Les innovations organisationnelles en télémédecine au 30ème congrès de l'American Telemedicine Association de San Antonio (2ème partie).

Nous continuons dans ce 2ème billet à rapporter les points saillants du congrès 2023 de l'ATA à San Antonio. Ce nouveau billet est consacré à trois communications consacrées à des organisations nouvelles en télémédecine, particulièrement intéressantes, lesquelles ont un fort impact sur la vie sociale des citoyens américains.


L'usage de la téléconsultation au service de l'avortement médicamenteux aux Etats-Unis


PATIENT ACCEPTABILITY OF ASYNCHRONOUS VS. SYNCHRONOUS TELEHEALTH MEDICATION ABORTION CARE IN THE U.S. (Presentation combined with Reaching Patients Where They Are: Travel Averted by Using Telehealth for Abortion in the United States) Leah Koenig, MSPH,1 Courtney Lyles, PhD,1 Jennifer Ko, MLIS,1 Ushma Upadhyay, MPH,1; Ena Valladeres, MPH,2 Francine Coeytaux, MPH,3 Elisa Wells, MPH3, 1University of California, San Francisco, 2California Latinas for Reproductive Justice, 3Plan C.

CONTEXTE

La téléconsultation pour réaliser un avortement médicamenteux est utilisée aux Etats-Unis depuis 2021. Son usage est devenu particulièrement utile pour les femmes de 14 Etats où l'avortement est devenu interdit (excepté pour viol ou inceste) le 15 novembre 2022, par décision du juge Matthew Kacsmaryk de la Cour suprême des Etats-Unis, lequel a révoqué l'arrêt Roe vs Wade datant de 1973. Dans ces 14 Etats (Alabama, Arkansas, Floride, Idaho, Kentucky, Louisiane, Mississipi, Missouri, Oklahoma, Dakota du Sud, Tennessee, Texas, Virginie-Occidentale et Wisconsin), les femmes utilisent désormais la téléconsultation auprès d'un professionnel de santé d'un Etat voisin où l'avortement reste légal, dans le but d'obtenir la prescription de la pilule abortive. Depuis novembre 2022, la télésanté (téléconsultation par Video, par téléphone ou par messagerie) facilite l'accès aux centres d'avortement des Etats où cette pratique reste légale.

METHODOLOGIE

Dans ce modèle, les patientes consultent de manière synchrone (lors d’une téléconsultation par vidéo ou téléphone) ou de manière asynchrone (par messagerie) un professionnel de santé de l'avortement agréé dans l'État d’origine. Elles reçoivent ensuite le médicament abortif par la poste, envoyé par une pharmacie de vente par correspondance. Cette méthode s’est avérée sûre et efficace. Cependant, l'expérience vécue des patientes prises en charge (Patients-Recorded Experience Measured) n'est pas bien connue. Nous avons réalisé et analysé les enquêtes conduites auprès de 1 312 patientes prises en charge par 3 cliniques virtuelles d’avortement. Elles ont reçu les soins appropriés entre avril 2021 et janvier 2023. Nous avons mesuré l’acceptabilité à l’aide d’indicateurs de satisfaction globale, la question de savoir si la télésanté les aidait à prendre la bonne décision, ainsi que le sentiment de confiance envers les professionnels des services de télésanté. Nous avons décrit l’acceptabilité en fonction des caractéristiques des patientes, y compris l’âge, la race/origine ethnique et la durée de la grossesse au moment de la demande d'avortement. Nous avons ensuite utilisé la régression logistique multivariable pour évaluer les différences d’acceptabilité selon les caractéristiques des patients et selon que la téléconsultation était synchrone (par Video ou téléphone) et asynchrone (par messagerie).

RESULTATS

La plupart des participantes à l'enquête ont déclaré être très satisfaites des soins délivrés par le moyen de la téléconsultation ou télésanté (90 %), ont estimé que la télésanté contribuait à prendre la bonne décision (97 %) et elles faisaient confiance au professionnel de santé qui intervenait à distance (98 %). Les avantages de la télésanté les plus couramment cités étaient l’opportunité de réaliser cet avortement (76 %) et le fait de pouvoir le faire à la maison (74 %). En revanche, plus du tiers (37 %) ne savaient pas si le service rendu était fiable ou légitime. Les participantes qui ont reçu les soins de manière synchrone étaient plus susceptibles de déclarer que la télésanté était la bonne solution (98 % vs 96 %, p = 0,027), mais il n’y avait pas de différences significatives dans la satisfaction globale ou la confiance envers ce moyen. Les participantes asiatiques étaient moins susceptibles que les participantes blanches d’être très satisfaites des soins d’avortement par télésanté (90 % contre 79 %, p = 0,007).

