Quelle est la concordance diagnostique et thérapeutique entre une Consultation médicale en Face-à-Face et une Téléconsultation ?

La concordance diagnostique et thérapeutique entre une consultation en présentiel, qui bénéficie de l'examen physique, et une téléconsultation, qui bénéficie seulement d'un examen clinique virtuel, mérite d'être étudiée. (https://telemedaction.org/432098221/450415051)

C'est ce que vient de réaliser une équipe de chercheurs indiens. Nous rapportons les principaux résultats de cette étude intéressante dont la méthodologie rigoureuse mérite d'être soulignée.

Diagnostic Concordance of Telemedicine as Compared With Face-to-Face Care in Primary Health Care Clinics in Rural India: Randomized Crossover Trial. Verma N, Buch B, Taralekar R, Acharya S. JMIR Form Res. 2023 Jun 23 ;7:e42775. doi: 10.2196/42775.PMID: 37130015.


CONTEXTE


L'accès équitable aux soins de santé primaires reste un rêve insaisissable dans l'Inde rurale. Le système de santé rural est confronté à une pénurie de professionnels de santé à tous les niveaux. En Inde, près de 77% de tous les professionnels de santé qualifiés sont installés dans des centres urbains où réside 31% de la population. Les infirmières, les agents de santé communautaires et les autres personnels paramédicaux des soins de santé primaires peuvent gérer une partie de la charge de travail liée à la morbidité. Cependant, plusieurs problèmes de santé primaires couramment observés, tels que l'hypertension, le diabète, la planification familiale, la malnutrition sévère, les grossesses à haut risque, les affections dermatologiques et l'arthrose, nécessitent l'intervention d'un médecin, et ces patients sont alors référés à des centres de niveau supérieur tels qu'un centre de santé primaire (SSP) ou un centre de santé communautaire (CSC). La distance moyenne parcourue pour se rendre à un SSP est de 8,7 km ou à un CSC est de 17,64 km, ce qui rend les consultations présentielles chez un médecin difficiles pour les zones les plus éloignées des centres, en particulier lorsqu'un transport est difficile à trouver.

Un modèle émergent qui réduit l'inégalité d'accès aux soins de santé primaires est la télémédecine. Cette approche a été envisagée dans le programme indien Ayushman Bharat pour connecter les 150 000 centres de santé et de bien-être (HWC) qui sont gérés par des professionnels paramédicaux. Ces derniers entrent en relation avec les médecins des établissements secondaires ou tertiaires.

Guidelines for Tele-medicine services in Ayushman Bharat-Health and Wellness Centres (HWCs) Ministry of Health & Family Welfare, Government of India. [2021-12-26]. https://ab-hwc.nhp.gov.in/download/document/ecc507d177d47211fab41162b1f21271.pdf.

Ce programme AB-HWC TM du gouvernement indien, qui fonctionne selon un modèle qui facilite les consultations entre les HWC (centres de santé et de bien-être) et les hôpitaux tertiaires (hubs), a déjà réalisé plus de 6,7 millions de téléconsultations. Avec plus de 2000 hubs et 28 000 centres, le programme démontre qu'une telle approche est réalisable, et qu'elle améliore l'accès aux soins, en particulier dans le contexte de la pandémie de la COVID-19 où cette organisation a été d'une grande utilité. Cette approche peut combler les inégalités entre les zones urbaines et rurales grâce à la disponibilité de professionnels de santé. Elle permet également d'améliorer la qualité des services de santé primaires et de réduire les problèmes d'aiguillage des patients.

Cependant, une considération importante pour les patients, les professionnels de santé et les décideurs publics est de savoir si les téléconsultations avec un médecin à distance, facilitées par un professionnel de santé paramédical qui assiste le patient, constituent réellement une forme de soins appropriée dans un tel contexte géographique, et une alternative acceptable lorsque les consultations en face à face chez le médecin ne sont pas possibles.

Les auteurs de cet article ont développé une approche de télémédecine "de professionnel à professionnel" dans laquelle un agent de santé de première ligne habilité pour utiliser la plateforme de télémédecine ou/et ayant reçu une formation appropriée, peut interagir de manière significative avec le patient pour obtenir des signes et des symptômes cliniques qu'il partage ensuite à distance avec le médecin grâce à un réseau synchrone ou asynchrone pour obtenir un diagnostic et un plan de prise en charge thérapeutique.

Nous avons étudié la concordance diagnostique et l'acceptabilité de ce programme de télémédecine avec un professionnel de santé paramédical, lequel met en relation des infirmières d'établissements de soins de santé primaires avec des télé médecins à distance, grâce à une étude croisée et randomisée, réalisée dans 10 centres de santé ruraux du district de Morbi au Gujarat.


