La téléexpertise, c'est aussi de la formation médicale continue qui renforce les compétences médicales

Quand un médecin termine ses études, il sait que les connaissances acquises, tant universitaires que cliniques, devront être ajustées ou remplacées progressivement et régulièrement par les nouvelles connaissances scientifiques qui découlent des découvertes de la science médicale. S'il est bien un domaine scientifique où les nouvelles acquisitions de la recherche scientifique obligent à une formation continue des professionnels, c'est bien celui de la médecine.

Pendant très longtemps, cette formation médicale continue fut assurée et financée par les laboratoires pharmaceutiques. Les pouvoirs publics s'en satisfaisaient puisqu'il n'existait aucune autre alternative de nature publique ou privée pour les médecins. Les conflits d'intérêts qui ont découlé de cette relation avec les laboratoires, et leur lien possible avec certains accidents sanitaires, conduisirent les pouvoirs publics à réglementer ces relations avec l'industrie pharmaceutique. Force est de reconnaître que 5 ans après la création de l'Organisme Gestionnaire du Développement Professionnel Continu (OGDPC) en 2012, les pouvoirs publics n'ont pas été capables d'assurer le relais annoncé, à savoir une prise en charge de la formation continue par l'OGDPC pour tous les médecins français, de statut public ou privé, en partie à cause d'un budget nettement insuffisant.

Prenant acte de cet échec, les pouvoirs publics créent le 10 juillet 2016 l'Agence Nationale du Développement Professionnel Continu (ANDPC), nouvelle structure sensée remplacer l'OGDPC et qui serait engagée dans un "DPC" de qualité, ce qui laisse supposer que les formations délivrées par le précédent organisme ne l'étaient pas. 

La nouvelle Agence a vocation à assurer le pilotage scientifique et pédagogique du dispositif de DPC et à en mesurer l'impact, ainsi qu'à garantir la qualité de l'offre. Il y a urgence à agir car le temps passé par les médecins français au DPC depuis 2012 n'est en moyenne que de 26h/an/médecin, alors qu'il est d'au moins 40h/an/médecin dans les autres pays européens. L'ANDPC devrait s'appuyer sur les travaux des Conseils nationaux professionnels (CNP) en matière d'orientations et de parcours de DPC. Espérons que ce nouvel organisme, aux ramifications encore très complexes, soit rapidement opérationnel et efficace pour les professionnels médicaux, avant la mise en place d'une éventuelle re-certification des diplômes.

Nous ne parlerons dans ce billet que de la formation continue des professionnels médicaux au sens du Code de la santé publique.

Nul ne conteste qu'en médecine, la formation clinique "praticienne" reste la meilleure par rapport à la formation académique, certes nécessaire mais insuffisante si elle ne correspond pas à l'exercice quotidien de ce métier difficile.

LA TELEEXPERTISE EST UNE FORMATION MEDICALE CONTINUE "PRATICIENNE"

Telle que définie dans le décret du 19 octobre 2010, la téléexpertise a pour objet de permettre à un professionnel médical de solliciter l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations médicales nécessaires à la prise en charge d’un patient.

Les internes en médecine générale et  autres spécialités, qui font leurs stages à l'hôpital, sont habitués à pratiquer l'expertise spécialisée quasi-quotidiennement lorsqu'ils ont en charge les patients hospitalisés dans le service où ils font leur stage. Dès qu'ils rencontrent un problème qui relève d'un avis spécialisé, ils se rendent, dossier médical sous le bras, dans le service spécialisé ad hoc pour recueillir la réponse à la question qu'ils se posent ou c'est le médecin spécialiste lui-même qui se déplace auprès du patient. Ces "bons de demande" de consultation interne spécialisée ont considérablement augmenté avec le développement des maladies chroniques, lesquelles représentent aujourd'hui l'essentiel des hospitalisations complètes en médecine. L'interne, au cours des stages hospitaliers, apprend des éléments de spécialité médicale lorsqu'il réalise ses semestres dans les services de spécialités de son choix. Ce choix ne peut être que limité à quelques spécialités choisies ou imposées. Il y a de nombreuses spécialités médicales auxquelles le futur médecin généraliste n'a pas accès au cours de sa formation clinique. 

Lorsque les internes en médecine générale font des stages cliniques auprès d'un médecin généraliste senior, reconnu par la faculté comme "maître de stage", ils apprennent la spécialité de médecine générale, en particulier la coordination des parcours de soins dont ils ont la responsabilité.

