Comment lutter contre l'illectronisme pour améliorer l'accès à Mon Espace Santé (MES) ?

Alors que dans moins de 4 mois, tout citoyen français aura la possibilité d'accéder à un espace numérique pour gérer sa santé (Mon Espace Santé ou MES), intéressons-nous aux 16,5% des Français âgés de 3 ans et plus (plus de douze millions de citoyens) qui sont touchés d'illectronisme et qui rencontreront des difficultés à utiliser les services de MES. Cette question est d'autant plus importante que les enquêtes révèlent que cet illectronisme toucherait en 2019 67,2% des personnes âgées de 75 ans et plus (l'image du billet), c'est à dire la population qui aurait le plus besoin d'accéder à MES pour améliorer la prise en charge des maladies chroniques du vieillissement.

Deux enquêtes sont commentées dans ce billet : celle de l'INSEE réalisée et publiée en 2019 https://www.vie-publique.fr/en-bref/271657-fracture-numerique-lillectronisme-touche-17-de-la-population#:~:text=Ne%20pas%20avoir%20acc%C3%A8s%20%C3%A0,des%20%C3%A9tudes%20%C3%A9conomiques%20(INSEE), et celle de CSAresearch réalisée et publiée en mars 2018.  https://www.profiloccitanie.fr/wp-content/uploads/2020/11/l-illectronisme-en-france.pdf 

En 2021, selon l'INSEE, la population française âgée de 75 ans et plus représente 6 409 568 personnes, l'illectronisme touchant environ 4 300 000 personnes. Si on exclut les 700 000 personnes qui résident en Ehpad, l'illectronisme toucherait 3,6 millions de personnes âgées qui vivent à leur domicile. Dans son enquête de 2019, l'INSEE précise que 53% de plus de 75 ans n'ont pas accès à internet depuis leur domicile (soit 3,4 millions) contre 2% des 15-29 ans. C'est aussi le cas de 34% des personnes peu ou pas diplômées contre 3% des diplômés du supérieur, et de 16% des ménages les plus modestes contre 4% des ménages aisés.

Alors que la campagne nationale pour sensibiliser les Français à la e-santé, en particulier à MES, bat son plein (https://esante.gouv.fr/actualites/lancement-dune-campagne-nationale-oui-la-e-sante), nous nous intéressons dans ce billet aux 12 millions de personnes atteints d'illectronisme. Alors que la population âgée de 75 ans et plus représente 9,5% de la population française, elle représente 45 à 53% de la population touchée d'illectronisme.

Comment définir l'illectronisme ?

La définition du dictionnaire Larousse est la suivante : état d’une personne qui ne maîtrise pas les compétences nécessaires à l’utilisation et à la création des ressources numériques. (On distingue dans l’illectronisme les lacunes liées à l’utilisation des outils numériques (ordinateurs, téléphones intelligents, etc.) et celles liées à l’usage des contenus disponibles sur Internet [remplir un formulaire en ligne, acheter sur un site Web, etc.].)

Si on croise cette étude avec les données publiées par Médiamétrie, en avril 2021 il y avait 53,8 millions d'internautes en France, soit 85,2% des Français âgés de 3 ans et plus, 46,2 millions se connectant quotidiennement. Cependant, selon l'enquête de l'INSEE de 2019, 38% des usagers d'internet manquent de compétence numérique dans au moins un de ces domaines : la recherche d'information, la communication, l'utilisation de logiciels et la résolution des problèmes. Autrement dit, 20,4 millions d'internautes seraient touchés d'illectronisme. A ceux-là s'ajouteraient les 10 millions de personnes qui n'ont pas accès à internet (14,8% de la population âgée de 3 ans et plus). Ainsi, selon l'enquête de l'INSEE de 2019, 30,4 millions de Français rencontreraient des difficultés à se connecter à MES ou ne pourraient pas y accéder.

Dans l'enquête CSAresearch de 2018, 1214 personnes âgées de 18 ans et plus, ont été interrogées par téléphone en janvier/février, cet échantillon étant représentatif de la population française. L'enquête "Grand public" a été complétée d'une enquête ciblée auprès d'un échantillon de 368 personnes âgées de 70 ans et plus.

Comment les Français utilisent internet lorsqu'ils disposent d'une connexion ?

89% des personnes interrogés (67% des 70 ans et plus) possèdent un équipement qui leur permet de se rendre sur internet.

En 2018, 91% du Grand public disposaient d'un téléphone mobile, un peu moins (82%) dans la population âgée de 70 ans et plus, 64% d'un ordinateur portable ( 40% chez les 70 ans et plus), 64% d'un smartphone (25% chez les 70 ans et plus), 47% d'un ordinateur fixe (33% chez les 70 ans et plus) et 45% d'une tablette tactile (25% chez les 70 ans et plus).

