Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Cette deuxième partie de l'article des chercheurs anglais et danois consacré à l'apport de la Télésanté et de la Santé Numérique dans les maladies chroniques du foie, traite de l'apport de la télésurveillance médicale au domicile, de l'usage des algorithmes de l'IA dans la prédiction des risques et de l'expérience des patients vis à vis des parcours de soins hybrides qui alternent les soins distanciels et les soins présentiels.
Le lecteur peut lire ou relire la première partie de cet article. (https://telemedaction.org/422885857/t-l-sant-16)
The new digital era in decompensated cirrhosis.Gananandan K, Kazankov K, Tapper EB, Mookerjee RP. Lancet Digit Health. 2025 Jan;7(1):e54-e63. doi: 10.1016/S2589-7500(24)00174-2. Epub 2024 Nov 20.PMID: 3957228.
LA TÉLÉSURVEILLANCE MÉDICALE AU DOMICILE
Les bénéfices du suivi à distance
Les patients atteints de maladies chroniques passent peu de temps avec les professionnels de santé, laissant une grande partie de la gestion de leur maladie à eux-mêmes et à leurs aidants. La télésurveillance médicale permet d'effectuer des évaluations régulières et d'obtenir des informations utiles recueillies à domicile, tout en permettant aux patients de participer à la gestion de leur maladie. Les données obtenues grâce à la télésurveillance permettent de détecter les premiers signes de détérioration et facilitent les interventions rapides des équipes soignantes au sein de la communauté.
Les solutions numériques évaluées
Le suivi par messagerie SMS
Le lactulose est le traitement de première intention de l'encéphalopathie hépatique. Cependant, les besoins individuels en matière de dose et de fréquence d'administration de ce médicament sont très variables, avec des risques de surdosage ou de sous-dosage.
Dans un récent essai randomisé sur le lactulose, certains utilisaient la messagerie par SMS pour surveiller le transit intestinal et la consistance des selles afin d'adapter le traitement par lactulose. Les SMS constituent ainsi une méthode simple et prometteuse pour garantir à la fois la sécurité et l'efficacité du traitement.
Le suivi par des applis (Buddy et EncephalApp-Stroop)
Dans une autre étude, l'application Patient Buddy a été étudié de manière prospective, permettant aux patients et aux soignants de rester en contact étroit avec l'équipe clinique, en se concentrant particulièrement sur l'observance du traitement, l'apport en sodium, le poids (c'est-à-dire en exigeant que les patients ou les soignants saisissent des données pour soutenir la surveillance) et évaluer l'état cognitif (via le test EncephalApp-Stroop).
40 patients et 40 soignants ont été suivis quotidiennement via l'application Patient Buddy pendant 30 jours après la sortie de l'hôpital. L'application envoyait des alertes automatiques basées sur les variables entre les patients et l'équipe clinique concernant l'observance du traitement et les valeurs critiques de toutes les variables, et l'équipe clinique pouvait fournir une prise en charge ambulatoire ou des conseils si nécessaire.
La convivialité et les commentaires étaient largement positifs, les auteurs de l'étude concluant qu'ils ont évité huit admissions hospitalières pour encéphalopathie hépatique. Il convient de noter qu'il n'y a pas eu de changement dans le taux global de réadmission (42,5 %) malgré la période de suivi intensive (trois visites et deux appels téléphoniques en 30 jours). Cette étude montre la faisabilité et le rôle potentiel de la surveillance à domicile dans cette population atteinte d'une cirrhose.
Le suivi par l'analyse de la parole et du sommeil.
Les études sur l'encéphalopathie hépatique comprennent une étude pilote évaluant les données vocales chez 43 patients. Le débit et la précision de la parole ont permis de distinguer l'encéphalopathie hépatique manifeste, minime ou absente. De plus, des améliorations des données vocales ont été corrélées avec une amélioration de l'encéphalopathie hépatique. La parole pouvant être enregistrée et analysée à distance, elle pourrait constituer un biomarqueur prometteur de l'efficacité du traitement par lactulose. Cependant, l'échantillon de cette étude était restreint.
Les habitudes de sommeil pourraient également être un biomarqueur pertinent de l'encéphalopathie hépatique. À l'aide d'un bracelet connecté d'activité physique appelé Whoop, des chercheurs ont étudié les rythmes du sommeil chez 25 patients. Dans leur étude, un modèle incluant le sommeil paradoxal, les troubles du sommeil et leur régularité a fourni une statistique C pour l'encéphalopathie hépatique latente de 0,79. Cependant, cela nécessitait que les patients se conforment à l'utilisation nocturne d'un bracelet connecté d'activité physique, dont le taux d'usage ne fut que de 66 %.
