L'usage de la télé cardiologie fœtale pendant la période pandémique à la Covid-19.

La pandémie à la COVID-19 avec ses différents confinements a conduit à poursuivre la surveillance des femmes enceintes par téléconsultation. C'est la décision prise en France à la mi-mars 2020 d'autoriser les sage-femmes à suivre à distance les parturientes. Cette décision a été prise dans de nombreux pays touchés par la pandémie.

Le travail que nous rapportons dans ce billet concerne la télé cardiologie foetale qui s'est développée aux Etats-Unis pendant le premier confinement de mars à juillet 2020. La télé cardiologie foetale permet le dépistage des cardiopathies malformatives du foetus par télé échocardiographie.

Expanding Access to Fetal Telecardiology During the COVID-19 Pandemic. Schwartz BN, Klein JH, Barbosa MB, Hamersley SL, Hickey KW, Ahmadzia HK, Broth RE, Pinckert TL, Sable CA, Donofrio MT, Krishnan A.Telemed J E Health. 2021 Nov;27(11):1235-1240. doi: 10.1089/tmj.2020.0508. Epub 2021 Jan 29.PMID: 33513044.

CONTEXTE

Au début du mois de mars 2020, la maladie à coronavirus (COVID-19) est devenue une pandémie et, à la fin de ce même mois, des mesures de distanciation sociale ont été adoptées par les autorités sanitaires dans la plupart des États des États-Unis d'Amérique et du district de Columbia (DC). Pour les femmes enceintes suivies en obstétrique, chaque visite présentielle de soin prénatal constituait un risque de contamination par le virus. La télémédecine a été considérée comme un moyen pouvant atténuer ces risques tout en maintenant la surveillance de femmes enceintes, dont beaucoup étaient touchées de comorbidités (obésité notamment) les exposant à un risque accru de complications graves s’ils contractaient la COVID-19.

Dans notre centre obstétrical, avant la pandémie à la COVID-19, les mères qui avaient une indication d’échocardiogramme fœtal le réalisaient dans un hôpital pour enfants (Children's Hospital) par un cardiologue pédiatrique. Parfois, les échocardiographies fœtales ont été effectuées au sein de cabinets de médecine fœto-maternelle (MFM) en présence d’un cardiologue pédiatrique.

Avec la pandémie à la COVID-19 et l’augmentation des mesures de distanciation sociale, les femmes enceintes font face à de nouveaux obstacles pour évaluer l’état cardiaque du fœtus. Compte tenu des contacts étroits entre la mère, l’échographiste et le cardiologue pédiatrique lors des visites présentielles, le risque de contamination virale étaiet élevé. De plus, les pénuries d’équipement de protection individuelle dans de nombreux centres ont conduit à mettre en place pendant la pandémie un processus de triage pour la réalisation d'une échocardiographie foetale.

En raison des circonstances attenantes de la pandémie, le service de cardiologie pédiatrique de l’Hôpital national pour enfants (Children's National Hospital) a rapidement élargi son programme de télé cardiologie fœtale, lequel était en développement depuis 2019 afin de mieux répondre au besoin croissant de consultations obstétricales par télémédecine dans les aones isolées. Pour les cas de malformation foetale dépistés avant la pandémie, le cardiologue pédiatrique obtenait à distance des images réalisées dans le cabinet de la MFM en collaboration avec l’échographiste obstétrical. Cependant, lors de l’expansion de la télémédecine pendant la pandémie, les échographistes obstétricaux ont pratiqué l'échocardiographie foetale de manière indépendante avant de transmettre les images au cardiologue pédiatre pour interprétation.