Lorsque ces jeunes médecins s'installent ensuite en médecine générale, peut-on véritablement penser que les connaissances acquises durant leurs études et les expériences de stages ont couvert tous les champs de la médecine ? En clair, leur formation est-elle suffisante pour la prise en charge de toutes les situations médicales auxquelles ils sont confrontés ?  "Il manque une étape d'accompagnement entre la fin de l'internat et l'installation" disent leurs représentants syndicaux (Max PIthon. président de ISNAR-IMG)

La télémédecine peut jouer un rôle d'accompagnant en début d'installation. En offrant la possibilité aux jeunes médecins d'utiliser librement la téléexpertise avec des médecins généralistes plus expérimentés, avec les médecins spécialistes qui suivent leur patientèle ou avec les médecins hospitaliers pour assurer la continuité des soins après une hospitalisation, le jeune médecin généraliste peut être conforté dans son nouvel exercice professionnel, notamment lorsque celui-ci est isolé. Lorsque l'exercice est regroupé en maisons ou centres de santé pluridisciplinaires, "ce regroupement 'est un bon modèle à la condition qu'il existe un projet de santé porté par les professionnels" disent les médecins qui exercent en maisons de santé (Margaux Bayart, vice-présidente de MG France).

On l'aura compris, les possibilités de mutualisation des savoirs médicaux, offertes par la téléexpertise, peuvent aider les jeunes médecins généralistes isolés ou regroupés à avoir l'accompagnement de la part de leurs confrères plus expérimentés, en début d'installation. Ils poursuivent ainsi une formation clinique "de terrain" ou "praticienne" qui conforte leurs connaissances et qui les fait progresser en expérience, notamment dans les spécialités médicales qu'ils n'ont pas apprises au cours de leurs stages cliniques. 

ALORS POURQUOI NE PAS LIBERALISER LA PRATIQUE DE LA TELEEXPERTISE ET LA REMUNERER AU FORFAIT ?

Autant la téléconsultation peut rester, dans certaines indications, une pratique rémunérée à l'acte, autant la téléexpertise et la télésurveillance médicale doivent être des pratiques rémunérées au forfait dans le cadre d'un parcours de soins de qualité.

Depuis la nouvelle convention médicale signée en 2016, les médecins traitants touchent une rémunération forfaitaire de base pour l'ensemble de leur patientèle, y compris les enfants, et une rémunération forfaitaire spécifique pour les patients en ALD. Cette dernière rémunération intègre également la rédaction et l'actualisation du protocole de soins en liaison avec le médecin correspondant.

La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) des médecins généralistes et spécialistes pourrait intégrer la pratique de la téléexpertise. Un nombre trimestriel ou semestriel de téléexpertises, en particulier chez les patients en ALD, pourrait être pris en compte dans le calcul du ROSP, notamment chez les jeunes médecins nouvellement installés, moins concernés par le ROSP tant que leur patientèle n'aura pas atteint un certain nombre. La pratique de la téléexpertise serait alors un indicateur d'une pratique professionnelle de qualité pour les patients. Il y aurait une incitation financière pour les jeunes médecins à la pratiquer.

Existe-t-il réellement un risque de dérive ou de dérapage financier si la pratique de la téléexpertise est libéralisée ? Nous ne le pensons pas, car il y aura naturellement une autorégulation à terme de cette pratique, avec la progression des compétences. Cela a bien été démontré en télédermatologie. Le nombre de téléexpertises diminue avec la progression de la compétence du médecin traitant demandeur (voir sur ce site le billet intitulé "télédermatologie" dans la rubrique "le Pratico-pratique"). Le même constat a été fait en télé néphrologie et en télé cardiologie avec les demandes de téléexpertise d'interprétation d'un dosage de créatininémie ou d'un ECG.

Le nombre annuel de téléexpertises autorisé par médecin pourrait être aussi modulé en fonction de l'ancienneté d'installation, si on veut privilégier cette pratique chez les jeunes installés.

EN RESUME, si la téléexpertise est une pratique de télémédecine qui permet indiscutablement d'avoir plus rapidement un avis spécialisé, de trier les situations qui nécessitent une consultation en face à face de celles qui ne le nécessitent pas, et ainsi d'assurer une meilleure continuité des soins, cette pratique a aussi une fonction "apprenante" qui permet de conforter, voire d'accroître les compétences des médecins traitants et spécialistesC'est réellement une nouvelle formation médicale continue, dite "praticienne". Ce point devrait être pris en compte dans la négociation actuelle sur la tarification des actes de télémédecine.

 9 avril 2018 

 

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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