Le suivi par une approche intégrée sur plateforme numérique de l'ensemble des évènements.
Une équipe de chercheurs a publié une nouvelle approche intégrée visant à détecter et à prendre en charge précocement l'ensemble des événements de décompensation de la cirrhose, baptisée appelée CirrhoCare. Comparé aux études précédentes dont la durée était limitée à 30 jours, le suivi avec Cirrhocare a duré jusqu'à 12 semaines, prenant en compte que le taux de réadmissions restait élevé dans les 90 jours qui suivaient une décompensation aiguë.
Vingt patients atteints de cirrhose sont sortis de l'hôpital au décours de leur admission pour décompensation aiguë et ont été renvoyés chez eux avec des dispositifs de surveillance qui étaient connectés par Bluetooth, d'une part à l'application CirrhoCare, d'autre part à la plateforme CyberLiver. Ils étaient comparés à 20 témoins appariés. Les patients pris en charge par CirrhoCare ont pris quotidiennement des mesures de fréquence cardiaque, de tension artérielle, de poids et de la fonction cognitive (à l'aide du CL-ART). L'équipe clinique a surveillé les patients via la plateforme CyberLiver, et l'application Cirrhocare a permis une communication bidirectionnelle, sécurisée et en boucle fermée entre le patient et le médecin.
Des alertes étaient déclenchées lorsque les biomarqueurs numériques dépassaient les valeurs moyennes de la semaine précédente ou de référence pour un patient donné. Ces alertes incitaient à une évaluation plus approfondie et à une intervention dirigée par le clinicien. 85 % des patients ont montré un bon engagement dans l'étude avec des commentaires positifs sur la facilité d'utilisation des solutions connectées. Comparativement au groupe témoin, la cohorte CirrhoCare a enregistré 38 % d'admissions en moins et des durées de séjour plus courtes. De plus, le groupe CirrhoCare a eu significativement moins besoin de paracentèses imprévues et avait une plus grande amélioration des scores de gravité de la maladie hépatique durant la période de suivi. Les limites de cette étude étaient l'absence de randomisation et la petite taille de l'échantillon. Cependant, un essai contrôlé randomisé CirrhoCare recrute actuellement activement au Royaume-Uni, afin de vérifier ces premiers résultats.
Le suivi par une approche intégrée sur tablette 4G
Semblable à l'étude CirrhoCare, une autre équipe de chercheurs a fourni à 19 patients des tablettes 4G et divers appareils connectés sans fil pour surveiller la tension artérielle, la fréquence cardiaque, le poids et la prise de médicaments. Les infirmières et les cliniciens de télésanté sont intervenus pour prévenir les admissions si les données sortaient des paramètres acceptés. Alors que dans le groupe de surveillance à distance, aucune réadmission ne fut observée, due à ce que les auteurs ont considéré comme des causes évitables, telles que la surcharge liquidienne et l'encéphalopathie hépatique, 33,8 % des témoins ont eu ces réadmissions (p = 0,02). Une limite de cette étude est que la plupart des patients avaient une hépatite C comme cause de maladie chronique du foie. Ces résultats pourraient ne pas être retrouvés dans d'autres pays où les cirrhoses associées à l'alcool et aux troubles métaboliques sont prédominantes.
En résumé, l'ensemble de ces études souligne le rôle potentiel de la surveillance à distance pour parvenir à une prestation de soins de santé durable, réduire l'empreinte carbone par la diminution des visites à l'hôpital et améliorer l'état clinique des patients.
MODÉLISATION DE LA PRÉDICTION DES RISQUES
Méthodes d'apprentissage automatiques
Des méthodes d'apprentissage automatique ont été utilisées pour développer des systèmes de notation dans le but de prédire les résultats, Ces méthodes sont plus performantes que les modèles pronostiques traditionnels.
Prédiction de la mortalité
Dans une étude rétrospective portant sur 107 939 patients, une équipe de chercheurs a développé un modèle d'apprentissage automatique permettant de prédire la mortalité par cirrhose, en utilisant des facteurs prédictifs tels que les caractéristiques démographiques, l'étiologie de la maladie hépatique, les complications, l'utilisation des ressources de santé, les comorbidités et les données de laboratoire et de traitement. Le modèle final de mortalité par cirrhose a montré une meilleure capacité à prédire la mortalité à un an que le score MELD-Na (Modèle pour l'insuffisance hépatique terminale) (AUROC 0,78 contre 0,67 ).
