Comment la télésanté (télémédecine et télésoin) peut-elle aider les coalitions de santé à améliorer l'accès aux soins dans les territoires de santé ?

Il n'est pas si fréquent qu'un président de la République (PR) monte au créneau pour présenter avec autant de précisions sa vision d'une réforme de notre système de santé, pour que les professionnels de santé libéraux et salariés puissent trouver une sortie de la crise hospitalière "sans fin". Certains n'y verront qu'un exercice de communication, d'autres considéreront que le PR, aidé certes par le gouvernement et en particulier le ministre de la Santé et de la Prévention, a fait un diagnostic juste des causes de la crise actuelle (https://www.lemonde.fr/politique/live/2023/01/06/en-direct-emmanuel-macron-doit-devoiler-un-plan-sante-et-donner-un-cap-aux-soignants_6156858_823448.html).

Le discours du PR mérite d'autant plus d'être commenté sur ce site qu'il a clairement encouragé les professionnels à utiliser la télémédecine et le télésoin pour améliorer l'accès aux soins dans les territoires de santé. Nous avions déjà à plusieurs reprises traiter ce thème. Le lecteur pourra se référer aux précédents billets. (https://telemedaction.org/423570493/453003020)(https://telemedaction.org/422021881/449536030)


Les mots clés du discours du PR

On note l'usage fréquent du mot "organisation" : organisation collective à l'échelle humaine, réfléchir à la bonne organisation, être collectivement attractifs, se saisir du champ organisationnel pour gérer le temps de travail, etc.

Un autre terme fréquemment employé par le PR est celui d'"humanité" dans l'organisation des soins : redonner aux métiers des soignants du sens humain, mettre l'hôpital à l'échelle humaine en changeant son financement, redonner l'organisation des soins aux services pour que l'organisation soit plus humaine, tout en laissant aux pôles leurs missions dans les hôpitaux qui en sont satisfaits. 

Alors que la tarification à l'activité (T2A) sera abandonnée dans le prochain PLFSS 2024, construire une rémunération sur des objectifs de santé publique au niveau d'un territoire de santé est indiscutablement une nouvelle approche du financement des établissements publics et privés : une activité visant des objectifs de santé publique et moins la rentabilité des soins, amplifier la coopération public-privé dans des objectifs communs de santé publique, la rémunération devra se faire sur la base des missions de santé publique réalisées par chacun, qu'il soit salarié ou libéral, du public ou du privé, lorsqu'un établissement est financé par l'argent public, il doit prendre toute sa part dans les besoins de santé publique du territoire et dans la continuité des soins, etc.

Mieux rémunérer la permanence des soins : il faut mieux rémunérer celles et ceux qui forment des jeunes, prennent des internes auprès d'eux, prennent de nouveaux patients, aident au "coup de chauffe" quand il existe, participent à une offre de soins sur le territoire, etc.

Le rôle des CNR territoriaux : ça n'a pas vocation à discuter, mais à bâtir d'ici la fin de l'année une feuille de route et de dire comment on s'organise, déboucher sur de nouvelles communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou sur des réseaux entre CPTS et les établissements de santé, l'ensemble des professionnels de santé s'engageant sur une réponse en termes de soins pour pouvoir assurer la continuité des soins pour tous les citoyens, se dire "voilà ce dont on a besoin, les moyens dont on a besoin afin de contractualiser sur ces moyens", c'est la meilleure façon de sortir du cloisonnement ville-hôpital et de récompenser toutes celles et ceux qui sont dans cette stratégie de coopération, etc.

Développer la télémédecine : supprimer les taches inutiles, comme certains certificats, développer le téléexpertise et la télésurveillance médicale, le seuil des 20% de téléconsultation n'est pas une bonne idée, il y a trop de gens qui n'ont pas de médecins (600 000 patients atteints de maladies chroniques), il faut libérer la télémédecine puis réguler éventuellement les excès, il ne faut pas créer des interdictions ab initio, il faut simplifier les choses et les valoriser, etc.

Prendre en considération les compétences des autres professionnels de santé pour renforcer notre capacité à soigner: des réseaux de coopération territoriale à mettre en place, des  coalitions de santé, associer tous les paramédicaux, toutes les autres professions, un développement massif des IPA, le renouvellement des lunettes par les orthoptistes, le renouvellement d'ordonnance par les infirmiers et infirmières pour les patients atteints de maladies chroniques, de même augmenter les délégations d'actes pour la vaccination, le dépistage, l'éducation thérapeutique que peuvent aussi faire les pharmaciens, la délégation d'actes doit être simplifiée, généralisée, inciter tout le monde à coopérer, des formations et des compétences de chacun dûment reconnues. C'est ce qu'on doit faire pour arriver à résoudre collectivement cette crise. Toutes ces évolutions devront être identifiées d'ici le 1er mars 2023.

