Dispositifs médicaux numériques : comment leur développement va permettre l'installation durable de soins distanciels.


Les innovations numériques en santé sont reconnues comme des performances technologiques des industries de la HealthTech française ou internationale, en particulier lorsqu'elles intègrent l'IA dans leur fonctionnement. Les nombreux non-initiés de cette évolution parmi les citoyens, usagers de la sante ou patients, ne perçoivent pas toujours l'intérêt de ces innovations en santé, c'est à dire ce qu'elles apportent réellement en matière d'accès ou de qualité des soins. Les innovations technologiques comme les dispositifs médicaux numériques (DMN) doivent démontrer le service médical attendu ou rendu (SMA/SMR) qu'ils sont sensès apporter. Très souvent, on suppute des bénéfices avant  même que la démonstration scientifique en soit faite. Convaincre du SMA/SMR par une étude scientifique peut tarder ou même ne jamais advenir lorsque la startup n'a pas les moyens financiers de la réaliser.

La transformation numérique du système de santé au 21ème siècle devrait à terme répondre à une meilleure prévention des maladies chez les enfants et jeunes adultes, ainsi qu'à une meilleure prise en charge des soins chez les personnes âgées touchées par des pathologies chroniques liées au vieillissement (70% des dépenses de l'assurance maladie).

Si le XXème siècle fut caractérisé par une médecine clinique au lit ou en présence du patient, et s'appuyait beaucoup sur l'hôpital (hospitalocentrisme), le XXIème siècle sera caractérisé par une médecine différente, dite "hybride", alternant des soins distanciels et des soins présentiels (https://telemedaction.org/422021881/m-decine-hybride-au-21-me-si-cle).

Les parcours de soins seront caractérisés par un recours moins fréquent à l'hôpital public, le maintien au domicile des personnes malades, notamment celles qui sont âgées et atteintes de maladies chroniques et une plus grande responsabilité des citoyens dans la gestion de leur propre santé grâce à des dossiers médicaux "centrés" sur le patient. En clair, les soins distanciels auront une place de plus en plus importante en remplaçant les soins présentiels considérés comme "évitables" (https://telemedaction.org/422021881/consultations-pr-sentielles-vitables)(https://telemedaction.org/422021881/consultations-pr-sentielles-vitables-2). Les nécessaires transformations organisationnelles se feront avec l'aide des technologies numériques et de l'IA. 

Dans ce nouveau paysage de notre système de santé, les dispositifs médicaux numériques (DMN) en général, et ceux qui auront démontré un SMA/SMR sur la morbi-mortalité, que l'on nomme "thérapies digitales"(DTx), structureront les parcours de soins. Les DMN et les DTx sont en pleine croissance, notamment depuis que les autorités françaises ont décidé leur remboursement dans le droit commun de la sécurité sociale. Il s'agit des DMN permettant la télésurveillance médicale des patients atteints de maladies chroniques ainsi que des DTx dont la prises en charge financière anticipée permettra d'accélérer leur développement d'ici 2030. On parle ici du programme PECAN (Prise en Charge Anticipée Numérique) qui permet depuis le 30 mars 2023 d'obtenir un remboursement dérogatoire d'un DTx en cours d'évaluation clinique. Ce programme a pour objectif d'accélérer leur remboursement (https://www.eurasante.com/news/actualite-filiere-regionale/lacceleration-du-remboursement-des-dispositifs-medicaux-grace-au-dispositif-pecan/).


Une stratégie volontariste des autorités françaises


Il y a à l'évidence une volonté de la France d'acquérir d'ici 2030 un leadership européen dans ce domaine. La stratégie s'appuie sur la volonté des autorités françaises d'accélérer le développement de la santé numérique. En voici les principales initiatives.


Remboursement de la télésurveillance médicale dans le droit commun

En vigueur depuis le 1er août 2023, la France est le premier pays européen à rembourser cette troisième pratique de la télémédecine, après celles de la téléconsultation en septembre 2018 et de la téléexpertise en février 2019. S'appuyant sur les résultats de l'expérimentation ETAPES (https://telemedaction.org/422016875/432585384), la Haute autorité en santé (HAS) a publié en janvier 2022 les 5 référentiels définissant les conditions de prises en charge par télésurveillance médicale des patients atteints d'insuffisance cardiaque chronique, d'insuffisance respiratoire chronique, d'insuffisance rénale chronique, de diabète (type 1 et type 2) et porteurs d'un DECI pour troubles du rythme cardiaque. Les patients bénéficiant de ce remboursement sont inscrits sur la liste des activités de télésurveillance médicale (LATM) (https://www.has-sante.fr/jcms/p_3311071/fr/telesurveillance-medicale-referentiels-des-fonctions-et-organisations-des-soins).