Prédiction de l'encéphalopathie hépatique
Une autre équipe a utilisé des méthodes d'apprentissage automatique pour élaborer des modèles permettant de prédire l'encéphalopathie hépatique et les chutes secondaires. Ces modèles ont été élaborés à partir d'une cohorte de 300 patients atteints de cirrhose et d'hypertension portale. Dans les deux cas, les résultats rapportés par les patients se sont avérés prédictifs. Le score MELD-Na Actvity Chairstands Quality of Life-hepatic encephalopathy (statistique C : 0,82 pour l'encéphalopathie hépatique à 1 an) et le score FallSSS (AUROC : 0,81 pour les chutes avec blessures à 1 an) intégraient des mesures de la gravité de la maladie, des résultats des soins rapportés par les patients (par exemple, la qualité de vie mesurée à l'aide du Short Form-8) et une échelle visuelle analogique pour l'effet de la cirrhose sur l'activité quotidienne.
Prédiction de la mortalité par apprentissage profond.
Des chercheurs ont développé un algorithme d'apprentissage profond (DeepLabv3+) pour prédire la mortalité globale en fonction de la composition corporelle mesurée à partir de tomodensitogrammes. L'algorithme a été développé à partir de données de 12 067 patients, puis validé de manière prospective chez 238 patients. Les auteurs ont développé le modèle incluant le MELD-Na, l'indice de surface musculaire totale et la densité de graisse sous-cutanée. Ils ont montré que ce modèle était supérieur au MELD-Na seul pour prédire la mortalité (statistique C 0,71, IC à 95 % 0,61-0,82 contre 0,66, IC à 95 % 0,55-0,78).
Un modèle alternatif appelé XBG-CV avec 43 variables a obtenu de meilleurs résultats que le score de Child-Pugh et le MELD-Na pour prédire la mortalité à 90 jours.
Prédiction de la décompensation hépatique.
D'autres ont utilisé l'apprentissage automatique dans une cohorte afin de générer un modèle prédictif de la décompensation hépatique chez les personnes atteintes de cholangite sclérosante primitive (CSP). La technique d'apprentissage automatique par gradient boosting a été utilisée pour créer l'outil d'estimation du risque de CSP (PREsTo), composé de variables biochimiques et hématologiques, de l'âge du patient et du nombre d'années écoulées depuis le diagnostic de CSP. Les auteurs ont montré que PREsTo était supérieur pour prédire la décompensation (statistique C 0,90, IC à 95 % 0,77-0,92) par rapport au score MELD (statistique C 0,72, IC à 95 % 0,57-0,84) et au score de risque de CSP Mayo (statistique C 0,85, IC à 95 % 0,77-0,92).
Une exigence de données fiables et complètes
Le problème avec tous les modèles développés avec l'apprentissage automatique et l'apprentissage profond est que la qualité des résultats est déterminée par la qualité des données d'entrée. Par conséquent, tout biais dans les ensembles de données, dû à des variables manquantes ou à la sélection de critères, se reflétera dans le modèle, comme le souligne une étude qui a évalué des modèles prédisant la mortalité chez les patients atteints d'insuffisance hépatique aiguë ou chronique. De plus, des inquiétudes subsistent quant à la transparence du développement de ces algorithmes (c'est-à-dire concernant le risque que les professionnels de santé ne comprennent pas comment les modèles sont développés, c'est à dire le phénomène de la boîte noire).
ÉVALUATION PAR LES PATIENTS DE LA VALEUR DES SOINS (VBHC).
Les mesures de la valeur des soins par les patients (PROM pour "Patients Reported Outcome Measures")) sont importantes
Elles permettent de connaître l'impact des soins numériques sur le bien-être général et les symptômes spécifiques à la maladie chronique.
Les questionnaires PROM
Les réponses aux questionnaires PROM sont fournies directement par le patient, sans intervention du professionnel de santé, permettant ainsi de mieux évaluer l'effet et le fardeau de sa maladie.
De nombreux questionnaires PROM sont très pertinents pour les patients atteints de cirrhose. Une étude a montré une association entre la pertinence des PROM et le risque de réadmission en cas de cirrhose décompensée. Les PROM peuvent être facilement obtenues à l'aide d'un smartphone et représentent une fonctionnalité à inclure dans les solutions de santé numériques, sous forme de PROM électroniques (ePROM).
Les ePROM ont été évaluées dans des maladies telles que la rectocolite hémorragique et pourraient être étudiées chez les patients atteints de cirrhose. De plus, le suivi à l'initiative du patient pourrait être une piste prometteuse, bien qu'elle ne soit pas pleinement explorée dans ce groupe de patients. Alors que d’autres spécialités (par exemple, la rhumatologie et l’obstétrique et la gynécologie) aient montré un avantage réel des ePROM dans la diminution des rendez-vous inutiles, la rentabilité et l’effet sur les soins primaires et les services communautaires doivent encore être évalués.
