L'épidémie Covid-19 a-t-elle réellement conforté les bonnes pratiques de téléconsultation ?

La décision de prolonger la prise en charge à 100% de la téléconsultation jusqu'à la fin décembre 2020 (in fine le 30 octobre dans l'arrêté du 10 juillet 2020 dont la parution est postérieure à ce billet) permet probablement aux pratiques de télémédecine d'être confortées. Soyons clairs, il y a désormais deux pratiques de téléconsultation : celle par videotransmission, en conformité avec le cadre légal et les recommandations HAS, et celle par téléphone remboursée de manière dérogatoire par l'Assurance maladie pendant la période Covid-19. L'Assurance maladie souhaite dans la période post-Covid-19 arrêter le remboursement de la téléconsultation (TLC) par téléphone, la jugeant comme une pratique médicale dégradée lorsqu'on la compare à une consultation présentielle. L'Assurance maladie a toujours voulu que la TLC programmée soit alternée à une consultation présentielle dans le cadre d'un parcours de soin coordonné par le médecin traitant, en particulier chez les patients atteints de maladies chroniques, principaux cas d'usage de la TLC du médecin traitant. (http://www.telemedaction.org/446283095).

Quel est le pourcentage des TLC par téléphone sur les 600 000 TLC hebdomadaires qui persistent depuis la levée du confinement ? Personne ne le sait pour l'instant. Nous attendons les résultats des enquêtes en cours. A en croire certains médecins sur twitter, la videotransmission ne serait pas nécessaire et le simple échange téléphonique ferait l'affaire. Lorsque certains parlent d'une levée de la réglementation pour pérenniser l'usage de la télémédecine, ils pensent, entre autres, à lever l'obligation de video transmission pour que le patient bénéficie d'un remboursement de la TLC.

Pourquoi et quand le téléphone mobile est devenu une forme dégradée de consultation médicale ?

Il est toujours intéressant de refaire l'historique des décisions prises au cours des dix dernières années. Lorsque le décret de télémédecine du 19 octobre 2010 a été publié, la téléconsultation était définie comme un acte réalisé à distance, au moyen d'un dispositif utilisant les technologies de l'information et de la communication, devant permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient. Un professionnel de santé peut être présent auprès du patient et, le cas échéant, assister le professionnel médical au cours de la téléconsultation. Les psychologues mentionnés à l'article 44 de la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social peuvent également être présents auprès du patient. Il est évident que si le législateur a envisagé dès 2010 l'assistance du patient par un professionnel de santé ou un(e) psychologue, cela sous-entendait que la TLC ne pouvait se faire que par videotransmission. 

Lorsque les premières sociétés (Médecin Direct, Axa Assistance, etc.) se sont lancées dans la télémédecine par téléphone en 2011-2012, elles ont voulu être reconnues comme pratiquant une activité de TLC et non de téléconseil médical. La reconnaissance de cette activité par l'ARS lle de France en 2012 s'est faite sur des arguments juridiques et non médicaux, le téléphone mobile étant considéré depuis l'arrivée du smartphone en 2007 comme un outil relevant des technologies de l'information et de la communication permettant d'accéder à internet.

Lorsqu'en 2008, les médecins du Samu ont fait pression sur le Ministère de la santé pour que les appels téléphoniques au 15, à l'époque surtout avec des téléphones sans accès à internet, soient reconnus comme des TLC, l'Assurance maladie s'y est formellement opposée, compte tenu de la dépense supplémentaire qu'elle générerait, estimée alors à environ 800 millions d'euros. La brèche ayant été ouverte par l'ARS Ile de France, des dizaines de sociétés commerciales s'y sont engouffrées au cours des dernières années, jusqu'au 13 septembre 2018 où la révision du décret de 2010 a mis un terme aux contrats de télémédecine passés avec l'ARS.

Il est vrai qu'un grand nombre de médecins libéraux partisans de la téléconsultation par smartphone pratiquait déjà de cette manière avec leur patientèle avant la période COVID-19 pour commenter, par exemple, un résultat d'examens biologiques. Mais ce temps passé au téléphone n'était pas rémunéré. Il l'est désormais de façon dérogatoire pendant la période Covid-19 et on peut comprendre que ces médecins, qui n'ont jamais utilisé d'autres solutions numériques de TLC que leur smartphone, ne cherchent pas à utiliser l'une des quelque 100 solutions dédiées qui assurent plusieurs fonctionnalités et surtout une sécurité des échanges de données de santé (http://www.telemedaction.org/page:18C06A7E-74D1-435D-8ECE-1115C04AACA4"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Pourquoi ne faut-il pas pérenniser la téléconsultation par téléphone mobile en 2021 ?

