Que faire du nouveau cadre juridique de la télésanté au 21ème siècle ? (2)

Ce deuxième billet sur le nouveau cadre juridique de la télésanté est consacré au télésoin. Comme dans le précédent billet consacré à la téléconsultation (http://www.telemedaction.org/449653873) nous évaluons les conditions de mise en oeuvre du télésoin à la lumière de ce nouveau décret relatif à la télésanté.

Le cadre juridique du télésoin

Le télésoin a été créé par l’article 53 de de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (LOI n° 2019-774 du 24 juillet 2019) dite loi "Ma santé en 2022": « Le télésoin est une forme de pratique de soins à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication. Il met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux dans l'exercice de leurs compétences prévues au présent code. »

Cette définition figure depuis 2019 dans le Code de la santé publique (CSP) à l'article L.6316-2 au sein du chapitre consacré à la télésanté. Le décret d'application n'avait pu être publié avant la pandémie à la Covid-19. Cependant, dans le cadre de la loi d'urgence sanitaire liée à cette pandémie, la pratique du télésoin a été autorisée de façon dérogatoire pour les pharmaciens et huit des dix-sept professions d'auxiliaire médical.(http://www.telemedaction.org/446173613)(http://www.telemedaction.org/445512961)

Le décret n°2021-707 du 3 juin 2021 relatif à la télésanté inscrit la pratique du télésoin dans la partie réglementaire du CSP. Il modifie certains articles qui concernaient la mise en oeuvre de la télémédecine. Il faut également souligner que le télésoin n'a pas d'actes spécifiques comme la télémédecine (art.R.6316-1). Le télésoin est une "activité".

L'ancien article R.6316-2 du CSP sur le consentement libre et éclairé de la personne pour un acte de télémédecine est abrogé et est remplacé par une obligation de pertinence des pratiques de télémédecine et de télésoin par le professionnel de santé : « la pertinence du recours à la télémédecine ou au télésoin est appréciée par le professionnel médical, le pharmacien ou l’auxiliaire médical." L'obligation de recueillir le consentement libre et éclairé des patients n'apparaît donc plus dans ce décret. Il s'agit d'une obligation légale et non plus réglementaire.

L'obligation légale pour le professionnel de santé d'informer un patient est rappelée dans l'article L.1111-2  du CSP et s'applique à la télémédecine et au télésoin :" toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus." 

L'article L.1111-4 du CSP, applicable également à la télémédecine et au télésoin, rappelle que "toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé." Plus loin dans le même article du CSP : aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. Il manque cependant dans cet article la référence au "soin" dispensé par le pharmacien et les auxiliaires médicaux. Le télésoin, selon le décret du 3 juin 2021, est une "activité" et non un acte médical ou un traitement.

L'article R.6316-4 du CSP est également modifié  et rappelle l'obligation de tracer dans le dossier médical ou dans le DMP tout acte de télémédecine et toute activité de télésoin:  

Le professionnel médical, le pharmacien ou l’auxiliaire médical intervenant en télésanté inscrit dans le dossier du patient et, le cas échéant, dans le dossier médical partagé défini à l’article L. 1111-14 : « 1) Le compte rendu de la réalisation de l’acte de télémédecine ou de l’activité, et, le cas échéant, de la série d’activités, de télésoin ; « 2) Les actes et les prescriptions effectués dans le cadre de l’acte de télémédecine ou de l’activité de télésoin ; « 3) Son identité et éventuellement celles des autres professionnels participant à l’acte de télémédecine ou à l’activité de télésoin ; « 4) La date et l’heure de l’acte de télémédecine ou de l’activité de télésoin ; « 5) Le cas échéant, les incidents techniques survenus au cours de l’acte de télémédecine ou de l’activité de télésoin. » D'autres modifications de forme figurent également dans le CSP et dans le Code de la sécurité sociale, concernant la dénomination du télésoin ("activité de télésoin") et sa rémunération par l'assurance maladie.

La Haute autorité de santé (HAS) saisie par le ministre de la Santé et des solidarités sur les conditions d'accès au télésoin avait deux missions. La première était de définir, pour chaque catégorie de professionnels, les situations cliniques, le périmètre et les publics pour lesquels les actes de télésoin sont à exclure. La deuxième était d'élaborer des recommandations sur le bon usage et la qualité des pratiques relatives au télésoin.    