Les patients atteints de cirrhose présentent des troubles cognitifs liés à l'encéphalopathie hépatique, mais présentent également une fonction physique nettement réduite, une malnutrition et une sarcopénie entraînant un risque accru de chutes et de blessures graves. À cet égard, l'évaluation de la fragilité et son amélioration sont essentielles pour la prise en charge des patients atteints de cirrhose afin de guider la thérapie nutritionnelle, l'exercice physique et optimiser la gestion de l'encéphalopathie hépatique.
Les programmes de réadaptation au domicile
Les offres technologiques actuelles peuvent aider les cliniciens à mieux reconnaître l'encéphalopathie hépatique (comme démontré précédemment) et à proposer des programmes d'exercices personnalisés aux patients à domicile. Un programme d'exercices physiques suivi en Visio a récemment été testé dans une étude pilote chez des patients atteints de cirrhose et de fragilité physique, sans que l'on démontre un bénéfice clair.
En revanche, un programme plus complet d'exercices à domicile individualisés, avec suivi de l'exercice à l'aide d'une application sur smartphone et de rappels d'exercices, a montré une bonne faisabilité et une bonne efficacité chez les candidats à une transplantation hépatique. De même, la téléconsultation pourrait permettre une orientation nutritionnelle plus facile chez les patients, en permettant un retour d’information fréquent de leur part pour évaluer leur adhésion au régime alimentaire et le suivi de leurs paramètres physiques (masse grasse et poids) à l’aide d’une technologie mobile pour mesurer la bioimpédance.
L'évaluation de l'observance du traitement
.Chez les patients atteints de cirrhose, l'observance du traitement est cruciale ; malheureusement, certaines données suggèrent que l'observance thérapeutique dans la cirrhose décompensée est faible, allant de 21 % à 37 %. Les patients peuvent prendre des médicaments contre-indiqués, tels que des anti-inflammatoires non stéroïdiens, ou d'autres (par exemple, les benzodiazépines, les opiacés et les inhibiteurs de la pompe à protons) qui sont potentiellement nocifs pour l'état cognitif. Une solution numérique peut contribuer à améliorer ce problème avec une application pour smartphone qui permette de renforcer la connaissance par les patients sur leur traitement et leur offrir la possibilité de faire part à leur médecin toute préoccupation ou question concernant leur traitement
Ainsi, ces aspects essentiels des soins aux patients atteints de cirrhose semblent bien adaptés à la mise en place de solutions numérique. Cependant, des études bien conçues et de grande envergure sont nécessaires pour confirmer les premiers résultats.
ACCEPTABILITÉ DES SOINS NUMÉRIQUES PAR LES PATIENTS ET LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ
Bien que la transformation numérique des soins de santé suscite un vif intérêt, le succès de ce changement de pratique nécessite l'engagement de toutes les parties prenantes.
L'acceptabilité par les patients.
L'équipement en smartphone
Une étude prospective multicentrique menée auprès de patients atteints de cirrhose décompensée a montré que 71,5 % des patients possédaient un smartphone. Les utilisateurs de smartphones avaient tendance à être plus jeunes, mariés, employés, vivant dans des quartiers plus aisés et présentant une étiologie de cirrhose non-alcoolique.
Une autre étude a montré que 78 % des patients et 80 % des soignants possédaient un smartphone. 85 % des patients étaient intéressés par une application pour smartphone permettant de communiquer avec leur médecin, 79 % souhaitaient une application pour les informer sur leur maladie du foie, 85 % des personnes souffrant d'ascite étaient prêtes à transmettre des données de poids et 67 % étaient prêtes à effectuer des tests ou des jeux pour évaluer leur déclin cognitif.
Ces études soulignent que si les patients atteints de cirrhose sont intéressés par les approches numériques de leurs soins, il existe des disparités considérables entre les utilisateurs de smartphones et les non-utilisateurs. Un étude prospective a révélé que les raisons de refus à participer à une étude utilisant une application sur smartphone étaient la réticence des soignants (43%) et la perception d’une charge. Il est donc impératif que toute intervention numérique soit conviviale et acceptée par les patients et leurs soignants.
Les facteurs prédictifs de l'acceptation et de l'utilisation d'une appli.
