Quel système de soin voulons-nous au XXIème siècle ?

Le débat n'est pas récent. L'image qui illustre ce billet date du 1er juin 2015. Une plateforme historique défendait sa vision d'une nouvelle pratique de la médecine au XXIème siècle devant le 1er vice-président du CNOM qui réclamait un vrai débat citoyen vis à vis d'une telle évolution.

Il est surprenant de constater que 4 ans plus tard ce débat reste d'actualité : quel système de santé voulons-nous en France au XXIème siècle ? A cette période du Grand débat, pouvons-nous dire que les citoyens français se sont exprimés sur les choix possibles ? Le choix politique est-il explicite à l'heure du vote au parlement de la loi "Ma santé en 2022" ? 

Les premiers résultats à 6 mois de l'usage de la téléconsultation (TLC) selon l'avenant 6 (voir le billet téléconsultation (5) dans la rubrique "le Pratico-pratique") sont modestes. Ils interpellent : 8000 TLC remboursées par l'Assurance maladie (AMO) soit un nombre moyen de 200 à 300/semaine sur l'ensemble du territoire français. Selon la CNAM, le nombre serait en progression et, depuis 2019, autour de 700/semaine, dont 40,2% à l'initiative des médecins généralistes et 32,2% réalisés par des médecins spécialistes. Selon la CNAM, la progression est devenue exponentielle depuis la diffusion de solutions techniques permettant de faciliter la programmation des téléconsultations et sécuriser les échanges de données médicales. 

La CNAM est persuadée que l'usage de la TLC en médecine libérale, tel que précisé dans l'avenant 6, va s'amplifier dans les prochaines semaines. Quoiqu'il en soit, on est loin des prévisions de septembre 2018 où la CNAM annonçait la cible des 500 000 TLC en 2019, 1 million en 2020 et 1,5 millions en 2021. Pour atteindre la cible de 2019, il faudrait réaliser plus de 490 000 TLC dans les 9 prochains mois, soit 13 000 TLC par semaine, 20 fois plus que les 700 TLC/sem. de mars 2019. Il y aura certainement une progression dans les prochaines semaines compte tenu de la courbe de progression depuis le début de l'année, mais probablement pas au niveau prévu par la CNAM.

Il est toutefois possible que les plateformes de rendez-vous médical qui ont décidé d'offrir à leurs 40 000 médecins abonnés le moyen technique de réaliser des TLC programmées, en conformité avec l'avenant 6, vont contribuer à un développement de la TLC programmée dans les prochains mois.

En même temps, les plateformes de TLC ponctuelles financées par les complémentaires santé (voir les billets sur "TLC ponctuelle" dans la rubrique "Edito de semaine" et "TLC hors parcours" dans la rubrique "Articles de fond") n'ont jamais été aussi florissantes, avec plus 100 000 TLC réalisées au cours des 6 derniers mois, soit 13 fois plus que la TLC selon l'avenant 6. Plus de 20 complémentaires santé financent ces plateformes et offrent en garantie à leurs adhérents jusqu'à 6 TLC ponctuelles/an.

Cette évolution des plateformes de TLC ponctuelles, autorisées à titre expérimental par l'ARS Ile de France entre 2013 et septembre 2018, peut surprendre puisqu'elles n'ont plus de fondement juridique depuis la révision du décret de télémédecine (13 septembre 2018) et que l'avenant 6 ne les a pas prises en compte dans le parcours de soin, bien au contraire, puisqu'elles ont été qualifiées d'activité "hors sol" par les signataires de l'avenant. Leur survie est liée à leur financement par les complémentaires santé et par des plateformes internationales.

Nous avons aujourd'hui un système de soin dont l'objectif est de répondre à des besoins sanitaires, en utilisant si nécessaire le numérique.

On ne peut pas reprocher aux autorités sanitaires françaises qui ont été en responsabilité au cours des 20 dernières années de ne pas avoir pris en compte l'impact possible du numérique sur le système de soin français. Dès le début des années 90, la France, avec la Norvège, a été pionnière en Europe pour préconiser la télémédecine dans les régions isolées où l'accès aux soins était difficile. Ceux qui s'intéressent à l'histoire de la télémédecine peuvent consulter sur ce site l'e-book "Télémédecine, Enjeux et pratiques" dans la rubrique "Livres".