La HAS a rendu son avis le 16 mars 2021 en précisant les conditions d'éligibilité au télésoin et les recommandations de bon usage pour chacune des 18 professions de santé concernées. Ces recommandations sont faites sous forme de fiches pour les critères d'éligibilité et le bon usage des pratiques (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-03/fiche_telesoin_bonnes_pratiques_2021-03-12_11-33-56_248.pdf), et dans un rapport d'élaboration de 164 pages pour chacune des 18 professions, rapport intitulé  "Qualité et sécurité du télésoin, bonnes pratiques pour la mise en oeuvre". (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-03/qualite_et_securite_du_telesoin_-_criteres_deligibilite_et_bonnes_pratiques_pour_la_mise_en_oeuvre_-_rapport_delaboration.pdf)

Si pour la HAS, "tout patient peut bénéficier du télésoin, sauf dans le cas où une rencontre physique reste indispensable, par exemple si l’acte ne peut être réalisé qu’en présentiel (vaccination, changement de pansement, ajustement d’une prothèse...) ou s’il nécessite un équipement spécifique (examen radiologique par exemple)", elle rappelle cependant que c'est le professionnel de santé qui juge de la pertinence ou non de sa pratique, comme cela figure désormais à l'art.R6316-2 du CSP. 

La HAS précise que pour juger de la pertinence d’un télésoin, plusieurs critères doivent être pris en compte : l’état clinique physique et psychologique du patient, sa situation socio-professionnelle et familiale, ses capacités de communication, mais aussi sa connaissance et son niveau d’utilisation des technologies numériques, le télésoin étant réalisé par vidéotransmission. Le patient peut faire l’objet d’un accompagnement en cas de difficultés matérielles (informatique notamment) ou médicales. Dans tous les cas, le patient reste en droit de demander une alternative en présentiel (en cabinet ou à domicile).

Une fiche d'information des patients, élaborée par la HAS, est également fournie au professionnel de santé qui pourra la faire lire au patient avant de recueillir son consentement. (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-06/has_fiche_teleconsultation-telesoin.pdf)

Le nouveau décret relatif à la télésanté introduit l'obligation réglementaire de pertinence d'un acte de télémédecine ou d'une activité de télésoin.

L'abrogation de l'ancien art.R.6316-2 du décret de télémédecine du 19 octobre 2010 peut surprendre.

La disparition de l'obligation réglementaire que les actes de télémédecine (et les activités de télésoin) soient réalisés avec le consentement libre et éclairé de la personne "en appllcation notamment des art. L.1111-2 et L.1111-4 du CSP peut créer une confusion entre l'obligation légale qui persiste et l'obligation réglementaire qui n'est plus rappelée. De plus, l'obligation réglementaire d'informer sur les moyens utilisés pour les actes à distance n'est plus exigée, alors qu'elle l'était pour les actes de télémédecine.

Cette obligation d'information sur les moyens utilisés ne figure pas dans les articles L.1111-2 et suivants du CSP. Cette disparition d'obligation d'informer la personne sur les moyens utilisés dans un acte médical de télémédecine ou une activité de télésoin peut apparaître surprenante, à moins que l'Etat considère que les moyens numériques qui seront mis à disposition des professionnels de santé et des citoyens sur la plateforme de l'Espace Numérique de Santé ont une garantie de sécurité telle qu'il ne soit plus nécessaire d'informer les citoyens et les patients sur les bénéfices et les risques de telle solution et de recueillir ensuite leur consentement. L'Etat se porte garant d'une obligation de moyens, voire de résultats.

De même, la disparition du deuxième paragraphe de l'ancien art.R.6316-2 peut également surprendre : les professionnels participant à un acte de télémédecine peuvent, sauf opposition de la personne dûment informée, échanger des informations relatives à cette personne, notamment par le biais des technologies de l'information et de la communication. Cela signifie-t-il qu'il n'y a plus pour le professionnel de santé l'obligation d'informer la personne lorsqu'il réalise une téléexpertise en échangeant ses données personnelles de santé avec d'autres professionnels de santé ? (Voir le prochain billet consacré à la téléexpertise)

Le nouvel art.R.6316-2 du CSP est consacré à la pertinence d'un acte de télémédecine ou d'une activité de télésoin.

Par ce nouvel article, les pouvoirs publics tirent probablement les leçons de la période de pandémie où de nombreux actes de téléconsultation (et de télésoin) ne furent pas pertinents au sens des recommandations de la HAS et du respect du RGPD, mais nécessaires dans une situation d'urgence sanitaire où l'accès aux soins était empêché par le confinement et le risque de contagion. La France n'était pas prête sur le plan technologique à affronter l'épidémie Covid-19. (http://www.telemedaction.org/449536030)

Cet article peut avoir un impact important sur les conditions de mise en oeuvre des actes de télésanté.