METHODOLOGIE


Site de l'étude

Le projet MyTeleDoc s'appuie sur un réseau de télémédecine dans lequel les agents de santé communautaire (ASC) des CSS peuvent faciliter les téléconsultations avec les médecins grâce à une application mobile. La phase pilote du projet a été mise en œuvre dans 22 CSS de 2 secteurs du district de Morbi - Maliya et Tankara, c'est-à-dire dans 11% [22/198] de la totalité des CSS du district. Nous avons sélectionné au hasard 10 CSS sur les 22 pour réaliser l'étude. L'administration du district de Morbi a choisi de mettre en oeuvre le projet pilote dans les CSS du district où l'accès aux soins est le plus difficile. Ainsi, ces CSS desservaient une population de patients ayant des indicateurs de santé et socio-économiques moins bons que ceux de la moyenne du district et la moyenne de la région du Gujarat.

Ces CSS ont des cliniques de soins primaires ambulatoires dirigées par les ASC notamment des infirmiers et infirmières formés. En utilisant les données recueillies auprès de l'administration de santé du district, nous avons trouvé un nombre suffisant de médecins généralistes salariés du système de santé gouvernemental de Morbi. Cependant, le district est confronté à une grave pénurie de médecins spécialistes, avec seulement 1 médecin en médecine interne, 1 pédiatre et aucun obstétricien ni gynécologue dans ce district pour une population de 1 million de personnes.  

Cette pénurie de médecins spécialistes, et en particulier d'obstétriciens et de pédiatres, est également observée dans tout le Gujarat, où 97% des postes sont vacants. Le projet a recruté des médecins généralistes au sein du système de santé de Morbi et des médecins spécialistes bénévoles d'établissements privés et d'organisations non-gouvernementales du district voisin de Rajkot pour être les télé médecins du projet.

Ce projet a été mis en œuvre juste avant la pandémie de COVID-19 en décembre 2019 et a été utilisé pendant la pandémie pour gérer les patients à distance et réduire les renvois vers des établissements tertiaires surpeuplés de patients atteints de COVID-19.


Taille de l'échantillon

Notre échantillon d'étude était composé de 104 patients fréquentant 10 cliniques de soins primaires sélectionnées au hasard dans le district de Morbi. Les patients ont été répartis au hasard pour recevoir d'abord une consultation médicale en présentiel (59/104, 56,7%) ou pour recevoir d'abord une téléconsultation assistée par un agent de santé (45/104, 43,3%). Les 2 groupes ont ensuite été inversés, le premier groupe ayant une téléconsultation après la consultation en présentiel et le deuxième groupe recevant une consultation en présentiel après la téléconsultation.


Le dispositif médical de télémédecine

L'application MyTeleDoc est la version d'un logiciel de télémédecine "open source" appelé Intelhealth. Il est distribué en tant que solution numérique publique et est libre d'adaptation, d'utilisation et de mise en œuvre par les organismes de santé. L'application MyTeleDoc consiste en un assistant de santé numérique appelé Ayu qui guide l'ASC dans la collecte d'antécédents complets du patient à partir de questionnaires adaptés à la plainte du patient. L'ASC télécharge les résultats de l"interrogatoire vers un médecin à distance, lequel les consulte au moyen de la même application mobile dont la version est dédiée aux médecins. Le médecin effectue alors un appel vidéo ou audio avec l'ASC ou avec le patient et fournit une ordonnance électronique avec un diagnostic, des médicaments, des tests, des conseils ou une recommandation (organisation d'une téléconsultation synchrone). En toute discrétion, le médecin peut également fournir un diagnostic et une décision d'orientation s'il estime que les informations données par l'ASC sont suffisantes pour lui permettre de proposer un plan de prise en charge du patient. L'ASC peut ensuite discuter du diagnostic avec le patient, délivrer les médicaments requis et gérer les soins de suivi. Nous avons formé les ASC à l'utilisation du dispositif de télémédecine pendant une durée de formation de 1,5 jour.


Approbation éthique

L'approbation éthique de l'étude a été obtenue auprès du comité d'éthique de l'Institut des sciences médicales DY Patil et du Comité d'examen institutionnel de l'Université John Hopkins. Nous avons recruté des patients dans tous les groupes d'âge ayant besoin de soins de santé primaires, en dehors de soins d'urgence. Les ASC ont identifié les patients répondant aux critères d'inclusion et d'exclusion de l'étude et les ont contactés par le biais de visites à domicile pour les inviter à participer à l'étude. Un membre de l'équipe a lu oralement le formulaire de consentement élaboré dans un langage simple et disponible (en gujarati) expliquant les procédures, les risques et les limites de l'étude. Les patients ont eu suffisamment de temps pour comprendre l'étude et poser des questions. Étant donné que l'étude impliquait un plan croisé randomisé et que les patients devaient passer deux fois plus de temps à la clinique que d'habitude, ils ont été indemnisés à hauteur de 500 ₹ (6,12 $ US) pour leur participation.