La France fut également le premier pays en Europe à lancer au début de ce millénaire un plan appelé e-santé 2000 dont l'objectif principal était d'améliorer les relations professionnelles entre les établissements de santé et la médecine de ville, en particulier en développant le dossier médical informatisé. Ce plan a échoué et le bilan de cet échec a été fait dans un rapport ministériel publié en novembre 2008. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_final_Telemedecine.pdf

A la demande de la Commission Européenne, un cadre légal et réglementaire des pratiques de la télémédecine fut élaboré en 2009-2010, à distinguer des services commerciaux de télémédecine qui relèvent des directives européennes de 1998, 2000 et 2006 (voir le billet consacré au "Patchwork juridique" dans la rubrique "Droit de la santé").

Ce qui a tardé, c'est le remboursement dans le droit commun de la sécurité sociale de ces nouvelles pratiques dans le secteur ambulatoire, alors qu'elles étaient financées, plus ou moins bien, par la T2A dans le secteur hospitalier depuis 2008. Il a fallu attendre près de 10 ans après la publication du décret de télémédecine (19 octobre 2010) pour que l'Assurance maladie décide de rembourser les pratiques de télémédecine du secteur ambulatoire à partir du 15 septembre 2018 (téléconsultation) et du 10 février 2019 (téléexpertise).

Le modèle de la TLC intégrée au parcours de soin est celui choisi par les partenaires de la Convention médicale. Ce sont les syndicats de la médecine libérale qui ont signé avec la CNAM l'avenant 6 de cette convention, publié au JO du 10 août 2018. En clair, la téléconsultation, comme la téléexpertise, sont, pour les représentants de la médecine libérale, des moyens techniques nouveaux donnés aux médecins traitants pour assurer la continuité des soins, s'ils en ont besoin, à côté des autres actes classiques que sont la consultation en présentiel et la visite au domicile. Les tarifs des actes de TLC sont d'ailleurs les mêmes que ceux de la consultation présentielle.

Avec l'avenant 6, les partenaires conventionnels, l'Assurance maladie et les pouvoirs publics ont souhaité rester fidèles aux grands principes qui régissent la santé publique en France depuis une quinzaine d'années, façonnés par les différentes lois de santé (2000, 2009, 2016). Ces principes ont permis de construire un modèle d'organisation des soins inscrit au Code de la santé publique. La télémédecine en fait partie depuis 2009-2010 (art.L.6316-1 et art.R.6316-1 et suivants) et bientôt le télésoin. Dans la future loi Ma santé en 2022, l'article 13 modifiera le Code de la santé publique en introduisant un nouveau chapitre "télésanté" avec deux sections : la télémédecine et le télésoin (voir le billet intitulé "télésoin" dans la rubrique "On en parle").

En résumé, le système de soin actuel, construit par trois lois de santé successives, intègre les innovations organisationnelles structurées par le numérique et se caractérise, entre autres, par une recherche constante d'un service médical rendu au patient (Evidence based Medicine), en étroite collaboration avec la HAS et les Sociétés médicales savantes (voir le billet "SMR/Patients" dans la rubrique "Articles de fond"). Ce système de soin a l'ambition d'être plus performant dans la réponse apportée aux besoins sanitaires du XXIème siècle, en particulier ceux des patients atteints de maladies chroniques. L'usage de la télémédecine selon l'avenant 6 est sensé améliorer l'accès aux soins dans les zones en sous-densité médicale. La possibilité, depuis le 6 décembre 2018, de réaliser des TLC programmées à la demande du médecin traitant au sein d'une officine peut y contribuer (voir le billet "Téléconsultation (5) dans la rubrique "Le Pratico-pratique"). Enfin, le développement rapide du DMP peut également contribuer à améliorer la continuité des soins.

Certains acteurs de la santé numérique pensent que le système de soin au XXIème siècle doit être "disruptif".

Le mot "disruption" est redevenu à la mode avec l'émergence des start-ups et des industries du numérique. Dans le dictionnaire d'Emile Littré de 1874, ce mot signifie "rupture" ou "fracture".

Mais que veut-on dire lorsqu'on parle d'un système de santé "disruptif" au XXIème siècle ? Les start-ups et les industriels de la santé connectée pensent qu'avec l'usage plus intensif de la télémédecine et de la santé connectée (l'internet des objets connectés ou IoT), l'intelligence artificielle médicale ou IAM)), la pratique de la médecine ne peut-être qu'en totale rupture avec celle pratiquée au XXème siècle. Beaucoup de promoteurs de plateformes de TLC ponctuelle ont cette analyse, rejoints par des médecins "geeks".

