L'avant-projet de loi "Ma santé 2022" introduit une nouvelle pratique professionnelle à distance, le télésoin, pour les pharmaciens et les auxilliaires médicaux.

L'avant-projet de loi "Ma santé 2022", qui devrait être débattu dans quelques jours en Conseil des Ministres et présenté au Parlement en mars prochain, introduit pour la premier fois une nouvelle pratique professionnelle à distance pour les pharmaciens et les auxilliaires médicaux : le télésoin.

C'est un concept qui nous vient tout droit du Canada francophone où les infirmiers et infirmières, salariés de l'Etat et de niveau master (Bac+5), assurent depuis plus de 10 ans des télésoins au domicile de patients atteints de maladies chroniques.

Que prévoit l'avant-projet de loi ?

L'article 13 du texte de loi modifie le chapitre VI Titre 1er du Livre III du code de la santé publique (CSP) définissant la télémédecine (art. L.6316-1). Il a été choisi pour l'intitulé du chapitre le mot "télésanté" qui entre pour la première fois dans le CSP. La télésanté comportera désormais deux sections : la télémédecine et le télésoin.

Le futur article L.6316-2 définit le télésoin comme "une pratique de soins à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication qui met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux".

Comme cela a été fait préalablement pour la télémédecine (décret du 16 octobre 2010, revu le 13 septembre 2018), les conditions de prise en charge des activités de télésoin seront fixées par décret, en tenant compte notamment des déficiences de l'offre de soins dues à l'insularité et l'enclavement géographique".

Les actes de télésoin remboursés par l’assurance maladie doivent être effectués par "vidéotransmission" et mettent en relation soit un pharmacien d'officine, soit un auxiliaire médical avec un patient.

Le remboursement sera subordonné à la réalisation préalable, en présence du patient, soit d’un premier soin effectué par un auxiliaire médical de la même profession que celle du professionnel assurant le télésoin, soit d'un premier soin ou d'un entretien pharmaceutique lorsqu'il s'agit d'un pharmacien.

Les autorités françaises comptent donner aux pharmaciens et aux auxilliaires médicaux des responsabilités propres dans la pratique de télésoin, en particulier dans les zones où l'offre de soins est déficiente.

Il n'est pas précisé ce qu'est en France une "offre de soins déficiente " : S'agit-il d'une difficulté d'accès à des soins infirmiers en présentiel ? S'agit-il d'une difficulté d'accès à un médecin de soins primaires ? S'agit-il d'une difficulté d'accès à un établissement de santé ?

Les activités de télésoin seront précisées et autorisées "par arrêté du ministre en charge de la santé, après avis de la Haute autorité de santé (HAS)", laquelle devra préciser "les conditions de réalisation garantissant la qualité, la sécurité et la pertinence du télésoin".

Parmi les exemples possibles de télésoin sont cités l’accompagnement par les infirmiers des effets secondaires des chimiothérapies orales, ou les séances d’orthophonie et d’orthoptie à distance.

Une partie des pratiques de télésoins pour les pharmaciens d'officine avec leur financement a été définie dans l'avenant 15 de la Convention nationale pharmaceutique signé le 15 décembre 2018 entre les syndicats des pharmaciens d'officine et la CNAM (voir le billet intitulé "TLC en pharmacie" dans la rubrique "le Pratico-pratique"). La présence du pharmacien auprès du patient lors d'une téléconsultation avec le médecin traitant sera un acte de télésoin. 

Il reste à définir le cadre des pratiques de télésoins pour les auxilliaires médicaux, notamment pour les infirmiers et les infirmières. Ces nouvelles pratiques seront-elles seulement autorisées aux infirmiers/infirmières de pratiques avancées (IPA) ayant un niveau master (Bac+5) comme au Canada ? (voir les billets "IPA et télémédecine" et "télémédecine (23) dans les rubriques " Edito de semaine" et "Revues et publications").

Puisque le concept de télésoin a été emprunté au système de santé canadien, il est intéressant de rappeler ce qu'est le télésoin infirmier au Canada.

Ce qu'est le télésoin infirmier au Canada

Pour l'ordre infirmier d'Ottawa, le mot télésoin désigne tous les soins et services infirmiers dont la prestation et la coordination à distance passent par les TICs. Au Canada, les TICs englobent le téléphone (téléphone fixe et cellulaire), les assistants numériques personnels (PDA), le télécopieur, Internet, les vidéoconférences et les conférences téléphoniques. Une différence avec la France qui limite l'usage des TICs en télémédecine et télésoin à la vidéoconférence.

Au Canada, l’infirmière qui exerce en télésoin est appelée à fournir une large gamme de soins et de services à distance. Cette activité peut s’exercer dans divers milieux de travail : soins ambulatoires, centres d’appels, services d’hôpitaux, résidence de patients, urgences, compagnies d’assurance, agences d’infirmières visiteuses et bureaux de santé publique.

Prodiguer des télésoins englobe au Canada de nombreuses situations : répondre aux questions d’un patient sur des examens de laboratoire, donner des renseignements sur une maladie, conseiller le patient ou l’adresser vers d’autres structures de conseil (service d’écoute téléphonique; service d’aide aux mères en détresse, centre antipoison; plateforme d’écoute pour jeunes, plateforme d’intervention d’urgence en santé mentale), organiser une vidéoconférence entre le patient et le médecin prestataire de soins ou entre prestataires de soins, offrir des services d’évaluation et des conseils en matière de vaccination, aider les voyageurs à obtenir les soins dont ils ont besoin à l’étranger, favoriser les autosoins en donnant des conseils en matière de santé et en répondant aux questions des patients, recourir aux technologies de l’information (vidéo, ordinateurs, traitement de données) pour surveiller l’état de santé de patients qui sont à domicile, envoyer des images numérisées d’une lésion cutanée à un dermatologue qui travaille dans une autre région, participer à une intervention chirurgicale pratiquée sur un patient qui se trouve dans un lieu éloigné. Ce large champ de responsabilités de l'infirmier/infirmière de télésoins au Canada correspond à un niveau élevé de compétences en santé que pourront acquérir en France les IPA.

