Le métavers peut-il répondre à un besoin de santé ?

Nouveau concept popularisé dans les livres (romans de science-fiction Snow Crash, Reddy Player One), les films (Summer wars, Avatar, Doctor Who, les Mondes de Ralph, etc.), les émissions de télévision depuis quelques décennies (création du terme en 1992 par Neal Stephenson), le métavers est un espace connecté à internet dans lequel des personnes communiquent via leur avatar ou en utilisant des objets connectés. Le métavers fait partie d'un écosystème digital regroupant plusieurs applications technologiques immersives comme la réalité virtuelle, la Blockchain (https://www.telemedaction.org/422016875/437348190), les systèmes d'intelligence artificielle (IA), etc.

Le métavers peut-il répondre à un besoin de santé ? Le sujet est controversé dans le milieu de la santé parmi les professionnels. Une revue de la littérature vient d'être publiée par une équipe de chercheurs italiens de l'Université de Catane. Nous résumons dans ce billet leur analyse.

The Metaverse: A New Challenge for the Healthcare System: A Scoping Review.

Petrigna L, Musumeci G.J Funct Morphol Kinesiol. 2022 Aug 30;7(3):63. doi: 10.3390/jfmk7030063.PMID: 36135421 Review.


INTRODUCTION


Le métavers est un monde virtuel en 3 dimensions (3D) basé sur Internet où les personnes mènent des activités quotidiennes en utilisant des avatars les représentant. L'espace virtuel est devenu le monde réel d’une vie alternative où les avatars ou les profils numériques participent à des activités sociales et à des événements culturels virtuels, voire économiques.

On distingue quatre catégories de métavers ;

1) La réalité  augmentée. Elle ajoute, en temps réel, un  environnement graphique numérique à un monde existant, physique et réel. Elle utilise des lunettes, des lentilles ou des smartphones. Dans le métavers, l’idée est de superposer d’autres informations sur l’environnement réel. Les exemples sont le jeu video "Pokemon Go" et les animations médicales en 3D.

2) Le lifelog ou lifeblog (journal ou carnet de vie), c'est à dire le fait d'enregistrer et d'archiver les informations de sa vie. Les exemples sont Instagram, Facebook, Twitter et les différents moniteurs de santé.

3) Le monde miroir, c'est à dire une simulation du monde réel. L’apparence, l’information et la structure réelles sont transférées dans un espace virtuel, permettant l’exécution d’activités via Internet ou des applications mobiles. Les exemples sont Google Maps ou Earth, les espaces éducatifs, tels que les « laboratoires numériques » et les « espaces  éducatifs virtuels », mais aussi Zoom, Webex, Google Meet et Teams.

4) La réalité virtuelle est une  réalité 3D virtuelle, sophistiquée, en ligne avec des avatars et un outil de communication instantanée qui simule le monde intérieur. L’avatar peut être personnalisé et les caractéristiques culturelles, physiques et sociales sont différentes de la réalité. L’avatar peut communiquer avec d’autres entités et atteindre des objectifs.  Les exemples sont les jeux vidéo multijoueurs en ligne,  les hôpitaux virtuels et les salles de consultation.

Ainsi, le métavers peut être considéré comme un lieu dans lequel le monde réel est augmenté, connecté  et reproduit avec la réalité  virtuelle et, par conséquent, comme un autre monde. Pour la génération native numérique, le métavers est et sera un espace où ils passent une partie de leur vie quotidienne. Ce sont des aspects qui doivent être pris en compte après la pandémie Covid-19 qui a accéléré et mis en œuvre l’évolution du métavers. La  situation pandémique a limité la vie physique réelle. Des activités telles que l’éducation, les soins médicaux, la mode, le  shopping, les spectacles, les expositions et le tourisme sont passées du mode présentiel à la réalité virtuelle. Le métavers n’est pas seulement un endroit  pour s’éloigner de la vie trépidante et profiter de la tranquillité, mais selon nous, c’est un endroit où les gens vivront une partie de leur vie en utilisant des services et des applications. Cette connexion avec le métavers est facilitée par les nouvelles technologies qui nous permettent de faire partie de ce monde en ligne 24 heures sur 24  et n'importe où.

Les appareils sont des smartphones et des montres intelligentes, ces dernières permettant l’éducation à la santé, le suivi de l’activité physique, mais aussi la possibilité d’autogestion  des  maladies chroniques et des soins infirmiers ou à domicile.

MATERIEL ET METHODES

Le manuscrit a partiellement suivi les recommandations habituelles pour les revues systématiques et les méta-analyses (PRISMA-ScR). Les études ont été trouvées grâce à un examen des bases de  données électroniques PubMed (NLM), Web of Sciences  et Scopus, et les manuscrits ont été collectés s’ils étaient publiés avant le 12 août 2022. Le seul mot-clé adopté était "métavers" pour inclure autant d’articles que possible dans la revue.