Un rôle à jouer par nos compatriotes: à force de lever toutes les barrières de l'accès aux soins, on a parfois déresponsabilisé nos compatriotes, un temps médical gaspillé par un excès d'imprévoyance, de la désinvolture, de rendez-vous non honorés. Nécessité de responsabiliser les patients lorsque les rendez-vous ne sont pas honorés, des recours abusifs à des soins non-programmés, clarifier l'organisation sur le territoire et la simplifier, attribuer un médecin traitant aux 600 000 patients avec maladies chroniques qui n'en n'ont plus grâce à une équipe traitante, que les médecins puissent déléguer à des paramédicaux, afin qu'on n'ait plus de gens qui n'ont accès à personne. L'objectif est donc de créer ces coalitions de terrain avec des équipes de références pour nos 600 000 compatriotes qui ont des affections chroniques et qui n'ont personne en face d'eux.


La contribution de la télésanté aux coalitions de santé.

Nous avons déjà traité du sujet de la refondation (https://www.telemedaction.org/453003020.htm). Le verbatim de ce discours a été dominé par l'appel à des coalitions de santé au niveau des territoires de santé. Le problème de santé publique le plus important au 21ème siècle est celui de la prise en charge des patients atteints de maladies chroniques.

Alors que la patientèle d'un médecin généraliste traitant est constituée d'au moins 50% de malades chroniques, une organisation nouvelle d'équipes traitantes doit se mettre en place pour décharger le médecin traitant du suivi de patients stabilisés dans leur maladie chronique. Ce suivi peut être délégué aujourd'hui à des IPA formés (DEIPA) au suivi de ces patients atteints de maladies chroniques stabilisées, laissant au médecin traitant et aux médecins spécialistes le suivi des malades non-stabilisés. Cette "coalition de santé" doit permettre au médecin traitant de retrouver du temps médical pour prendre en charge les nouveaux patients, en particulier ces 600 000 patients qui ne trouvent plus personne pour suivre leur maladie.

La télésanté au sein d'un territoire de santé peut contribuer au bon fonctionnement de ces coalitions de santé. Nous en donnons quelques exemples :

L'organisation de téléconsultations assistées d'un professionnel de santé au domicile (infirmier) ou dans une officine (pharmacien) des patients atteints de maladies chroniques stabilisées, le médecin traitant ne voyant en consultation présentielle ces patients qu'une à deux fois par an ou plus fréquemment si l'IPA en charge du suivi l'estime nécessaire. La prévention d'hospitalisations "évitables" est ainsi assurée par ces coalitions de santé regroupant le médecin traitant, les IPA et les pharmaciens. La charge de travail du médecin traitant peut être considérablement améliorée, lui permettant d'accueillir dans sa patientèle de nouveaux patients.

L'usage de la téléexpertise à l'initiative des équipes soignantes vers un professionnel médical doit être encouragé sans règle de limitation de nombre. L'usage de la téléexpertise vers le médecin traitant ou le médecin spécialiste doit aider les nouveaux IPA en charge du suivi des patients chroniques stabilisés à consolider leurs connaissances, la téléexpertise ayant cette fonction apprenante et de mise à jour des connaissances. La compétence des équipes soignantes ne peut être que renforcée.

L'usage du télésoin doit être encouragé. Les équipes traitantes en charge du suivi des patients atteints de maladies chroniques doivent pouvoir alterner le suivi au domicile et en distanciel lorsque cela est possible. Les auxiliaires de vie peuvent faire partie des coalitions de santé et aider les patients âgés à utiliser les solutions numériques.

L'organisation au domicile de la télésurveillance médicale par dispositifs médicaux numériques (DMN) des 5 maladies chroniques, grandes pourvoyeuses d'hospitalisations évitables, est actuellement confiée aux établissements de santé qui peuvent assurer l'organisation de la permanence de la télésurveillance au domicile par DMN. Il serait regrettable que seules les équipes traitantes hospitalières aient cette mission de télésurveillance médicale des patients atteints de maladies chroniques. Il faut dès à présent construire des coalitions de santé "ville-hôpital" pour que la télésurveillance médicale des patients atteints de maladies chroniques implique aussi les équipes traitantes de ville coordonnées par le médecin traitant.

Enfin, il faut encore souligner l'importance de Mon Espace Santé (MES) dans le développement territorial des coalitions de santé. Une journée de consensus organisée par l'Académie de Médecine le 9 mars 2023 défendra l'idée que MES est devenu le sanctuaire des pratiques professionnelles de la télésanté au sein d'un territoire (l'image du billet).

En résumé, toutes les organisations nécessaires à la création de coalitions de santé efficaces peuvent aujourd'hui exister au sein d'un territoire de santé : CPTS, ESS (équipes de soins spécialisés), ESP (équipes de soins primaires), MSP (maisons de santé pluridisciplinaires), CS (centres de santé), etc. L'initiative de leur mise en place ne peut venir que des professionnels du terrain (bottom up), aidée et accompagnée par les ARS, les collectivités locales et régionales d'élus et les représentants des usagers de la santé d'un territoire. La territorialisation de la santé est bien en marche.


12 janvier 2023