Une équipe de chercheurs a mené une enquête pour identifier les facteurs prédictifs de l'acceptation et de l'utilisation d'une application sur smartphone dans la gestion de la cirrhose. Ils ont montré que l'acceptation ou non de la technologie était corrélée à la perception par les patients de son utilité (r = 0,77, IC à 95 % 0,67 à 0,84), à la facilité de son utilisation (r = 0,65, IC à 95 % 0,52 à 0,75), mais également à une certaine anxiété vis à vis de l'informatique (r = –0,54, IC à 95 % –0,66 à –0,38). Bien que l'étude ait montré que près de 70 % des patients percevaient les avantages de l'appli numérique, seulement 32 % l'utilisaient, suggérant que pour garantir le succès, les interventions numériques devraient être simples à utiliser et nécessiter une formation et un enseignement réguliers, tout en démontrant leur efficacité clinique.
L'acceptabilité par les professionnels.
Il est également crucial que les soins de santé numériques soient acceptés par les professionnels de santé. L'application Patient Buddy (détaillée précédemment) est actuellement évaluée dans le cadre d'un essai contrôlé randomisé. Bien que les retours d'une sous-étude de l'essai contrôlé randomisé en cours aient été largement positifs, 25 % des personnes ont rencontré des difficultés lors de la saisie initiale des données des patients, 67 % ont estimé ne pas disposer d'un support technique suffisant et seulement 42 % ont estimé que l'application contribuait certainement aux soins des patients. Une limite de cette étude réside dans le fait que les auteurs ont utilisé un instrument d'enquête qui n'a pas été validé. Les études futures devraient peut-être recueillir l'avis des professionnels de santé lors d'entretiens dirigés ou d'ateliers.
LES OBSTACLES A SURMONTER ET L'AVENIR DE LA RECHERCHE EN SANTÉ NUMÉRIQUE DANS LA CIRRHOSE
Bien que les soins de santé numériques révolutionnent notre vision des soins, d'importants obstacles subsistent.
Les obstacles.
Certains professionnels de santé s'inquiètent de la capacité limitée à effectuer des examens physiques, de l'absence de données si les patients sont injoignables ou ne complètent pas les mesures de surveillance, des inquiétudes quant à l'établissement d'un lien de confiance entre le patient et le médecin, et de la minimisation des symptômes par les patients dans un environnement à distance. Il est également impératif de combler la fracture numérique existante ; par exemple, l'utilisation de la télésanté est affectée par des facteurs tels que l'accès restreint à Internet et les disparités dans l'accès à Internet. Ces limites sont associées à des déterminants sociaux de la santé, tels que l'origine ethnique et le statut socio-économique, lesquels ont été exacerbées pendant la pandémie de COVID-19.
Les actions futures.
Pour le succès des soins de santé numériques, il est impératif de garantir à tous les patients l'accès à des applications ou appareils numériques, à une connectivité Internet adéquate et, surtout, à une formation et un soutien technologiques pour améliorer la culture numérique et la volonté de s'engager. Les systèmes de santé doivent garantir l'inclusion en travaillant avec les usagers (en particulier les populations vulnérables et marginalisées) et en surmontant les barrières linguistiques et culturelles pour élaborer des programmes adaptés aux utilisateurs et répondant à leurs besoins. Cette proposition devra être soutenue par des politiques gouvernementales visant à mettre en œuvre un véritable changement, avec la mise en place de mécanismes garantissant la protection et l'utilisation correcte des données des patients.
CONCLUSIONS
Nous sommes déjà entrés dans l'ère numérique de la prise en charge de la cirrhose décompensée, grâce à la transformation numérique en cours. Pour les cliniciens, l'avenir impliquera l'intégration des plateformes numériques dans la pratique clinique courante, avec une multitude de données disponibles et des interventions possibles en temps réel. Pour les patients, les applications, les appareils et les moniteurs feront partie intégrante de la vie quotidienne.
Une approche plus collaborative sera désormais la norme, offrant davantage de possibilités à des soins proactifs plutôt que réactifs. La médecine personnalisée prendra un nouveau sens, les soins étant adaptés à la culture digitale de chaque individu grâce à des biomarqueurs numériques. Bien qu'il reste certainement des défis et des obstacles à surmonter, l'avenir numérique de la cirrhose est véritablement passionnant, et il est de notre responsabilité collective de veiller à ce que personne ne soit laissé sur le chemin.
COMMENTAIRES Cet excellent article a le mérite de faire un point lucide sur le développement actuelle de la télésanté et de la santé numérique, ses obstacles et ses freins, mais aussi son fort potentiel pour aller vers une médecine hybride de plus en plus personnalisée où c'est le patient qui évalue lui-même la valeur des soins qui lui sont délivrés et l'impact sur son bien être personnel et social.