15% du Grand public disposant d' un équipement d'accès à internet ont des difficultés à l'utiliser, un tiers (32%) se sentant très à l'aise. Ils sont 39% chez les 70 ans et plus à considérer difficile l'usage d'un équipement d'accès à internet et seulement 8% se disent très à l'aise.

97% des personnes disposant d'une connexion internet ont réalisé au moins une des actions suivantes sur une période d'un mois au moment de l'enquête.

L'enquête CSAresearch révèle que 86% du Grand Public ont recherché une information (77% des 70 ans et plus), 85% ont envoyé un mail (68% des 70 ans et plus), 74% ont consulté leur compte bancaire (59% des 70 ans et plus),  72% ont lu l'actualité (60% des 70 ans et plus), 60% ont fait un achat (32% des 70 ans et plus), 59% ont été sur les réseaux sociaux (20% des 70 ans et plus), 55% ont effectué une démarche administrative (28% des 70 ans et plus), 41% ont organisé un voyage (22% des 70 ans et plus), 23% ont recherché un appartement ou une maison (6% des 70 ans et plus), 21% ont recherché un emploi.

En 2018, 74% du "Grand public" utilisent internet pour rester en contact avec leur famille et/ou leurs amis, ils ne sont que 49% chez les 70 ans et plus. Pour 65%, internet est un lieu de sociabilité qui permet de joindre d'autres personnes (relations professionnelles, associatives, etc.) plusieurs fois par semaine (44%). Ils ne sont que 35% chez les 70 ans et plus.

Enfin, 8% du Grand public considèrent difficile la navigation sur internet contre 20% des personnes de 70 ans et plus. 23% du Grand public disent ne pas être très à l'aise sur internet contre 58% des 70 ans et plus.

Ainsi, selon l'enquête CSAresearch, l'illectronisme toucherait plus de 12 millions de français, dont près de 6 millions âgés de 70 ans et plus. Ces chiffres sont un peu inférieurs à ceux de l'enquête INSEE de 2019. CSAresearch considère les "abandonnistes" comme des "illectronistes". Les abandonnistes sont des personnes qui sont aussi bien équipées que la moyenne des Français, qui ont une bonne connexion internet, mais qui abandonnent son usage parce qu'ils trouvent les équipements trop complexes à l'usage. C'est particulièrement le cas d'un français sur deux âgés de 70 ans et plus.

A notre connaissance aucune nouvelle enquête n'a encore été publiée depuis 2019 (celle de l'INSEE) pour juger de l'impact de la période Covid-19 sur l'usage d'internet dans le Grand public et dans la population des 70 ans et plus. Une nouvelle enquête montrerait probablement un développement important des relations professionnelles (télétravail) et du téléenseignement.

Qui sont les Français qui n'ont pas accès à internet ?

Ils ne sont pas inclus dans la population "illectronique", mais l'enquête CSAresearch les a identifiés.

Plus d'un tiers des 70 ans et plus ne disposent pas de connexion internet au domicile.

En 2021, la population française âgée de 70 ans et plus représente 10 089 865 personnes. 37% de cette population, soit 3 733 250 personnes, n'ont pas de connexion internet, contre 13% du Grand public (8 710 000 Français). Ce qui signifie que 42,7% des personnes qui n'ont pas accès à internet sont âgées de 70 ans et plus.

Ces Français qui n'ont pas de connexion à leur domicile se connectent-ils ailleurs ?

20% se connectent chez un proche (7% chez les personnes âgées de 70 ans et plus), 11% sur le lieu de travail, 7% dans une médiathèque, 7% dans un cybercafé, 4% à un guichet d'administration. Ainsi 70% des personnes sans connexion internet au domicile ne cherchent pas à se connecter ailleurs.

A quelle fréquence est utilisé internet dans la population française ?

Trois-quarts des Français utilisent internet quotidiennement.

Dans le Grand public, 75% en ont un usage quotidien, 16% ne l'utilisent très rarement ou jamais. Chez les personnes de 70 ans et plus, 43% en ont un usage quotidien et 46% ne l'utilisent que rarement ou jamais.

Ceux qui n'utilisent que rarement ou jamais internet invoquent un manque d'intérêt.

70% des personnes du Grand public caractérisés comme ayant un "illectronisme" disent qu'internet ne les intéresse pas. Ils sont 76% chez les 70 ans et plus. 47% (Grand public) à 58% (70 ans et plus) avouent ne pas en avoir besoin et 42% à 46% trouvent cela trop compliqué, 34% à 27% que leurs données personnelles ne sont pas protégées, 34% à 28% que l'équipement et l'abonnement sont trop chers.