CONCLUSIONS

Les soins d’avortement médicamenteux délivrés par télésanté sont tout à fait acceptables, la plupart des patientes indiquant qu’elles étaient satisfaites du modèle organisationnel, qu’elles faisaient confiance au professionnel de santé et qu’elles se sentaient bien pris en charge. Il n'existait que peu de différences entre les modèles synchrones (téléconsultations par Video ou par téléphone) et asynchrones (échanges par messagerie). Les avantages de la télésanté fortement soulignés dans l'enquête était la confidentialité du soin et l’opportunité d'y accéder, ce qui est particulièrement important pour ce traitement médical qui reste encore stigmatisé. De plus, l’incertitude quant à la légitimité des services virtuels d’avortement demeure chez un certain nombre de femmes et pourrait être réduite à mesure que la connaissance de cette solution serait connue du grand public. La télésanté pour les soins d’avortement peut se développer compte tenu des disparités régionales croissantes dans l’accès aux soins d’avortement légaux aux États-Unis.


REACHING PATIENTS WHERE THEY ARE: TRAVEL AVERTED BY USING TELEHEALTH FOR ABORTION IN THE UNITED STATES (Presentation combined with Patient Acceptability of Asynchronous vs Synchronous Telehealth Medication Abortion Care in the US) Leah Koenig, MSPH, Jennifer Ko, MLIS, Ushma Upadhyay, PhD, MPH, Andréa Becker, PhD, MA. University of California, San Francisco.

La même équipe de chercheurs de l'Université de Californie a complété l'étude précédente par une évaluation médico-économique du modèle d'avortement par télésanté.

RESULTATS

Sur les 6 106 avortements réalisés chez des femmes vivant dans 24 États et à Washington, DC, les patientes concernées ont évité 173 032 miles de conduite et 3 910 heures de conduite grâce à l'usage de la télésanté. Le trajet aller-retour moyen évité était de 28 miles (intervalle: 0,13 à 566 miles) et le temps évité de 38 minutes (intervalle: <1 minute à 9 heures). Les patientes ont évité 11 152 heures au total dans les transports en commun, soit une moyenne de 2,2 heures (intervalle : 2 minutes à 40 heures). Ceux du Sud et du Midwest ont évité plus de déplacements grâce à la télésanté. Les patientes qui vivaient le plus loin d’une clinique d'avortement étaient moins susceptibles de déclarer qu’elles auraient eu accès à un avortement en clinique si les services offerts par la télésanté n'avaient pas existé.

CONCLUSIONS

La télésanté pour réaliser un avortement peut réduire considérablement les obstacles géographiques et, pour certains, peut faire la différence pour obtenir l'avortement désiré. La télésanté peut réduire les frais de garde d’enfants dus au déplacement en clinique, ce qui est essentiel pour cette population de patientes, dont les 3/4 vivent avec de faibles revenus. Les avantages de la télésanté sont ainsi essentiels, en particulier pour celles vivant au Sud et dans le Midwest où les interdictions récentes depuis novembre 2022 rendent l’avortement illégal et inaccessible dans ces 14 Etats.


Commentaires. La situation vécue par les femmes américaines aux Etats-Unis ne peut être comparée à celle vécue par les femmes françaises où l'avortement est légal sur tout le territoire. Rapporter cette expérience américaine est cependant intéressante, car elle montre que notre système de santé, du moins dans ce domaine, est bien meilleur que celui des Etats-Unis. Les difficultés rencontrées par les femmes américaines de 14 Etats, depuis novembre 2022, contribuent à développer de nouveaux modèles organisationnels de soins à distance. La télésanté aux Etats-Unis n'a pas la même définition qu'en France (https://telemedaction.org/437100423/449653873). Elle rassemble toutes les solutions technologiques qui permettent de recevoir des soins à distance (Video, téléphone, messagerie). En France la téléconsultation gynécologique pour suivre la contraception des jeunes femmes et les aider lorsque le risque de grossesse n'a pas été protégé est une avancée organisationnelle en santé publique qui est hors du parcours de soins coordonné par le médecin traitant.


Le suivi à la maison par téléconsultations des nouveau-nés à leur sortie des soins intensifs de néonatalogie (USIN)


VIRTUAL NEONATAL SUPPORT PROGRAM (VINES): BRIDGING THE GAP BETWEEN HOSPITAL AND HOME. Amit Agrawal, MD. Envision Physician Services.