Protocole de l'étude

Après l'inscription, nous avons réparti au hasard la moitié des patients pour recevoir une consultation médicale en face à face (F2F) (traitement standard). Cela a été suivi d'une téléconsultation facilitée par l'ASC avec un médecin à distance. L'autre moitié a été répartie au hasard pour recevoir la téléconsultation en premier, suivie de la consultation F2F (plan croisé randomisé) pour contrôler les effets d'ordre et de croisement. Un intervalle de 30 minutes à 90 minutes a été accordé entre les deux formes de consultation. Les médecins participant à l'étude étaient des médecins de famille très expérimentés avec plus de 30 ans d'expérience de travail afin de minimiser les erreurs de diagnostic liées au niveau de compétence insuffisante du professionnel. Les deux consultations ont eu lieu dans des salles séparées, et les professionnels de chaque branche ne connaissaient pas les résultats de l'autre (double aveugle). Les patients ont été invités à partager le même problème de santé lors des deux consultations et à ne pas discuter des résultats d'une consultation avec l'autre médecin afin de minimiser les biais. Les patients participants ont reçu la norme de soins (c.-à-d. le plan de traitement de consultation en face à face).

Nous avons comparé les dossiers médicaux de la téléconsultation et de la consultation F2F pour déterminer la concordance entre les 2 modalités. Pour notre étude, nous avons considéré le diagnostic F2F comme l'étalon-or. Nous avons mesuré la concordance comme le pourcentage de cas pour lesquels le médecin F2F et le télé médecin avaient le même diagnostic (concordance diagnostique) et le même traitement (concordance thérapeutique).


RESULTATS


Dans cette étude contrôlée, randomisée en double aveugle, nous avons recruté 104 patients signalant des problèmes de santé primaires. Nous avons observé une concordance diagnostique de 74 % (77/104) et une concordance thérapeutique de 79,8 % (83/104) entre la consultation en présentielle et la téléconsultation. Aucune association significative n'a été trouvée entre la concordance diagnostique et thérapeutique, et l'ordre de la consultation (P = 0,65 et P = 0,81, respectivement), ainsi que l'agent de santé de première ligne et le médecin (tous les deux P = 0,93), le sexe du patient (tous les deux P > 0,99) ou le mode de téléconsultation (synchrone vs asynchrone ; P=0,32 et P=0,29, respectivement), évalués à l'aide des tests de Fisher. Une association significative a été observée entre la concordance diagnostique et thérapeutique et le type de problème de santé  (P = 0,004 et P = 0,03, respectivement). La concordance diagnostique la plus élevée a été observée dans la prise en charge de l'hypertension artérielle (20/21, concordance à 95 % ; Cohen kappa = 0,93) et le diabète(14/15, concordance à 93 %; Cohen kappa = 0,89). Les valeurs de concordance les plus faibles ont été observées en cardiologie (1/3, 33%) et chez les patients présentant des symptômes non spécifiques (3/10, 30%). L'utilisation d'un assistant numérique pour faciliter la consultation a permis d'accroître l'adhésion aux protocoles de soins fondés sur les données probantes.


DISCUSSION ET CONCLUSION


Plusieurs études de télémédecine dans des pays développés ont montré que la téléconsultation peut fournir des soins comparables à la consultation présentielle, à moindre coût et avec plus de commodité pour les patients.

Effectiveness of telemedicine: a systematic review of reviews.  Ekeland AG, Bowes A, Flottorp S. Int J Med Inform. 2010 Nov;79(11):736-71. doi: 10.1016/j.ijmedinf.2010.08.006. PMID: 20884286 Review.

The effectiveness of teleconsultations in primary care: systematic review. Carrillo de Albornoz S, Sia KL, Harris A. Fam Pract. 2022 Jan 19;39(1):168-182. doi: 10.1093/fampra/cmab077.PMID: 34278421.

Une autre étude a renforcé le fait que la télémédecine peut être une grande opportunité dans la prise en charge des populations défavorisées et a le potentiel de rompre les inégalités d'accès aux soins.

COVID-19 pandemic and the great impulse to telemedicine: the basis of the WONCA Europe Statement on Telemedicine at the WHO Europe 70th Regional Meeting September 2020.  Petrazzuoli F, Kurpas D, Vinker S, Sarkisova V, Eleftheriou A, Żakowicz A, Aarendonk D, Ungan M. Prim Health Care Res Dev. 2021 Dec 13;22:e80. doi: 10.1017/S1463423621000633. PMID: 34895388.