Quelques études antérieures ont montré que la télé échocardiographie foetale pouvait être une option pour reconnaître avec succès les malformations cardiaques fœtales. Dans deux régions mal desservies sur le plan médical, les mères préféraient subir une évaluation cardiaque fœtale au niveau local (cabinet de FMF) plutôt que de se déplacer à l'hôpital national des enfants. Des études antérieures ont également rapporté l’utilisation de la télémédecine pour les évaluations échographiques fœtales dans des zones où l'accès aux centres experts était limité. À notre connaissance, il n’y a pas d’articles antérieurs au notre décrivant la télé cardiologie fœtale pendant la pandémie de la COVID-19. De plus, les données de la littérature scientifique médicale sur la télé cardiologie fœtale sont limitées.

L’objectif de cette étude est de décrire l’expérience de notre centre qui a connu une expansion rapide des services de télémédecine et de télé échocardiographie fœtale pour protéger les parturientes pendant la pandémie à la COVID-19. L’étude vise à étudier la faisabilité d’un programme de télé cardiologie fœtale pendant la pandémie à la COVID-19, avec l’évaluation du nombre de patientes examinées, l’indication de l’échocardiographie fœtale et la précision du diagnostic. On émet l’hypothèse que les téléconsultations de télé cardiologie fœtale seront suffisantes pour diagnostiquer une cardiopathie congénitale, mais légèrement moins précises que les échocardiographies fœtales réalisées en présentiel, sans que la différence (mineure) ait un impact négatif sur les chances du diagnostic.

METHODE

Nous avons effectué une analyse rétrospective des téléconsultations de cardiologie fœtale réalisées dans notre centre entre le 15 mars et le 15 juillet 2020. Toutes les données utiles ont été recueillies, c'est à dire le lieu de l’étude, l’indication de l’examen, le diagnostic, la prise en charge et les recommandations de suivi. Lorsqu’il était disponible en postnatal, le dossier a été examiné pour confirmer le diagnostic. Le nombre de téléconsultations de cardiologie foetale réalisé au cours de cette période de 4 mois a été comparé au nombre réalisé avant la pandémie. Il s’agit d’une étude entreprise dans le cadre d’un projet d’amélioration de la qualité des pratiques professionnelles au Children’s National Hospital.

Depuis 2003, les cardiologues pédiatres du Children’s National Hospital se sont associés aux cabinets de MFM dans le but d’augmenter les taux de détection prénatale du CCHD (Critical Congenital Heart Disease). Le Children’s National Hospital est un grand hôpital pédiatrique de soins tertiaires, situé à Washington, DC, desservant la plus grande région métropolitaine de DC. En élargissant les services de cardiologie fœtale aux cabinets de MFM, l’objectif était d’atteindre les mères dans des régions les plus éloignées de l’hôpital. Les échographistes des cabinets MFM ont reçu une formation en présentiel sur la technique de l’échocardiographie fœtale en collaborant avec les cardiologues pédiatres.

Le programme de télémédecine fœtale du Children’s National Hospital a été ajouté aux services de cardiologie fœtale en juillet 2019 afin de permettre aux cardiologues pédiatriques d’intervenir à distance dans plusieurs endroits et ainsi d’accroître l’accès aux soins en dehors des cliniques spécialisées dans le but de réduire les interruptions dans la continuité des soins au cours de la grossesse. Avant le 15 mars 2020, les téléconsultations de médecine fœtale avaient été effectuées dans un site communautaire de MFM. Cependant, avec l’éclosion de la COVID-19 et compte tenu des obstacles qui empêchaient les parturientes de se rendre à la clinique de cardiologie fœtale, les téléconsultations de médecine fœtale se sont développées.

En mai 2020, cinq cliniques MFM participaient au programme de télé cardiologie fœtale, la plus proche étant à 4 miles et la plus éloignée à 23 miles du Children's National Hospital de Washington DC. Quatre cardiologues pédiatriques donnaient des téléconsultations de cardiologie fœtale pendant toute la période étudiée. Dans la mesure du possible, la télé-échocardiographie fœtale était réalisée en même temps que l'imagerie de l'anatomie fœtale ou celle de la croissance fœtale afin de réduire les visites des femmes enceintes à la clinique.

