La téléconsultation à l'initiative du citoyen (auprès d'une plateforme) est-elle une pratique dégradée de la médecine ?


A l'occasion des négociations sur la nouvelle Convention médicale nationale, les pratiques de télémédecine, notamment de la téléconsultation, subissent un tir nourri de critiques de la part de certains syndicats libéraux. La téléconsultation à l'initiative du citoyen, auprès d'une plateforme, serait pour certains une véritable "arnaque" financière, comme le disent plusieurs médias à la suite du communiqué presse du syndicat MG France. (https://www.humanite.fr/societe/sante/les-medecins-generalistes-denoncent-larnaque-des-plateformes-de-teleconsultation)(https://www.mgfrance.org/publication/communiquepresse/3426-plateformes-et-cabines-de-tele-consultation-mg-france-demande-des-controles-accrus).

Jusqu'à présent le débat contradictoire restait plutôt "soft". Il y avait les "pour" et les "contre", chaque professionnel médical étant libre de pratiquer ou non la télémédecine en fonction de ses propres convictions sur ce que doit être l'exercice de la médecine et aussi de la formation reçue dans le cadre d'une action DPC. Chaque position est respectable, aussi bien celle des médecins qui veulent innover au 21ème siècle dans une nouvelle organisation de l'accès à des soins primaires, que celle des médecins qui défendent la médecine traditionnelle et qui sont opposés à la télémédecine.


Un débat syndical qui s'enflamme.


Le débat sur la téléconsultation vient de s'enflammer après la parution des résultats d'une enquête de l'Assurance maladie sur l'activité de trois plateformes qui exercent en Ile de France. Peut-être que la violence des propos tenus dans les médias a été amplifiée par l'annonce du projet de la SNCF d'installer des espaces de santé au sein des gares. Nous avons tenté dans un billet précédent d'en donner une analyse la plus objective possible, analyse qui reposait sur la réalité du projet (https://telemedaction.org/422016875/tc-assist-e-dans-les-gares).

Certains syndicats de la médecine libérale n'ont jamais accepté l'activité des plateformes de téléconsultation à l'initiative du citoyen, dont l'expérimentation avait été autorisée par l'Etat (ARS Ile de France) dès 2013 pour améliorer l'accès aux soins primaires dans les déserts médicaux (https://telemedaction.org/423570493/le-far-west-de-la-t-l-consultation).

Ils veulent aujourd'hui convaincre l'Assurance maladie et les pouvoirs publics que cette activité de téléconsultation "ponctuelle" serait devenue une arnaque financière qui nuirait à la revalorisation du tarif de la consultation médicale en présentiel qu'ils réclament (à juste titre) depuis plusieurs années. Ils  veulent que les pouvoirs publics mettent un terme à ce que le Quotidien du Médecin, qui s'est fait leur porte-parole, considère comme une "dérive" de la médecine, aux motifs que le médecin d'une plateforme qui réalise une téléconsultation à la demande d'un citoyen prescrirait plus d'antibiotiques et reverrait plus souvent le même malade qu'un médecin généraliste traitant. Cet amalgame de fausses raisons crée un trouble chez nos concitoyens. Il faut clarifier le sujet sans préjugés ni idéologie, c'est le but de ce billet.


L'Assurance maladie souhaite une régulation de la téléconsultation.


Le Directeur général de la CNAM veut une régulation de l'activité de téléconsultation réalisée par les sociétés de téléconsultation. Les représentants de ces sociétés sont conscients qu'il faut reconsolider le cadre juridique. C'est l'objectif de l'agrément qui sera accordé par les ministres de la Santé et de la Sécurité sociale (https://telemedaction.org/437100423/453459149).

L'enquête réalisée par la Direction de la gestion du risque en Ile de France, au cours du premier semestre 2023, est à l'origine de l'embrasement syndical, alors que le Directeur de cette structure de l'Assurance maladie, dans l'entretien qu'il donne au Quotidien du Médecin, tient des propos plus modérés que ceux des représentants des syndicats libéraux. Il analyse avec une certaine justesse les données factuelles de l'enquête. Il émet l'hypothèse que cette pratique de la téléconsultation à l'initiative du citoyen, lequel ne connaît pas le médecin, peut générer plus de prescriptions d'antibiotiques et plus de "revoyure" que si le médecin connaissait le patient, autrement dit s'il s'agissait d'un médecin traitant. Dans cette forme de téléconsultation à l'initiative du citoyen, laquelle se différencie de la téléconsultation à l'initiative du médecin traitant (https://telemedaction.org/422021881/t-l-consultation-et-smr), le médecin téléconsultant de la plateforme met en oeuvre les moyens dont il dispose pour prévenir une éventuelle erreur médicale, diagnostique ou thérapeutique.