Nous avons déjà abordé dans un précédent billet le sujet de la pertinence d'un acte de téléconsultation (recommandations HAS de 2018)  (http://www.telemedaction.org/434596548)(http://www.telemedaction.org/438887140)

Lorsque le patient prend l'initiative  d'appeler son médecin traitant ou un spécialiste (dont l'activité est en dehors du parcours de soin : gynécologue, psychiatre, pédiatre, odontologue, ophtalmologiste), deux situations peuvent se présenter.

Le patient est déjà connu du médecin téléconsultant et les conditions de réalisation de la téléconsultation sont jugées pertinentes par le médecin téléconsultant (il a accepté la prise de rendez-vous). Si les conditions de pertinence ne sont pas réunies (cf. la HAS), le médecin a l'obligation d'informer le patient que le motif ou les conditions technologiques de la téléconsultation ne sont pas pertinents. Comme il engage sa responsabilité pleine et entière, il ne peut poursuivre cette téléconsultation dont le service médical rendu (SMR) n'est pas garanti. Il doit proposer au patient une solution de remplacement pour respecter le code de déontologie médicale (art.R.4127-47 du CSP).

Le patient n'est pas connu du médecin téléconsultant, lequel ne peut pas juger a priori de la pertinence ou non de cette téléconsultation, soit l'organisateur de la téléconsultation (par exemple une complémentaire santé) précise à ses affiliés les conditions pertinentes de réalisation d'une téléconsultation, (celles précisées par la HAS), soit en début de téléconsultation le médecin constate que les conditions de pertinence de l'acte ne sont pas réunies et il interrompt cette téléconsultation. Il propose au patient une solution de remplacement pour respecter le code de déontologie médicale (art.R.4127-47 du CSP).

Un raisonnement identique peut s'appliquer à l'activité de télésoin

Le patient est connu du professionnel de santé (pharmacien ou auxiliaire médical), lequel sait que les conditions de pertinence de l'activité à distance sont ou ne sont pas réunies, parce que le professionnel de santé a déjà envisagé de proposer cette activité à son patient. Si le patient prend l'initiative d'entrer en contact avec le professionnel de santé par un agenda de rendez-vous et que les conditions de pertinence ne sont pas réunies, le professionnel de santé qui a la responsabilité pleine et entière de cette activité ne doit pas la poursuivre. En revanche, il doit proposer de faire le soin en présentiel au nom de l'obligation déontologique d'assurer la continuité des soins (par exemple pour les infirmiers l'art.R.4312-12 du CSP).

Le patient n'est pas connu du professionnel de santé (pharmacien ou auxiliaire médical), qui ne peut donc évaluer a priori la pertinence de l'activité à distance, celui-ci doit refuser de réaliser cette activité sans avoir fait une première rencontre avec ce patient pour évaluer la pertinence de l'acte à distance. Il doit donc lui proposer de faire un premier bilan en présentiel comme le recommande la HAS.

En résumé, le décret du 3 juin 2021 relatif à la télésanté se caractérise par un nouvel article R.6316-2 du CSP qui crée pour la première fois, pour tout professionnel de santé qui pratique la télésanté,  l'obligation réglementaire de pertinence d'un acte de télémédecine ou d'une activité de télésoin. Cette pertinence de l'acte à distance engage la responsabilité pleine et entière du professionnel de santé qui le réalise. Cet article transforme en profondeur les conditions de mise en oeuvre de la télésanté dans le post-Covid.

16 juin 2021

Le prochain et dernier billet de ce thème sera consacré à la pratique de la téléexpertise pour toutes les professions de santé

 

 

 

Commentaires

Faiza

15.03.2022 09:07

Bonjour,
C'est plus clair pour moi, merci beaucoup.
Cordialement.

Faiza

14.03.2022 17:08

Bonsoir, je n'ai pas très bien compris la différence entre le fait que le consentement soit une obligation légale et non plus réglementaire. Merci de nous éclairer davantage

Pierre Simon

15.03.2022 08:45

La loi l'emporte sur le règlement donné par décret. Depuis la loi du 4 mars 2002, l'information et le recueil du consentement sont une obligation légale, le rappeler ds un décret n'est plus nécessaire

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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