CONTEXTE

Traditionnellement, les médecins de néonatologie et les infirmières praticiennes en néonatologie (NNP) étaient confinées entre les quatre murs de leur unité de soins intensifs. Virtual Neonatal Support Program (VINES) est le premier programme qui permet de changer cette image, en fournissant dans l'Etat de l'Arizona un soutien hautement spécialisé pendant la période du retour au domicile, période la plus vulnérable pour les prématurés libérés de n’importe quelle USIN de l’Arizona. La durée moyenne de présence des nouveau-nés à l’USIN peut dépasser 20 jours, certains dépassant les 100 jours. Il existe un besoin de surveillance après la sortie de l’USIN et le retour à la maison pour ces nourrissons souvent prématurés et très vulnérables.

METHODOLOGIE

Le Programme virtuel de soutien néonatal (VINES) a permis aux médecins de néonatologie et aux infirmières praticiennes d'accompagner les nouveau-nés et les nourrissons après la sortie de l’USIN. Le soutien virtuel avait deux volets :  des téléconsultations programmées et des téléconsultations ponctuelles à la demande des parents. Ce programme constitue un cadre de sécurité et de soutien aux nourrissons vulnérables et fragiles après leur sortie de l’USIN.

Ce nouveau filet de sécurité vise à réduire les retours aux urgences de pédiatrie, les déplacements inutiles et à éviter plusieurs événements indésirables grâce à la délivrance du juste soin au bon moment.

RESULTATS

Depuis mars 2021, 602 téléconsultations ont été réalisées auprès de 357 familles vivant en Arizona et 391 enquêtes familiales de satisfaction ont été réalisées après la téléconsultation (65%). La satisfaction des parents était de 98%. A la question, "utiliseriez-vous à nouveau VINES ? ", la réponse fut positive chez 96%. De plus, 99% des familles interrogées estiment que toutes les questions ont reçu une réponse satisfaisante, 76 % pensent que la téléconsultation a permis d’éviter un retour aux soins d’urgence. Une enquête a été réalisée auprès de 433 professionnels de santé de néonatalogie après la téléconsultation qu'ils ont réalisée. 22% estimaient que la téléconsultation avait empêché le retour aux urgences du service de néonatalogie.

Les sujets abordés avec les parents pendant la téléconsultation concernaient l’alimentation, les soins respiratoires, les soins du développement, les médicaments et les diagnostics portés lors du séjour de l'enfant à l’USIN.

La modélisation des coûts a permis d'évaluer une économie de 1,2 millions de dollars par 1 million de vies de nourrissons.

CONCLUSIONS

Le programme VINES a permis de suivre efficacement pendant une période vulnérable les nouveau-nés et nourrissons après leur sortie de l’USIN et leur retour au domicile. Les statistiques nationales montrent que plus de 20 % des hospitalisés dans les USIN sont réadmis après leur sortie. Le traumatisme vécu par les familles lorsque leur enfant est à l’USIN crée une anxiété et un manque de préparation pour le retour de l'enfant à la maison. En fournissant un soutien virtuel par des professionnels de santé de néonatalogie grâce à la réalisation de téléconsultations programmées ou à la demande des parents, VINES a créé un cadre de sécurité qui a une valeur clinique et financière importante pour les familles et l'ensemble de la communauté de l'Arizona. Les premiers résultats de ce programme démontrent qu'il existe un besoin réel de soutien néonatal après la sortie de l'USIN et le retour au domicile des nouveau-nés et nourrissons qui y ont été hospitalisés. Son succès est illustré en particulier par une grande satisfaction des familles.


Commentaires. Cette belle étude appelle trois commentaires. Le premier est de rappeler que les systèmes de santé au 21ème siècle évoluent de plus en plus vers des soins de haute technicité, en particulier dans les services de réanimation néonatale qui prennent en charge de plus en plus souvent des prématurés qui ne pourraient survivre sans un séjour de plusieurs semaines en USIN. Le deuxième commentaire concerne les parents de ces nouveau-nés et nourrissons qui vivent dans l'angoisse de perdre leur enfant ou qui craignent des séquelles neurologiques après le séjour en USIN. Le troisième commentaire sera de souligner l'organisation professionnelle nouvelle que permet la télémédecine pour répondre à ces besoins nouveaux. Comme au décours d'un acte chirurgical chez une personne âgée qui cumule plusieurs facteurs de risque de complications, la réanimation intensive des nouveau-nés prématurés justifie l'organisation d'un suivi par téléconsultation lors du retour au domicile, ce qui permet d'accompagner et souvent de rassurer les parents. La France pourrait s'inspirer de cette organisation nouvelle au décours d'un séjour en réanimation.


3 mai 2023

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