Peut-on dire que la téléconsultation à l'initiative du citoyen crée une dérive financière pour l'Assurance maladie ?


On peut le croire si on compare cette activité à celle d'un médecin traitant qui connaît son patient, lequel prescrit moins d'antibiotiques et revoit moins souvent son patient. C'est du moins ce que donnent les statistiques de l'enquête réalisée par l'Assurance maladie. On peut aussi penser que la téléconsultation à l'initiative du citoyen ressemble à la consultation présentielle réalisée dans un service d'urgences hospitalier par un médecin urgentiste qui ne connaît pas le citoyen qu'il examine et chez lequel il réalise souvent un véritable "check up".

Ces demandes citoyennes de soin primaire qui s'adressent aux médecins des services d'urgences hospitaliers, souvent pour des affections bénignes, relèvent pour 45% d'entre elles de la médecine de ville, comme l'a montré le rapport du député Thomas Mesnier, chef du service des urgences au CH d'Angoulême (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/4139/l15b4903_rapport-fond).

C'est parce que le citoyen n'a pas trouvé de réponse à sa demande de soin primaire auprès d'un médecin libéral du territoire où il réside, ni auprès de son médecin traitant s'il en a un, qu'il vient aux urgences pour être vu par un médecin après de longues heures d'attente. Cette dérive de l'activité de la médecine de ville n'a fait que s'aggraver depuis 15 ans, entrainant la saturation des services d'urgences, ainsi que des crises sociales largement médiatisées ces dernières années.

Il faut rappeler que l'hôpital public reçoit de l'Assurance maladie pour chaque passage aux urgences le tarif d'une consultation médicale (ATU ou forfait Accueil et traitement des urgences). La Cour des Comptes a évalué le coût moyen réel de ces passages aux urgences à environ de 161,50 à 227 euros par passage, en prenant en compte non seulement le coût des actes et de la consultation (80 euros/patient), mais également les coûts liés au fonctionnement de la structure pour lesquels l'hôpital reçoit en plus de l'ATU, un forfait annuel (FAU) dont le niveau dépend du nombre de passages dans le service des urgences de l'hôpital (https://www.senat.fr/rap/r16-685/r16-6857.html#:~:text=L'estimation%20la%20plus%20reprise,un%20passage%20aux%20urgences%20hospitali%C3%A8res%20). Cette recette hospitalière venant des urgences est très appréciée des directeurs d'établissements.


Si l'on considère que chaque téléconsultation à l'initiative du citoyen évite un passage aux urgences hospitalières, il vaudrait mieux  saluer l'économie réalisée par cette forme de téléconsultation, rémunérée comme une consultation présentielle de soin primaire, plutôt que parler d'une dérive ou d'une "arnaque financière". C'est manifestement l'inverse d'une arnaque et on pourrait penser que l'Assurance maladie et les pouvoirs publics peuvent être satisfaits de cette activité à l'origine de réelles économies pour la solidarité nationale !

On rappelle aussi le rapport de l'institut économique Molinari (https://telemedaction.org/422016875/451568650) qui démontre les économies réalisées, d'environ 1 Mds d'euros, lorsque la téléconsultation et la téléexpertise représentent au moins 10% de l'activité médicale annuelle, comme aux Etats-Unis où elle atteint, en 2023, 25% de l'activité annuelle d'un médecin américain (https://telemedaction.org/422885857/co-ts-vit-s-par-la-tlc-en-oncologie). Ainsi, si chaque médecin généraliste français intégrait ces pratiques distancielles dans son activité, il générerait à l'Assurance maladie des économies significatives qui pourraient être redistribuées, du moins en partie, pour améliorer les tarifs de la consultation médicale (https://telemedaction.org/422016875/451568650). C'est donc tout le contraire de ce que les syndicats avancent. Au lieu de parler d'arnaque financière de la téléconsultation, ils devraient plutôt encourager cette pratique en préconisant l'alternance des soins distanciels et des soins présentiels (https://telemedaction.org/422021881/m-decine-hybride-au-21-me-si-cle).


Peut-on dire que la téléconsultation à l'initiative du citoyen soit une dérive de l'éthique médicale ?