Comme nous l'avons dit précédemment, la fréquence d'usage d'internet a considérablement augmenté pendant la crise sanitaire, comme cela a été montré dans les enquêtes sur l'usage de la téléconsultation (http://www.telemedaction.org/447449615). Il serait intéressant de refaire l'enquête CSAresearch en 2021.

Dans un tel contexte, comment peut prospérer MES à partir de janvier 2022 ?

Les pouvoirs publics misent sur le "boom" numérique de la période Covid-19 pour réussir le développement de MES à partir du 1er janvier 2022.  Ce boom numérique aurait-t-il fait baisser le nombre de personnes illectronistes ? Par exemple, l'entraide familiale pendant les confinements aurait-il fait progresser la maitrise d'internet des personnes qui étaient en difficulté ? C'est possible, car ces périodes ont favorisé le développement du télétravail et du téléenseignement, ainsi que d'autres relations sociales à distance, comme les échanges familiaux, avec des amis, les webinaires professionnels, etc. Il serait donc intéressant qu'une nouvelle étude soit réalisée pour mesurer la progression éventuelle des profils d'illectronisme observés en 2018 dans l'enquête CSAresearch et en 2019 dans l'enquête l'INSEE.

Il n'en demeure pas moins vrai que MES ne sera pas accessible au 1er janvier 2022 à tous les Français, que la lettre adressée aux assurés par l'Assurance maladie en début 2022, invitant chaque français à se connecter à MES (http://www.telemedaction.org/450202746), n'aura un réel impact que sur les deux-tiers des Français. Le tiers restant étant soit touché d'illectronisme, soit dans l'impossibilité technique de se connecter à internet.

Qu'est-il prévu pour la population touchée d'illectronisme ? 

Dans le cadre du plan France Relance qui mobilise 250 millions d'euros, 10 millions sont mobilisés dès 2021 pour les aidants et médiateurs numériques qui sont en première ligne pour accompagner les Français en difficulté avec l'usage du numérique. Le Secrétariat d'Etat en charge de la Transition numérique et des Communications électroniques estime que cette aide concerne 13 millions de Français (https://www.gouvernement.fr/10-millions-d-euros-pour-les-aidants-numeriques), soit à peu près le chiffre donné par CSAresearch en 2018 (12 millions), mais inférieur à celui donné par l'INSEE en 2019 (20,4 millions). Cette aide financière concerne tous les services du numérique (administratifs, bancaires, etc.) et pas seulement MES. S'agissant d'une aide non spécifique à MES, il serait souhaitable que l'Assurance maladie indique aux assurés le moyen de contacter un aidant ou un médiateur dans la région où réside le titulaire de MES.

Qu'est-il prévu pour la population qui n'a pas accès à internet ?

Pour UFC Que Choisir, 6,8 millions de Français n'avaient pas accès à internet en mars 2019. Pour cet organisme, cette absence d'accès à internet toucherait principalement les zones rurales et certaines agglomérations (https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2019/03/21/32001-20190321ARTFIG00043-en-france-68millions-de-personnes-n-ont-pas-d-acces-a-internet.php). Pour l'association des consommateurs, l'absence de connexion correspond à un débit inférieur à 3 Mbits/seconde. Si on prend en compte le "bon haut débit", celui qui permet entre autres la réalisation d'une téléconsultation de qualité, l'absence d'accès toucherait 19,1% des Français, soit 12,8 millions de consommateurs.

L'enquête CSAresearch parle de 8,7 millions de personnes "Grand public" qui n'ont pas accès à internet en mars 2018, dont 3,7 millions seraient âgés de 70 ans et plus (43% de cette classe d'âge).

Sans entrer dans cette confrontation de chiffres, force est de constater que des millions de personnes n'auront pas accès à MES au 1er janvier 2022. A notre connaissance, aucune proposition publique n'a encore été faite par les pouvoirs publics pour que ces Français ne soient pas victimes de cette fracture numérique dans la conduite de leur santé. Une proposition pourrait être que ces personnes soient fortement encouragées et aidées à créer leur MES chez un professionnel de santé proche de leur domicile (IDEL, pharmacien), lequel pourrait gérer cet espace santé personnel en attendant que les personnes concernées puissent le faire elles-mêmes lorsqu'elles auront la connexion internet.

15 septembre 2021

Derniers commentaires

01.12 | 12:57

Merci, très intéressant cet article qui me permet de donner un exemple pour illustrer un cours!

16.11 | 16:08

Merci du commentaire

16.11 | 16:07

Merci de votre commentaire

16.11 | 04:04

Très intéressant en effet, merci.

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