Aucune  restriction  d’éligibilité n’a été adoptée pour la population étudiée, le mode d'intervention, les  paramètres de comparaison, les résultats des études et la conception de l’étude. Les seuls critères d’inclusion étaient liés au sujet, lequel devait être consacré aux applications du métavers en santé publique. Seuls les manuscrits originaux, évalués par des pairs et écrits en anglais ont été inclus indépendamment du pays d’origine. Aucune lettre à l’éditeur, documents de conférence, actes ou résumés n'ont été inclus.

Deux investigateurs ont effectué la collecte et l'analyse critique de chaque étude. La première étape fut l’élimination des doublons et le recueil des études par titre, résumé et texte intégral. Dans une deuxième étape, les références bibliographiques des études incluses ont été examinées pour inclure la revue d’autres études sur ce sujet.

Les principaux résultats ont été résumés dans un tableau précisant l’année de publication, la revue, la typologie de l’étude et l’objectif principal. Les résultats ont été analysés et discutés de manière narrative.


RESULTATS

Un total de 976 études (PubMed : 67; Web of Science : 380; Scopus : 529) a été trouvé après l’examen des trois bases de données. La plupart des articles étaient consacrés à d'autres sujets que la santé publique. Seuls, 10 articles répondant aux critères d'admissibilité ont été retenus.

Parmi les références bibliographiques des articles retenus, 11 autres études ont été incluses. Le nombre final des études incluses était de 21.

1 étude a été publiée en 2018, 1 en 2019, 5 en 2020, 4 en 2021 et 10 en 2022.

Bien que les objectifs des études incluses étaient différents entre elles, il a été possible de catégoriser les résultats en (a) prévention en santé publique et traitement de situations cliniques ; b) éducation et formation en santé, c) la recherche en santé.


DISCUSSION

Ces résultats montrent que la littérature scientifique consacrée au métavers en santé publique se limite à quelques articles de la littérature et des éditoriaux. Les auteurs pensent que le métavers peut se développer dans les trois domaines qu'ils ont retenus.

Métavers à visée préventive et thérapeutique. Selon une autre revue de la littérature publiée en 2021, le métavers pourrait être adopté dans les procédures diagnostiques et thérapeutiques de la chirurgie (formation des chirurgiens, intervention neurochirurgicale), la réadaptation des membres paralysés après un AVC, le traitement de la douleur aigué ou chronique (méthode de la distraction), dans la rééducation cognitive après un accident vasculaire cérébral, en santé mentale dans le traitement de l’anxiété, de la dépression, des troubles générés par le stress post-traumatique, l'amélioration des relations sociales dans les troubles du spectre autistique (TSA), les troubles neuro-dégénératifs (démence, Parkinson, etc.). Pour les soins contre le cancer, les technologies d’IA peuvent être utiles pour prévenir le cancer et diagnostiquer, traiter et réhabiliter les patients. Dans le métavers, un avatar virtuel, basé sur l’intelligence artificielle, pourrait fournir une rétroaction et des motivations personnalisées, et, de cette façon, l’intervention peut devenir plus efficace pour promouvoir le changement de comportement. La réalité virtuelle donne la possibilité de créer un avatar qui peut agir comme une « infirmière virtuelle » pour diriger et surveiller les soins, et interagir avec le patient en l’éduquant ou en éduquant le personnel autour de lui, ainsi que de superviser et surveiller, en temps réel, la qualité et la sécurité des patients, l’activité des médecins et les activités d’admission.

Yeung A.W.K., Tosevska A., Klager E., Eibensteiner F., Laxar D., Stoyanov J., Glisic M., Zeiner S., Kulnik S.T., Crutzen R. Virtual and augmented reality applications inmedicine: Analysis of the scientific literature. J. Med. Internet Res. 2021;23:e25499. doi: 10.2196/25499. [PMC free article] [PubMed] [CrossRef] [Google Scholar]

Les innovations numériques peuvent être adoptées comme modèle alternatif à la prestation de soins en présentiel, avec la possibilité de créer des avatars permettant des consultations et des soins personnalisés. Il a été suggéré que la réalité virtuelle et la simulation pourraient être utiles dans 4 domaines : la formation et l’éducation, la planification chirurgicale, le guidage par l’image et la téléchirurgie. Avec le métavers, les médecins pourraient rendre visite à leurs patients dans une clinique virtuelle 3D en utilisant des services de télémédecine et des appareils à domicile tels que des objets connectés portables et des applications pour téléphones intelligents afin de surveiller leur état de santé. Un outil largement adopté ces dernières années est la smartwatch qui intègre la fréquence cardiaque, la saturation en oxygène du sang, les podomètres, et les accéléromètres, mais aussi les données du Global Positioning System (GPS) qui permettent de suivre l’état de santé et la performance physique, mais aussi la prise en charge des maladies chroniques au domicile. La surveillance 24 heures sur 24 des paramètres de santé permet une prévention ou une intervention rapide en cas de problèmes tels que la fibrillation auriculaire.