Pour les partisans d'une médecine disruptive, l'usage de la télémédecine, des IoT en santé et de l'IAM ne peut que changer fondamentalement la manière de faire la médecine au XXIème siècle. L'usage de ces outils pourraient ne plus rendre nécessaire une consultation présentielle, vision qui existe dans plusieurs pays développés (voir le billet "Business et TLM" dans la rubrique "On en parle"). Exercer en cabinet médical ne serait plus nécessaire. Désigner un médecin traitant ne serait plus la règle imposée aux citoyens par les assureurs et le système de soin serait organisé pour répondre ponctuellement à toute demande de santé, à toute heure du jour et de la nuit. L'IAM pourrait se suppléer à certaines spécialités médicales fondées sur la lecture d'images (radiologues, dermatologues, endoscopie, etc.). Des robots pourraient devenir des médecins, des infirmiers, etc.

Les plateformes font la promotion d'une médecine immédiate, d'une TLC ponctuelle ou "one shot", que permet aujourd'hui le numérique et les permanences médicales sur des plateformes (voir les billets "Consumérisme médical" dans la rubrique "On en parle", "TLC ponctuelle" dans la rubrique "Edito de semaine" et "TLC hors parcours" dans la rubrique "Articles de fond"). Il est d'ailleurs frappant de retrouver parmi les professionnels de santé qui soutiennent cette médecine disruptive les médecins qui, déjà au XXème siècle, pratiquaient une médecine "one shot". En revanche, les médecins impliqués dans le suivi de patients atteints de maladies chroniques ne sont pas favorables à cette forme de médecine ponctuelle qui ne prend pas en compte, entre autres, l'attachement des patients à leur médecin traitant.

Il est vrai que le système de soin actuel est confronté à des dysfonctionnements majeurs : 16 millions de consultations de premier recours assurées par les services d'urgences hospitaliers chaque année, avec une progression de 3% par an. Il en résulte des délais d'attente et des encombrements de ces services. A cela s'ajoutent plus de 30 millions d'appels au Centre 15 dont la grande majorité relève du conseil médical, des délais d'attente pour un rendez-vous de consultation chez le médecin traitant (de 2 à 6 jours selon les régions), une difficulté croissante pour les jeunes patients de trouver un médecin traitant, des difficultés d'accès aux médecins spécialistes pour les patients atteints de maladies chroniques, etc.

Les promoteurs de la médecine disruptive pensent que ces dysfonctionnements majeurs ne seront résolus que par une rupture avec le système de soin actuel : accélérer l'usage de l'IAM dans le tri des demandes de santé (développement des Chatbots), dans la démarche diagnostique et les décisions thérapeutiques, développer l'usage des IoT en santé chez les patients atteints de maladies chroniques, développer le traitement des données de santé par l'IAM, etc.(voir le billet "le souffle IA/TLM" dans la rubrique "Edito de semaine")

Les citoyens se sont-ils exprimés sur ces différents choix ? 

Ce qui préoccupe aujourd'hui les français, c'est la disparition des services publics de proximité et les difficultés d'accès aux médecins, que ce soit la raréfaction des soins primaires dans les zones en sous-densité médicale, la fermeture des petites maternités de proximité, la fermeture des blocs opératoires pour la petite chirurgie, etc. Cette préoccupation a été clairement exprimée lors du Grand débat. C'est en quelque sorte une certaine nostalgie de la médecine du XXème siècle.

Les sondages montrent pourtant que les français sont ouverts à la télémédecine et à la santé connectée. Soixante-dix pour cent des personnes interrogées pensent qu'une TLC ponctuelle peut être aussi efficace qu'une consultation présentielle (voir le billet "Sondages sur TLM" dans la rubrique "On en parle"). En fait, peu de sondages concernent des personnes qui ont réellement eu une TLC ponctuelle. Il faut espérer que la CNAM et les ARS donneront dans quelques mois des informations sur le ressenti des patients lors d'une TLC programmée selon l'avenant 6, sa durée moyenne, les types de pathologie qui ont conduit les médecins à utiliser ce nouveau moyen.