Le remboursement distingue 4 niveaux d'impact de la télésurveillance médicale : sur l'organisation, sur la qualité de vie, sur la morbidité et sur la mortalité, ces impacts faisant du DMN un DTx (voir le tableau ci-dessous). S'agissant d'une enveloppe financière fermée, le forfait baisse à mesure que le volume de patients pris en charge augmente.


















Remboursement des DMN

Lorsque les DMN sont inscrits sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR), ils bénéficient d'un remboursement dans le droit commun par l'assurance maladie. Pour être inscrit sur la LPPR, un DMN doit suivre une procédure précisée par la HAS (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2016-01/guide_fabricant_2016_01_11_cnedimts_vd.pdf). Le demandeur dépose un dossier auprès de la commission CNEDiMTS (Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé), laquelle évaluera le SAM/SMR aux patients par le DMN sur la base des études cliniques réalisées permettant d'apporter uen preuve scientifique (études controlées et randomisées).

En cas d'avis favorable, la CNMEDiTS propose l'inscription du DMN sur la LPPR, et un tarif de remboursement est négocié avec l'assurance maladie. Ce remboursement sera d'autant plus facile à obtenir que le DMN aura été considéré comme un DTx (https://telemedaction.org/451887616/444061514).

Plusieurs DMN et DTx sont aujourd'hui inscrits sur la LPPR, dont les ceux utilisés pour la surveillance des patients porteurs de DECI (dispositifs électroniques cardiaques implantables) et ceux utilisés pour surveiller un diabète (https://telemedaction.org/451887616/452719641), ou un cancer en rémission après chimiothérapie (https://telemedaction.org/432098221/441547326). Il faut cependant constater que le plus grand nombre de DTx concerne les pathologies neuro-dégénératives et la santé mentale (https://telemedaction.org/451887616/451887631).

L'Allemagne suit la même démarche avec un développement majeur des DMN comme le révèle le répertoire DiGA de l'assurance maladie allemande (ci-dessous le tableau de gauche). La majorité des DTx pris en charge concerne la santé mentale (ci-dessous le tableau de droite).














Le programme de la prise en charge anticipée numérique (PECAN)  en France.

La PECAN a été créée par la LFSS 2022 et lancée officiellement en avril 2023. Elle permet la prise en charge forfaitaire par l’assurance maladie d'un DMN à visée thérapeutique (DTx) pendant une durée d’un an non-renouvelable, avant d’obtenir l'inscription du DTx sur la LPPR afin d'obtenir un remboursement de droit commun. En clair, le promoteur d'un DMN à visée thérapeutique, sur la base des premières données, sollicite un une prise en charge anticipée pendant la période où il démontre la réalité scientifique du SMA/SMR.

L'éligibilité à la PECAN a été définie par la loi à l'article 58 de la LFSS 2022 : le DMN est à visée thérapeutique, une présomption d'innovation (bénéfice clinique, progrès dans l'organisation des soins) compte-tenu des premiers résultats obtenus et de comparateurs pertinents, un marquage CE, la conformité aux référentiels d'interopérabilité et de sécurité.

Au bout d'un an, le DTx est inscrit dans la LPPR et passe dans le droit commun. Un arrêté de fin de PECAN est publié en cas d'absence de dépôt du dossier dans les délais légaux ou si le promoteur retire la demande d'inscription dans le droit commun, le refus d'inscription sur les différentes listes, le non-respect des critères légaux portant sur le marquage CE et de la conformité aux référentiels d'interopérabilité et de sécurité, un arrêt de commercialisation pour des raisons sérieuses relative à la sécurité des patients.


L'émergence d'un système de santé associant des soins distanciels en complément des soins présentiels.


Nous avons déjà traité ce sujet sur le site.  On engage le lecteur à lire ou relire ces billets (https://telemedaction.org/422016875/m-decine-hybride-du-21-me-si-cle)(https://telemedaction.org/422021881/m-decine-hybride-au-21-me-si-cle).