Plusieurs arguments médicaux, juridiques et industriels peuvent être avancés

Arguments médicaux

Si la TLC programmée doit idéalement se rapprocher d'une consultation présentielle, la videotransmission est évidemment nécessaire, de même que l'accès au dossier médical du patient. Si de plus, l'usage d'objets connectés (IoT à finalité médicale) doit enrichir l'examen clinique à distance, une TLC par téléphone ne peut être complétée d'une auscultation par un stéthoscope connecté ou de tout autre examen visuel d'une partie du corps. Par exemple, lors du confinement, il était conseillé au médecin traitant d'utiliser la videotransmission pour examiner la respiration d'un patient atteint par la Covid-19 afin de reconnaître un tirage ou une polypnée.

Intéressant ce témoignage d'un médecin anglais qui a découvert la TLC à l'occasion de la crise sanitaire qui a également touché le Royaume Uni. Jillian Worth raconte le cas d’une téléconsultation avec une patiente violoncelliste souffrant d’engourdissements dans la main gauche. La musicienne a pu lui montrer comment elle tenait son instrument, ce qui n’aurait pas été possible par téléphone ou au cabinet, à moins de se déplacer jusqu’au cabinet médical avec son violoncelle. “En la regardant jouer, j’ai constaté qu’elle imposait ainsi à son poignet une compression typique du syndrome du canal carpien”, rapporte la consoeur anglaise. https://www.courrierinternational.com/article/sante-consultations-video-ou-telephoniques-la-telemedecine-sort-grandie-de-la-pandemie

Les situations d'échange téléphonique avec ses patients au décours d'une consultation présentielle, souvent programmées en fin de journée, peuvent-ils être considérées comme des consultations ? Certains médecins libéraux souhaiteraient que ce temps légitime passé au téléphone (parfois 30% du temps de travail quotidien) soit rémunéré. Aujourd'hui, il est possible de transformer ce temps d'appel téléphonique en rendez-vous de TLC programmées dans la journée dans un créneau choisi par le médecin traitant grâce à la fonctionnalité "prise de rendez-vous" dont disposent de nombreuses solutions numériques dédiées à la TLC (http://www.telemedaction.org/443844907).

Arguments juridiques et éthiques

On rappelle ici la contribution de l'agence du numérique en santé (ANS) qui a publié ses recommandations sur la sécurité des données de santé au cours d'une TLC en novembre 2019.  https://esante.gouv.fr/sites/default/files/media_entity/documents/20191022_reflexions-securite-et-teleconsultation_vf.pdf. Ces recommandations prennent en compte le RGPD introduit en France à la fin mai 2018 (http://www.telemedaction.org/442230230).

La communication interpersonnelle lors d'une TLC est à la fois vocale et visuelle, puisque l'usage de la videotransmission est devenue une obligation dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) de 2018. Si cette obligation devait disparaitre en 2021, il faudrait modifier la loi (article L.162-14-1 du code de la sécurité sociale). Ce serait manifestement un retour en arrière sur le plan éthique et il est peu probable que les associations d'usagers accepteraient un retour à une forme dégradée de la consultation médicale à distance.

Enfin, et ce n'est pas le moindre des arguments éthiques, les droits des patients seraient-ils respectés si la téléconsultation se faisait par téléphone ? Alors que l'usage fréquent du téléphone était déjà présent avant la crise sanitaire, les médecins accepteraient-t-ils d'informer les patients sur les bénéfices et les risques de cette pratique ? Les risques d'erreurs lors d´une TLC par téléphone sont certainement plus élevés que lors d'une TLC par videotransmission, alors que les bénéfices pour les patients sont inférieurs.

Arguments industriels

Enfin, rembourser la téléconsultation par téléphone serait un mauvais signal envoyé aux industriels qui depuis deux ans ont fait d'énormes efforts pour créer des solutions dédiées à la TLC et au télésoin, solutions très sécurisées dans l'échange de documents médicaux (http://www.telemedaction.org/445424795) . 

En résumé, la seule façon de sortir de ce débat est de recommander la formation à la télémédecine et au télésoin des professionnels de santé. Il y a aujourd'hui une offre importante de formations prise en charge par l'ANDPC. Les professionnels de santé peuvent se former à la télémédecine sur une seule journée

7 juillet 2020 

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

Partagez cette page