Tan T.F., Li Y., Lim J.S., Gunasekeran D.V., Teo Z.L., Ng W.Y., Ting D.S. Metaverse and Virtual Health Care in Ophthalmology: Opportunities and Challenges. Asia-Pac. J. Ophthalmol. (Phila. Pa.) 2022;11:237–246. doi: 10.1097/APO.0000000000000537. [PubMed] [CrossRef] [Google Scholar]

Pour les maladies chroniques telles que l’hypertension, le diabète, l’obésité et certains problèmes de santé mentale, les modèles de soins virtuels avec des programmes de soutien psychologique de groupe pourraient être une intervention utile s'il elle est validée, tandis que les soins infirmiers virtuels à distance avec des unités de prestation robotisées pour les utilisateurs finaux pourraient également être utiles.


Métavers pour l'éducation et la formation.

Dans un cadre éducatif, la réalité virtuelle est la technologie la plus adoptée du métavers. L’avantage de la réalité virtuelle est qu’elle est accessible de n’importe où, indépendamment de la distance ou de l’espace. Le chevauchement de visuels abstraits et d’objets virtuels dans le contexte du monde réel peut être utile pour visualiser les organes internes virtuels et les structures d’un corps réel. De cette façon, il est possible de visualiser la partie interne d’un corps directement sur le t-shirt d’une personne vivante, et les enseignants pourraient former en 3D de jeunes cardiologues au fonctionnement interne du cœur et du système cardiovasculaire. Certains ont utilisé une technologie de réalité étendue pour créer un musée holographique de structures anatomiques, telles que le globe oculaire, le système veineux cérébral, le système artériel cérébral, les nerfs crâniens et diverses parties du cerveau, ce qui en fait un outil utile dans l’enseignement ophtalmologique. Comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée peut également être adoptée pour enseigner pendant la formation clinique.

Almarzouqi A., Aburayya A., Salloum S.A. Prediction of User’s Intention to Use Metaverse System in Medical Education: A Hybrid SEM-ML Learning Approach. IEEE Access. 2022;10:43421–43434. doi: 10.1109/ACCESS.2022.3169285. [CrossRef] [Google Scholar]

Un autre moyen réalisable et peu coûteux d’éduquer les personnes avec des programmes d’éducation à la santé organisés par des experts du domaine, des universités ou des gouvernements, consiste à utiliser des plateformes en ligne. Il s’agit d’une méthodologie d’apprentissage à distance qui peut atteindre des personnes partout dans le monde, 24 heures sur 24, et peut être enregistrée tout en restant en ligne pour une durée indéterminée. L’apprentissage à distance peut également inclure des éléments pratiques tels que des programmes d’éducation physique et comportementale.


Métavers pour la recherche

Un système en ligne comme le métavers pourrait offrir la possibilité de recueillir une énorme quantité de renseignements personnels sur la santé, ce qui permettrait la création de mégadonnées et de systèmes d’apprentissage automatique pouvant aider le système de soins de santé et la recherche. Les données enregistrées pourraient créer des systèmes nationaux ou internationaux de suivi et de surveillance que les chercheurs pourraient utiliser pour leurs études, à la fois pour obtenir des données et pour comparer leurs résultats. Ces données numériques pourraient être collectées directement auprès du consommateur ou des services ou des wearables, et elles peuvent être partagées avec un médecin, des professionnels de la santé ou des chercheurs.

Les principales limites du métavers sont liées à la gestion des données et à la vie privée, aux risques de cybersécurité, aux obstacles potentiels liés à l’accès. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de conduire une réflexion éthique sur les avancées di métavers.


COMMENTAIRES. Pouvons-nous répondre aujourd'hui à la question : le métavers peut-il répondre à un besoin de santé ? C'est probablement trop tôt car si la lecture d'un tel article et d'autres suscite de l'intérêt, force est de constater, et les auteurs italiens le disent dans leur conclusion, que toutes les études référencées sur ce sujet sont aujourd'hui insuffisantes tant sur le plan méthodologique que sur le plan des preuves scientifiques apportées. Aucune étude récemment publiée n'a été acceptée par les journaux de référence en médecine que sont le New England Journal Of Médecine ou The Lancet. Si séduisantes que sont ces nouvelles technologies, il faut que le service médical rendu aux patients soit étudié et démontré. De plus, il se pose indiscutablement des problèmes de deshumanisation de la relation médecin-malade, du moins pour la génération qui n'est pas native de l'internet. Comme le soulignent les auteurs italiens, une réflexion éthique doit être conduite sur le "bien agir" du métavers.


21 décembre 2022


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