Une médecine hybride qui associe la médecine traditionnelle et une médecine qui utilise les solutions numériques

Le terme "médecine hybride" a été créé par des médecins-chercheurs américains du Whashington Hospital Center. Ils en donnent l'explication dans un article publié en mai 2023 (Telehealth Clinical Appropriateness and Quality.Wang L, Fabiano A, Venkatesh AK, Patel N, Hollander JE.Telemed Rep. 2023 May 15;4(1):87-92. doi: 10.1089/tmr.2023.0019. eCollection 2023.PMID: 37283853.). Cet article posait la question suivante : la pertinence clinique des soins virtuels peut-elle vraiment être comparée à la pertinence des soins en présentiel ? Autrement dit, les soins virtuels ou distanciels ne portent-ils pas en eux leur propre pertinence clinique ? Ces auteurs vont même jusqu'à écrire : l'alternative aux « soins distanciels » n'est pas nécessairement les "soins en présentiel", mais souvent l'absence de soins. Et d'ajouter : nous devrions adopter en santé le processus qui a transformé notre façon d'interagir avec le monde, la façon dont nous gérons nos opérations bancaires, la façon dont nous voyageons, la façon dont nous consommons du multimédia, etc. (https://telemedaction.org/422021881/pertinence-et-qualit-s-cliniques-de-la-tlm-1).

Un débat contradictoire en France est porté par les défenseurs d'un examen clinique complet lors de chaque consultation médicale en présentiel, examen clinique complet que ne peut réaliser une téléconsultation, même si l'usage d'objets connectés permet dans la téléconsultation assistée d'un professionnel de santé de compléter l'interrogatoire médical dont on connaît l'importance pour l'évocation d'un diagnostic (https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02117820)(https://telemedaction.org/432098221/453327732).


Quelques exemples montrent que cette transformation du système de santé est en marche.

En médecine de soin primaire, la téléconsultation programmée et assistée, alternée avec des consultations en présentiel pour les patients atteints de maladies chroniques fait désormais partie des recommandations de la HAS, reprises dans la charte des bonnes pratiques de la téléconsultation (https://telemedaction.org/432098221/452395661)(https://telemedaction.org/432098221/452419586).

Même l'épineuse question des téléconsultations ponctuelles à l'initiative du citoyen, avec un médecin non connu du demandeur, est en voie de résolution grâce au référentiel éthique de la HAS, opposable aux sociétés de téléconsultation, afin que leur système d'information prenne en compte l'obligation du compte-rendu médical de la téléconsultation et son dépôt dans le DMP de Mon Espace Santé. Le médecin traitant actuel ou futur pourra ainsi avoir connaissance de cet acte médical et des traitements prescrits (https://telemedaction.org/437100423/r-f-rentiel-has-pour-les-soci-t-s-de-t-l-consultation). Ce nouveau cadre éthique instaure un devoir pour le citoyen d'autoriser le médecin téléconsultant d'avoir accès aux données médicales figurant dans le DMP de Mon Espace Santé, afin que ce médecin inconnu du citoyen puisse respecter son devoir d'accès à des données médicales nécessaires à une téléconsultation de qualité et de pouvoir justifier, si nécessaire, la pertinence de l'acte distanciel (https://telemedaction.org/437100423/tc-ponctuelle-et-devoirs-de-l-usager).


En médecine spécialisée, la médecine hybride se développe dans la plupart des disciplines médicales confrontées à la surveillance de patients atteints de pathologies chroniques (https://telemedaction.org/422021881/m-decine-hybride-au-21-me-si-cle). Ce sont ces patients qui ont besoin de DMN performants dans l'organisation de la télésurveillance médicale, voire de DTx qui permettent d'avoir un impact significatif sur l'évolution de la maladie chronique. Les autorités sanitaires et l'assurance maladie ont un intérêt à agir dans ce domaine afin de prévenir les hospitalisations potentiellement évitables (https://telemedaction.org/422021881/tlm-et-hpe-hospitalisation-potentiellement-vitable), un tel impact permettant de réduire les coûts hospitaliers à hauteur en France d'une dizaine de milliards d'euros.

L'organisation de soins distanciels efficaces et de qualité peut générer aux assureurs plusieurs milliards d'économies (https://telemedaction.org/422016875/451568650) et participer à la réduction de l'empreinte carbone grâce à une médecine plus "verte" qui intègre les consultations présentielles évitables (https://telemedaction.org/422016875/une-m-decine-plus-verte-gr-ce-la-t-l-m-decine) (https://telemedaction.org/422021881/consultations-pr-sentielles-vitables)(https://telemedaction.org/422021881/consultations-pr-sentielles-vitables-2).


24 février 2024