Si l'éthique médicale relève du "bien agir" à l'encontre de l'usager ou des patients, chaque médecin se doit de respecter une éthique médicale caractérisée par les quatre grands principes que sont la bienveillance, la non-malfaisance, l'autonomie et l'équité  (https://telemedaction.org/437100423/ethique-et-t-l-sant).  Si une téléconsultation à l'initiative du citoyen est jugée par certains médecins comme "inhumaine" au motif que la relation avec le patient serait dégradée, serait-elle alors un acte "non-éthique" à l'égard du citoyen qui sollicite une consultation médicale auprès d'une plateforme ? Quel principe éthique serait en cause ? Peut-on aller jusqu'à dire qu'une téléconsultation demandée par un citoyen serait un acte "malfaisant" à l'encontre de ce citoyen si le médecin accepte d'y répondre au motif que cette téléconsultation serait "inhumaine" ou "dégradée" ?  Il est impossible de retenir une telle hypothèse de "malfaisance" alors que cette téléconsultation à l'initiative du citoyen vise au contraire à améliorer l'équité dans l'accès aux soins primaires de nos concitoyens, et que les médecins de ces plateformes viennent de le démontrer dans une étude récemment publiée dans une revue internationale avec comité de lecture.

Evaluating the Impact of Teleconsultations on Access to Ambulatory Primary Care in Medically Underserved Areas: A National Observational Cross-Sectional Multicenter Study. Ohannessian R, Yaghobian S, Simon R, Poinsot-Chaize G, Hiridjee S, Gleize JC, Pierme JP, Amar N, Merlaud C, Maudoux C, Zerah B, Lescure F, Salomon J.Telemed J E Health. 2023 Aug 29. doi: 10.1089/tmj.2023.0274. Online ahead of print.PMID:3764330


Une nécessaire clarification de ce qu'est une téléconsultation de courte durée.


L'argument retenu dans l'étude de l'Assurance maladie d'Ile de France serait que les médecins traitants voient des patients dont l'âge moyen est de 51 ans avec une longueur moyenne de consultation de 15 à 20 mn alors que les médecins des plateformes délivrent une téléconsultation à une population dont l'âge moyen est de 31 ans avec une longueur moyenne de l'acte de 4-5 mn. Il ne s'agit manifestement pas des mêmes patients. Les médecins des plateformes, souvent formés aux demandes d'urgence ressentie ou réelle, ont toujours reconnu qu'ils faisaient une médecine ciblée sur quelques symptômes d'affections aiguës bénignes, alors que le médecin traitant prend en charge non seulement des patients avec des affections aiguës, mais aussi et surtout des patients plus lourds, souvent âgés et atteints de maladies chroniques (70% de leur activité). En clair, l'activité des plateformes fait apparaître le besoin d'une population très individualisée de la médecine de soins primaires. Cette question de la téléconsultation de courte durée a été l'objet de nombreuses études dans la littérature. Elle est très bien analysée dans une thèse de doctorat en médecine récente.


Cette thèse de médecine a été réalisée en binôme (féminin) et publiée en août 2020. Elle a été soutenue devant la faculté de médecine d'Aix-Marseille et est intitulée : Durée de consultation et satisfaction en médecine générale : point de vue du médecin et du patient (https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02923503v1/document)°

Il est intéressant de rapporter certains passages de la thèse pour éclairer notre propos. Les auteures de cette thèse ont utilisé la méthode des entretiens semi-directifs permettant d'avoir en miroir les points de vue à la fois du patient et du médecin. Dans le chapitre consacré à la relation patient-médecin, les auteures abordent la question d'une consultation médicale de 5 mn versus une consultation d'une durée de 30mn. Nous rapportons quelques verbatims :

La plupart du temps, une consultation de 5 minutes est considérée comme un acte non rémunéré (renouvellement d’ordonnance, lecture de biologie, conseil téléphonique) fait rapidement entre deux patients sans forcément entrer dans le cabinet.

Cette consultation courte (payante) existe néanmoins lorsqu’il s’agit d’un motif simple, unique et que la communication est bonne : par exemple pour un vaccin ou le renouvellement d’un médicament d’une maladie chronique bien équilibrée.

Certains médecins racontent leur culpabilité à réaliser de telles consultations ultra-courtes. Ils vont faire de la prévention ou du dépistage, afin de les allonger, sinon, elles ne leurs sembleraient pas justifiées...

Et les auteures de conclure : C’est pour ce type d’acte, que la télémédecine serait intéressante, pour répondre à un besoin, ne nécessitant ni examen clinique, ni réelle consultation.

Cette thèse de médecine éclaire notre débat. Ces consultations ultra-courtes répondent d'une part à un "besoin"  des citoyens, et d'autre part, elles ne nécessitent pas d'examen clinique.


Il nous faut accepter l'existence de plusieurs formes de téléconsultation apportant toutes un SMR aux patients.


