'une téléconsultation relève de la responsabilité pleine et entière du professionnel médical, comme cela figure dans le décret relatif à la télésanté du 3 juin 2021.

Le deuxième sujet traité concerne l'exercice d'une activité de téléconsultation par l'intermédiaire d'une plateforme commerciale.

L'usage d'une plateforme commerciale ou "service d'e-santé" ne signifie pas que la pratique médicale est forcément commerciale (http://www.telemedaction.org/448760658). L'exercice de la télémédecine et du télésoin s'appuie nécessairement sur un service commercial proposé par un industriel ou une start-up. Le CNOM distingue les sociétés commerciales qui fournissent aux professionnels de santé des outils pour l'exercice médical en présentiel (logiciel métier) ou à distance (logiciel Saas de télésanté), de celles qui se présentent comme des "offreurs de soins" en dehors de toute organisation territoriale reconnue et de tout parcours de soins.

Les thèmes de réflexion choisis par le CNOM illustrent les points faibles de certaines plateformes nationales qui travaillent de manière indépendante, sans prendre en compte les parcours de soins coordonnés par le médecin traitant et les solutions territoriales confiées aux CPTS lorsqu'un examen clinique s'avère nécessaire. Nous avons, à plusieurs reprises sur ce site souligné la nécessité pour ces plateformes de se rapprocher des territoires de santé. Le lecteur pourra lire ces précédents billets : (http://www.telemedaction.org/441717691)(http://www.telemedaction.org/442091917)(http://www.telemedaction.org/442659857)(http://www.telemedaction.org/424171961)(http://www.telemedaction.org/447610980)

Avant le 13 septembre 2018, les complémentaires santé ont financé l'expérimentation de ces plateformes autorisée par les ARS (essentiellement celle de l'Ile de France), leur permettant d'offrir à leurs affiliés une garantie santé dans laquelle figuraient six téléconsultations annuelles avec ces plateformes. Aujourd'hui, les complémentaires santé veulent participer au parcours de soin coordonné. Le rapprochement de certaines plateformes françaises avec des groupes internationaux qui développent un "marché" de la téléconsultation a contribué à donner l'image controversée d'un e-commerce de la télémédecine, comme il existe aux Etats-Unis.

Des cabines de télémédecine pour développer la prévention primaire ?

Il faut se préparer à sortir de la période pandémique et l'avenant 9 a donné un cadre juridique qui doit permettre à la télésanté de trouver sa place dans un système de santé numérisé. (http://www.telemedaction.org/449536030)(http://www.telemedaction.org/446283095)(http://www.telemedaction.org/450710673)

Les opérateurs de cabines de télémédecine doivent corriger certaines erreurs de communication. Les cabines, si elles veulent développer une offre de soin primaire dans certaines zones de basse densité médicale, doivent s'intégrer à l'organisation territoriale et contribuer à améliorer l'accès aux soins lorsque l'offre territoriale est insuffisante, comme le précise l'avenant 9.

La qualité technologique de ces cabines de télémédecine mérite qu'on réfléchisse à leur place dans l'organisation des soins au 21ème siècle. Leur objet doit être mieux précisé. Elles s'adressent d'abord à une population jeune qui n'a pas besoin d'assistance à la téléconsultation. Leur installation dans des zones de basse densité médicale où dominent des populations âgées n'est probablement pas opportune, car l'illectronisme est fréquente dans cette population âgée de 65 ans et plus. (http://www.telemedaction.org/450497110).

La santé doit être avant tout un état de bien-être physique, mental et social. La prévention primaire doit permettre de maintenir cet état de bien-être. Certaines de ces cabines de télémédecine sont bien équipées en solutions connectées pour réaliser de véritables check-up de prévention primaire, comme la sécurité sociale le propose à ses affiliés depuis plus de 40 ans.

La santé scolaire fut créée en 1945, au décours de la seconde guerre mondiale, pour promouvoir l'hygiène et la santé dans les établissements scolaires. C'était de la prévention primaire. Elle visait le bien être des élèves et la prévention des maladies infectieuses de l'enfance. Elle fut confiée, non pas aux médecins traitants, mais à des médecins de santé scolaire dont la démographie est aujourd'hui déclinante. Des infirmiers et des infirmières les ont remplacés.

Au 21ème siècle, le besoin d'accompagner la santé mentale de jeunes adolescents et d'adultes en activité professionnelle est reconnu. L'actualité quotidienne l'illustre. La période Covid a montré le fort impact de la pandémie sur la santé mentale de nos concitoyens. Des check-up avec des téléconsultations de prévention primaire en santé mentale (prévention du burn out), en addictologie (tabac, alcool, cannabis), en diététique (surcharge pondérale, obésité), en éducation physique (prévention cardio-vasculaire), en hypertensiologie (5 millions de Français ignorent qu'ils sont hypertendus, alors que l'hypertension est la 1ère cause d'un AVC), en diabétologie (1 million de diabétiques ignorent leur maladie), téléconsultations organisées au plus proche du domicile dans des lieux faciles d'accès (pharmacie, centre commercial) ou au sein d'entreprises, peuvent apporter un réel service médical rendu aux citoyens français. Notre pays a une prévention primaire insuffisamment développée. Ces téléconsultations de prévention ne doivent être limitées en nombre. Elles peuvent être financées par les complémentaires santé et/ou l'assurance maladie.

Les cabines de télémédecine peuvent ainsi trouver une place utile dans l'écosystème de la telesant. l'organisation professionnelle autour de la prévention primaire (médecin généraliste, psychiatre adulte et pédopsychiatre, psychologue, IPA en santé mentale, médecin addictologue, autres spécialistes, etc.) peut ne pas être uniquement territoriale. Le professionnel de santé en charge du dépistage dirige ensuite le patient dans un parcours de soins coordonné par un médecin traitant. La CPTS du lieu de résidence du patient se chargeant de trouver un médecin traitant si la personne dépistée n'en a pas encore. Ces téléconsultations de prévention primaire complètent le parcours de soin coordonné par le médecin traitant grâce à l'usage de MES à compter du 1er janvier 2022. 

29 octobre 2021

 

 

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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