Le premier site de télémédecine MFM a servi de test avant la pandémie avec une liaison numérique dédiée (matériel/CODEC fourni par ViTel Net, Inc. [McLean, VA], VIDYO utilisé pour la videotransmission). Quatre salles ont été aménagées avec des caméras et l’examen pouvait être visionné en direct par le cardiologue pédiatre. Ce système permettait également de converser avec le spécialiste qui lisait et interprétait l'image foetale. A la fin de l’examen, les images étaient hébergées dans un PACS. Les échographistes sur place avaient tous reçu une formation pour réaliser une échocardiographie fœtale sous la direction du cardiologue pédiatrique.

Une fois l’échocardiographie fœtale terminée, le cardiologue pédiatrique conseillait la famille en fin de téléconsultation ou fixait un rendez-vous de suivi pour discuter en présentiel avec la famille. La parturiente était informée de la nécessité ou non d’un nouvel examen à la clinique MFM ou à l’hôpital tertiaire pour enfants.

RESULTATS

Développement de la télé cardiologie fœtale pendant le confinement :

Entre le 15 mars 2020 et le 15 juillet 2020, il y eut une forte augmentation du nombre d’examens du foetus réalisés par télé cardiologie avec un maximum de 53 études pour le seul mois d'avril 2020, au lieu d’une moyenne de 5 à 6 études par mois avant la pandémie. Au total, 122 parturientes ont été examinées par télé cardiologie fœtale dans les cinq cliniques MFM. Egalement, 152 échographies fœtales standards ont été effectuées. La majorité des femmes enceintes ont eu leur première consultation de suivi de grossesse par télémédecine. Quatre ont d’abord été vues à l’hôpital national pour enfants et ont ensuite été suivies par téléconsultation. Par comparaison, au cours de la même période, 153 femmes enceintes (159 échographies) ont été évaluées en présentiel dans les cabinets de MFM et 180 femmes (226 échographies fœtales) à l’hôpital pour enfants

Indications de la télé cardiologie fœtale

L’indication la plus courante de l’échocardiographie fœtale était la fécondation in vitro (n  = 36, dont 4 avec une gestation gémellaire). Les autres indications étaient des résultats anormaux à l’échographie fœtale standard, le fœtus présentant des anomalies malformatives, le foetus d'une mère atteinte de diabète sucré, le fœtus d’une mère ayant des antécédents familiaux d’anomalie cardiaque, le fœtus d’une mère avec des auto-anticorps anti-SSA, une grossesse gémellaire mono-chorionique ou di-chorionique et le fœtus d’une mère exposée à des médicaments potentiellement toxiques pour le foetus.

Les cas de CCHD

Il y avait 14 mères (11,5%) qui avaient des échocardiographies fœtales anormales lors de leur téléconsultation, nécessitant un suivi supplémentaire, avec un total de 19 échocardiographies fœtales anormales (12,5%) réalisées pendant cette période. Parmi toutes les mères qui ont participé à la télé cardiologie fœtale, 5,7 % (n = 7) avaient des échocardiographies fœtales suspectes d'un CCHD, y compris le syndrome du cœur gauche hypoplasique, c'est à dire la variante hypoplasique du cœur gauche, l’arc aortique interrompu, la tétralogie de Fallot et la tétralogie de Fallot avec des anomalies aorto-pulomonaires majeures. Deux patientes ont eu leur diagnostic lors d’une première visite en présentiel à la clinique de cardiologie fœtale et ont été suivies ensuite par télémédecine. Les cinq autres diagnostics de CCHD ont d’abord été posés par télé cardiologie fœtale, et quatre d’entre eux ont fait l’objet d’un suivi et d’un conseil génétique en présentiel. Une mère a été suivie exclusivement par des téléconsultations de cardiologie fœtale jusqu’à l’accouchement.

Suivi post-natal

Tous les échocardiographies fœtales suspectes de CCHD ont été confirmées après la naissance sans remise en question du diagnostic réalisé pendant la grossesse. À notre connaissance, aucun des échocardiographies fœtales normales pendant la grossesse n’a été suivi de la découverte d’une cardiopathie congénitale dans la période post-natale.