Plutôt que de stigmatiser la téléconsultation à l'initiative du citoyen, il vaut mieux l'intégrer dans une vision holistique du service médical rendu (SMR) à un usager, un citoyen, un patient par cette pratique distancielle. Dans plusieurs billets précédents, nous avons analysé le SMR aux usagers ou patients par les différentes formes de téléconsultation. Le lecteur intéressé pourra les consulter (https://telemedaction.org/422021881/t-l-consultation-et-smr) (https://telemedaction.org/422021881/teleconsultation-et-smr-2) (https://telemedaction.org/422021881/t-l-consultation-et-smr-3). Rappelons ici les différentes formes de téléconsultation.

La téléconsultation à l'initiative du médecin traitant dans un parcours de soins alternant le distanciel et le présentiel chez des patients atteints de maladies chroniques. C'est la forme recommandée dans les différents avenants de la Convention nationale médicale (https://telemedaction.org/432098221/424171961). Elle nécessite d'avoir accès au dossier médical du patient constitué par le médecin traitant, lequel peut également compléter sa connaissance du patient en demandant l'accès au DMP du patient qui a activé l'espace numérique dont dispose aujourd'hui chaque citoyen ("Mon Espace Santé" ou MES)

La téléconsultation assistée d'un professionnel de santé (pharmacien, infirmier), à l'initiative le plus souvent du médecin traitant pour sa patientèle qu'il considère en situation d' "illectronisme" (https://telemedaction.org/422016875/450497110), mais qui peut être aussi à l'initiative du pharmacien au sein de son officine équipée (https://telemedaction.org/432098221/441345936), ou d'un infirmier/infirmière libéral(e) au sein du cabinet infirmier dans le cadre d'un programme piloté par les CPTS (https://telemedaction.org/432098221/444086908) pour répondre à des demandes de soins primaires non-programmées. Chez les patients atteints de maladies chroniques dont la surveillance est confiée à une IPA spécialisée par le médecin traitant, l'IPA peut être à l'initiative d'une téléconsultation avec le médecin traitant si l'état du patient le nécessite.

La téléconsultation d'orientation dans le parcours de soin primaire territorial. Cette forme de téléconsultation est à l'initiative du citoyen, notamment vers des spécialités qui sont en dehors du parcours de soins primaires (ophtalmologie, gynécologie, psychiatrie, pédiatrie, odontologie). Le CNP de médecine générale en a écrit un livre autour de 50 cas d'usage (https://telemedaction.org/422783742/451751711). Certaines plateformes font aujourd'hui de telles offres avec des spécialistes libéraux ou salariés qui acceptent d'entrer dans l'organisation d'une permanence de soins dans ces cinq spécialités. Nous avons récemment rapporté l'exemple de la téléconsultation pour IVG médicamenteuse (https://telemedaction.org/445927157/t-l-gyn-co-obstetrique-2). On peut également citer les téléconsultations en santé mentale dont la demande a explosé pendant la pandémie et au décours. C'est aujourd'hui la principale activité de téléconsultation programmée et non-programmée remboursée par l'Assurance maladie.

La téléconsultation de médecine générale à l'initiative du citoyen auprès de plateformes gérées par des sociétés commerciale. C'est cette forme qui fait l'objet de ce billet. Elle concerne une population jeune et elle est de courte durée. Elle est plébiscitée par une grande majorité de nos concitoyens dans les enquêtes réalisées en 2021 et 2022 (https://telemedaction.org/423570493/447449615). Elle peut néanmoins dériver comme l'a montré le manifeste publié par France Assos Santé (https://telemedaction.org/423570493/un-coup-de-gueule-salutaire) notamment avec des nombres excessifs de certificats délivrés sans examen clinique à un patient que le médecin ne connaît pas. L'Assurance maladie, à juste titre, a dénoncé cette pratique qui pourrait s'avérer dangereuse pour un citoyen si l'arrêt maladie dépassait 3 jours sans qu'il y ait eu préalablement un examen clinique. La LFSS 2024 interdit désormais à un médecin des plateformes qui ne connaît pas le patient de faire par téléconsultation un certificat d'arrêt maladie supérieur à trois jours, alors que le médecin traitant qui connaît le patient le peut.

Il faut enfin saluer les efforts réalisés par des médecins qui ont acquis une large expérience de cette forme de téléconsultation sur les plateformes. Ils viennent de publier d'excellents livres sur leur propre expérience et celle de leurs équipes (https://telemedaction.org/422783742/livres-tlm-2023). On encourage les médecins qui estiment que cette forme de téléconsultation à l'initiative du citoyen est une forme dégradée de la médecine à les lire.


13 décembre 2023