Diverses études ont montré de bons ou de très bons niveaux de concordance diagnostique entre les soins en face à face (F2F) et les soins basés sur la MT avec des taux de concordance entre 73% et 99%.

Inpatient teledermatology: Diagnostic and therapeutic concordance among a hospitalist, dermatologist, and teledermatologist using store-and-forward teledermatology.  Keller JJ, Johnson JP, Latour E. J Am Acad Dermatol. 2020 May;82(5):1262-1267. doi: 10.1016/j.jaad.2020.01.030. Epub 2020 Jan 20. PMID: 31972258.

Cependant, très peu d'études ont été menées comparant les résultats du diagnostic et du traitement de la téléconsultation à ceux des consultations F2F dans les pays en développement. Nous n'avons trouvé qu'une seule étude de ce type qui montrait une concordance diagnostique de 78 % et une concordance de traitement de 89 % entre une visite infirmière en présentiel et une visite virtuelle dans un programme de télémédecine au Kenya.

Reliability of a telemedicine system designed for rural Kenya.  Qin R, Dzombak R, Amin R, Mehta K. J Prim Care Community Health. 2013 Jul 1;4(3):177-81. doi: 10.1177/2150131912461797. Epub 2012 Oct 3.


Nos résultats montrent que la télémédecine, notamment la téléconsultation, peut être un mode de soins alternatif, sûr et acceptable, en particulier dans les milieux ruraux éloignés des établissements de soins, lorsque les soins en présentiel  sont difficilement accessibles. La télémédecine présente des avantages et des gains potentiels vis à vis de l'amélioration du comportement des patients en matière de recherche de soins de santé, de réduction des coûts pour le patient et d'amélioration de l'efficacité du système de santé en réduisant le surpeuplement des établissements de santé tertiaires.


COMMENTAIRES. L'intérêt de cet article est de nous révéler les difficultés et inégalités d'accès aux soins dans le pays le plus peuplé de la planète. Pour le lecteur français ou européen, une telle étude, réalisée avec beaucoup de rigueur méthodologique, donnent plusieurs leçons.

Une première est que ce grand pays qui a la densité de population parmi les plus élevées du monde (376 hab./km2 contre 106 en France et 114 en Europe) doit développer la télémédecine pour réduire l'inégalité d'accès aux soins entre les zones rurales, très dépourvues de professionnels médicaux de soins primaires et de médecins spécialistes,  et les grandes zones urbaines qui sont les mieux dotées.

Une deuxième leçon est que l'organisation mise en place donne aux infirmiers et infirmières exerçant en zones rurales la mission d'organiser les téléconsultations avec les médecins exerçant en ville recevoir. L'organisation va plus loin car ce sont les infirmiers et infirmières qui réalisent l'interrogatoire des patients avant la connexion avec le médecin. Ces professionnels de santé sont aidés dans cette démarche par un dispositif numérique, doté d'un algorithme, qui les guide dans la manière de conduire l'interrogatoire du patient en fonction du problème initial de soin primaire.

Une troisième leçon est que cette organisation professionnelle innovante (qui pourrait se développer dans les pays développés) n'a pas d'impact négatif sur la concordance diagnostique et thérapeutique entre la consultation en présentiel et celle réalisée à distance avec l'assistance d'un infirmier. Cette concordance est comprise entre 70 et 80%, confirmant des études réalisées dans les pays développés où l'organisation professionnelle implique également l'assistance d'un professionnel de santé dans la conduite de la téléconsultation.

Enfin, beaucoup de pays confrontés au développement des maladies chroniques, comme l'Inde, recherchent des solutions pour prévenir le surpeuplement des établissements de soins. Une organisation professionnelle innovante, comme celle proposée dans cette étude, peut contribuer à prévenir la submersion des établissements de soins lorsque les hospitalisations peuvent être évitées (https://telemedaction.org/422021881/tlm-et-hpe-hospitalisation-potentiellement-vitable).

La France pourrait s'inspirer des études internationales pour améliorer l'accès aux soins primaires et prévenir les hospitalisations évitables, en particulier en faisant la promotion de la téléconsultation assistée d'un professionnel, proposée aux médecins généralistes depuis janvier 2020, recommandée dans la Charte publiée par l'Assurance maladie en avril 2022 (https://telemedaction.org/432098221/452395661)(https://telemedaction.org/432098221/452419586) et qui a toujours autant de peine à se développer depuis la fin de la pandémie. A cet égard, la téléconsultation assistée d'un infirmier libéral qui se développe dans le Grand Est est un modèle organisationnel réussi, qui devrait être mieux connu de l'ensemble des professionnels de santéde l'hexagone (https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/meuse/teleconsultation-medicale-assistee-de-nouvelles-pratiques-et-une-solution-pour-pallier-aux-deserts-medicaux-2673896.html).


7 octobre 2023