CONCLUSIONS

Il s’agit de la première étude publiée dans la littérature internationale qui décrit l’expérience du développement de la télé cardiologie fœtale pendant la pandémie de COVID-19. En raison des circonstances particulières dues de la pandémie, notre programme de télé cardiologie fœtale s’est rapidement développé. Il s’est avéré efficace puisqu'il a donné des résultats fiables. Au cours de cette période de 4 mois, 122 mères ont été vues en télé cardiologie fœtale et cinq nouveaux diagnostics de CCHD ont été posés. Deux diagnostics antérieurs de CCHD ont pu être suivis en téléconsultation par télé cardiologie fœtale. La télé cardiologie fœtale s’est avérée précise chez les personnes avec CCHD, sans erreurs de diagnostic révélées en période post-natale.

L’organisation développée avant la pandémie avec les échographistes des cabinets de MFM s’est avérée cruciale pour le développement rapide de la télé cardiologie foetale pendant la pandémie. L’expérience antérieure des échographistes obstétricaux  dans la réalisation d’échocardiographies fœtales assistée d'un cardiologue pédiatrique en présentiel a permis d’acquérir en période pandémique une expertise suffisante permettant de réaliser de façon indépendante cette imagerie foetale avant de la transférer au cardiologue pédiatre pour interprétation.

La détection prénatale du CCHD chez les parturientes américaines entraine une intervention chirurgicale dans les 6 mois suivant la naissance chez environ 40% des cas dépistés. Il existe une variabilité significative entre les régions et les types de malformations cardiaques. On ne sait toujours pas comment la pandémie à la COVID-19 affectera finalement la détection prénatale du CCHD. Cependant, compte tenu du faible nombre de cliniques fœtales dans le territoire, il existe un risque de diminution des diagnostics prénataux au cours de cette période de pandémie. L’expansion des programmes de télé cardiologie fœtale peut réduire les freins à cette détection précoce et constituer un domaine de recherche clinique pour le futur afin de poursuivre cette pratique à distance après la pandémie.

COMMENTAIRES. La période de la COVID-19 avec ses périodes de confinement aura favorisé le développement de nouvelles pratiques professionnelles de télémédecine prenant en compte l'obligation d'une distanciation sociale, notamment pour suivre les femmes enceintes comme l'illustre cet article rédigé par une équipe de cardiologues pédiatres du Children's National Hospital de Washington DC.

Nous voudrions souligner deux points intéressants de l'étude à l'intention de la communauté professionnelle française. Le premier point est celui de la présence d'échographistes obstétricaux dans les cabinets américains de suivi des femmes enceintes. C'est une profession paramédicale qui vient aider les obstétriciens dans le suivi des grossesses. Ces professionnels ont été également formés à la réalisation d'échocardiographies foetales assistées par les cardiologues pédiatriques.

Le deuxième point concerne la coopération pluriprofessionnelle dans le suivi des grossesses. Elle a permis le déploiement rapide de la télé cardiologie foetale pendant les périodes de confinement de la COVID-19.

La France pourrait s'inspirer de cette expérience américaine en favorisant la formation de professionnels de santé (par exemple les sage-femmes ou les infirmiers opu infirmières) à la réalisation d'actes techniques comme l'échocardiographie foetal dans les zones isolées et éloignées des centres spécialisés. La gynécologie-obstétrique a besoin d'évoluer dans son organisation. La télémédecine peut l'y aider.

19 décembre 2021

Aux 4000 lecteurs hebdomadaires de ce blog, je souhaite de joyeuses fêtes de Noël et de fin d'année 2021, malgré le contexte sanitaire difficile. Je vous donne rendez-vous en janvier 2022 pour poursuivre notre réflexion commune sur la télémédecine et le télésoin au XXIème siècle !  

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Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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