Six grands principes de l'exercice de la profession sont rappelés aux infirmiers et infirmières qui pratiquent le télésoin.

1) Une relation thérapeutique avec les patients à la fois professionnelle et empathique, empreinte de confiance et de respect, de nature strictement thérapeutique. L'ordre infirmier fournit d'autres recommandations précises : poser des questions ouvertes pour obtenir le plus de détails possibles afin de faciliter le processus décisionnel, éviter le jargon médical ou technique, ne pas tirer de conclusions hâtives, être à l’affût de tout indice verbal, affectif, et comportemental qui peut receler un renseignement important, consulter d'autres professionnels de santé si besoins, etc.

2) La prestation de soins et la tenue des dossiers doivent respecter les recommandations de l'OrdreL’infirmière en télésoins dispose de plusieurs outils pour cerner les besoins des patients, prodiguer des soins et les évaluer : modèles conceptuels, théories, exercice fondé sur l’expérience clinique et démarches infirmières. Pour évaluer ses patients, elle peut utiliser des questionnaires normalisés, des protocoles informatisés, des algorithmes ou tout autre outil d’aide à la prise de décisions. La prestation efficace des soins repose sur une analyse critique et le jugement clinique de l’infirmière.
Elle peut soit élaborer un plan de soins de concert avec le patient, soit suivre un protocole adapté à la situation du patient. Si l’infirmière doit déroger au protocole, comme le lui dicte son jugement clinique, elle doit assumer sa décision et les conséquences qui en découlent. Toutes les infirmières prestataires de soins, y compris celles qui offrent des télésoins, doivent respecter les recommandations de l’Ordre infirmier en matière de tenue des dossiers de santé. Les données peuvent être consignées par écrit ou sur ordinateur et conservées conformément aux lois ou règlements en vigueur. Le dossier de santé est le meilleur endroit où consigner les renseignements personnels sur la santé du patient. Si l’infirmière n’a pas accès au dossier de santé, il convient de trouver une autre méthode pour recueillir et consigner l’information.

3) Le rôle et les responsabilités des infirmières de télésoins. Il incombe à l’infirmière de vérifier qu’elle possède les connaissances, les compétences et le jugement nécessaires pour répondre aux besoins du patient. L’infirmière en télésoins est tenue de consulter des professionnels de santé qualifiés et, le cas échéant, de prendre l'initiative d'obtenir des conseils, de l’information ou de l’aide, de transférer à d'autres professionnels soit une partie des soins soit leur intégralité. Pour choisir les infirmières de télésoins qui exercent dans ce domaine, il importe de tenir compte de plusieurs éléments : la formation de base, les activités de formation permanente, l’application des connaissances, l’aptitude au leadership et l’aptitude à prendre des décisions. 

4) Le consentement éclairé et la protection des renseignements personnels. Aux termes de la Loi sur le consentement aux soins de santé, l’infirmière doit obtenir le consentement éclairé du patient avant d’administrer un traitement. L’évaluation du patient, qui vise à préciser son état de santé, est considérée comme un traitement. Cette démarche fait partie intégrante des télésoins, l’infirmière doit obtenir le consentement éclairé de ses patients avant de les évaluer et de leur proposer un traitement. En cas de partage d’informations entre membres de l’équipe soignante, il y a consentement implicite du patient si ce dernier a été informé des échanges.

Protéger la confidentialité de l’échange entre l’infirmière et son patient est un aspect important des télésoins. Elle doit prendre toute mesure raisonnable pour s’assurer que la communication est sûre des deux côtés, par exemple utiliser son cellulaire dans sa voiture, employer uniquement des prénoms ou des codes numériques lorsqu’elle discute des soins à
prodiguer, se servir de téléphones publics uniquement pour transmettre de l’information générale, etc. 

5) Les aspects déontologiques et juridiques. Les infirmières de télésoins ont des références déontologiques élaborées par leur Ordre, qu'elles doivent respecter. Il existe des jurisprudences où des infirmières en télésoins ont été accusées de négligence, voire jugées coupables d'avoir donné de mauvais conseils.

6) Les compétences des infirmières de télésoins sont supérieures à celles acquises au cours de leurs études. Les télésoins exigent de nouvelles compétences, une expertise et des connaissances supérieures à celles acquises au cours des études de base en soins infirmiers. Il est donc essentiel que l’infirmière en télésoins possède des connaissances approfondies et actuelles dans les disciplines cliniques pertinentes.

 8 février 2019

 

 

Commentaires

Pierre Simon

11.02.2019 09:46

Les soins en présentiel passent bien sûr avant les soins à distance lorsque le télésoin n'est pas nécessaire. S'il le devenait, vous avez des solutions de connexion autres que 3G/4G.

Milhau

11.02.2019 09:37

Sauf qu’en Corse la 3 G ne passe pas en zones isolées ! Et l’accompagnement et l’empathie en vers les patients en présenciel c’est ça qui est essentiel ! Déjà qu’ils n’ont plus de médecin généraliste

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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