Quant aux plateformes de TLC ponctuelles, les motifs d'appel qu'elles désirent honorer figurent sur leur site web. Elles précisent qu'elles ne sont pas des plateformes habilitées à prendre en charge une urgence vitale. Les motifs d'appel relèvent d'affections bénignes de nature "inflammatoire" (syndrome grippal, fièvre, rhume, toux, oeil rouge, etc.), des affections de la peau (piqure d'insectes, éruption cutanée, démangeaisons, acné, etc.), des problèmes digestifs (constipation, diarrhée, vomissements, douleur abdominale, etc.), et autres affections diverses (signes d'allergie, la chute des cheveux, le mal de tête, les troubles du sommeil, etc.). Cette médecine symptomatique relève dans certains pays d'une prise en charge par des chatbots (voir le billet "Chatbots et TLM" dans la rubrique "On en parle"). Des services d'urgences français envisagent d'utiliser des Chatbots pour faire un tri des demandes et réduire les délais d'attente.

Enfin, certaines plateformes déclarent assurer le renouvellement d'ordonnance et le suivi de résultats de laboratoire. Ces deux dernières prestations posent questions. D'une part, le pharmacien qui a assuré la première délivrance d'ordonnance à un patient atteint d'une maladies chronique est autorisé, depuis 2008 (article R.5123-2-1 du Code de la santé publique (CSP)), à renouveler cette ordonnance pour un mois en attendant le rendez-vous du patient avec son médecin traitant. L'existence du dossier pharmaceutique électronique facilite ce renouvellement d'ordonnance dans le cadre d'une maladie chronique. Pourquoi alors renouveler à l'aveugle une ordonnance au lieu de conseiller à l'appelant de se rendre à la pharmacie de son lieu de domicile ? D'autre part, le médecin qui commente un résultat d'examens biologiques qu'il n'a pas prescrit peut commettre des erreurs d'interprétation en l'absence de connaissance du dossier médical. Il engage sa propre responsabilité, car il contrevient à la réglementation en vigueur.

Beaucoup de ces plateformes de TLC ponctuelle, délivrent sur leur site une information insuffisante, puisqu'il n'est pas fait état des bénéfices et des risques de cette pratique de TLC ponctuelle. Seuls les bénéfices sont présentés. L'information donnée n'est pas suffisamment "loyale, claire et appropriée" (art.R.4127-35 du CSP). Le consentement implicite de la personne qui appelle n'est donc pas suffisamment éclairé (art.R.4127-36 du CSP).

Le choix politique est-il suffisamment explicite à l'heure du vote au parlement de la loi Ma santé en 2022 ?

Concernant l'amélioration de l'accès aux soins de proximité, le retour de la médecine hospitalière à temps partiel pour les médecins généralistes dans les quelque 600 établissements publics de proximité est une bonne décision. Il y a 50 ans, cette mesure était jugée efficace par les médecins généralistes et spécialistes. On a eu tort de chasser ces médecins temps partiels pour les remplacer par des praticiens hospitaliers temps plein dont beaucoup ne sont pas remplacés à leur départ en retraite. Cet hospitalocentrisme a créé une rupture entre l'hôpital et la ville, même si les moyens numériques mis en place au cours des dernières années ont pu améliorer cette situation. Dans tous les pays où les médecins traitants peuvent suivre leurs patients lorsqu'ils sont hospitalisés, la qualité des soins a été améliorée.

Concernant la santé connectée, il y a indiscutablement quelques avancées dans cette nouvelle loi avec la e-prescription, le télésoin et  l'obligation d'une garantie humaine dans l'usage de l'IAM (voir le billet consacré au "Télésoin" dans la rubrique "On en parle" et celui consacré à "IA, DMC et TLM" dans la rubrique "Droit de la santé").

Concernant la TLC ponctuelle et le rôle des complémentaires santé, il faut bien reconnaître une certaine bienveillance des politiques à leur égard, notamment des élus qui voient dans ces plateformes  une solution parmi d'autres pour améliorer l'accès à un médecin dans les zones en sous-densité médicale. L'intérêt des complémentaires santé pour les TLC ponctuelles peut finalement être considéré par le pouvoir politique comme une démarche opportune pour maitriser le consumérisme médical et réduire l'activité des services d'urgences hospitaliers.

Ne faudrait-il pas cependant clarifier dans la loi "Ma santé en 2022" le rôle des plateformes de téléconsultation ponctuelle si elles doivent orienter les personnes dans le parcours de soins primaires ? A l'instar du modèle suisse Medgate dont nous avons souvent montré la cohérence organisationnelle (voir les billets consacrés au Téléconseil médical dans la rubrique "le pratico-pratique") et qui a fait la preuve de son utilité après 20 ans d'existence.  

1er avril 2019

 

 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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